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ce système avait été adopté dans la croyance qu'il affaiblirait cette branche du pouvoir, que le gouvernement ayant une majorité toute faite dans la Chambre, le cinquième qui y entrerait n'aurait pas assez de force pour changer la majorité. Ce calcul, s'il était tel en effet, fut complétement trompé. Ainsi, vous savez qu'on voulut y remédier par les lois de 1820 et de 1824. Par la première on établit le double vote dont nous avons déjà parlé. On doubla ou à peu près le nombre des Députés et on établit les doubles colléges. Et puis en 1824 on supprima le renouvellement partiel et quinquennal pour établir le renouvellement intégral et septennal, et on aurait pu appliquer à la Chambre de 1824 la réflexion du juriste anglais.

La Charte de 1830 a, d'un côté, conservé le renouvellement intégral, mais au lieu de sept ans elle a adopté le terme de cinq ans. Nous avons donc le renouvellement intégral et quinquennal. Mais remarquez que, quand on dit sept ans, on ne dit réellement que six ans, et que, quand on dit cinq ans, on ne dit réellement que quatre ans, et voici pourquoi : Si le gouvernement attendait la dernière année, il s'exposerait à courir la chance des élections, quel que fût l'état des esprits, il n'y aurait pas moyen de reculer. Or, l'expérience a prouvé que le pouvoir n'accepte jamais cette position extrême, il ne consent jamais à s'acculer ainsi au terme extrême. Cela est vrai en France comme en Angleterre. De sorte qu'il préfère abréger d'une année la durée de la Chambre pour faire arriver les élections dans un moment qu'il croit

plus propice à ses intérêts et aux intérêts du pays, plutôt que d'attendre un moment où il faudrait subir les élections, quel que fût l'état des événements et des esprits.

Et ceci m'amène à parler de la dernière cause par laquelle se perd la qualité de député, je veux dire la dissolution de la Chambre. C'est une des prérogatives de la couronne sanctionnée par l'article 42 de la Charte. « Le Roi convoque chaque année les deux >> Chambres : il les proroge, et peut dissoudre celle » des Députés. » Le roi donc peut dissoudre la Chambre. Comment s'opère cette dissolution? Elle s'opère par ordonnance royale, et d'après le texte et l'esprit de la Charte, si la Chambre est réunie actuellement, au moment où l'ordonnance royale est portée à sa connaissance, elle doit se séparer à l'instant, elle a cessé d'être un pouvoir de l'État.

Mais, pour que cet effet s'ensuive, il faut cependant que quelques conditions se vérifient, il faut que la dissolution soit opérée régulièrement, légalement, conformément à la lettre et à l'esprit de la Charte constitutionnelle. En conséquence, et en premier lieu, l'ordonnance doit être légale, je veux dire que ce doit être une ordonnance royale contresignée par un ministre responsable, car la dissolution de la Chambre est un des faits graves de la responsabilité ministérielle.

Nous croyons en deuxième lieu que la Chambre, pour être régulièrement dissoute, doit avoir été auparavant régulièrement constituée. Je m'explique : Les élections se font, il y a 459 députés élus ou quelques

uns de moins s'il y a de doubles ou de triples élections. Ce sont là des Députés, ce n'est pas la vérification des pouvoirs que donne cette qualité; la vérification des pouvoirs écarte tout doute qu'on pourrait avoir sur l'élection, mais la qualité de Député est conférée le jour ou le scrutin les a faits Députés. Or, les élections une fois faites, si le gouvernement ne les trouvait pas conformes à ses désirs, pourrait-il régulièrement dissoudre la Chambre?

Ce fait s'est présenté; une des ordonnances de juillet 1830 prononçait la dissolution d'une Chambre qui n'avait pas été constituée. Les élections étaient faites, mais la Chambre n'avait pas été réunie. Aussi, lors des événements de juillet, que disaient les députés résidant à Paris, dans leur protestation du 27 juillet? Ils disaient : « Les soussignés, régulière>> ment élus et résidant à Paris..... attendu d'une >> part que la Chambre des Députés n'ayant pas été >> constituée n'a pu être régulièrement dissoute..... >> Ils reconnaissaient donc qu'il n'y avait pas dissolution régulière d'une Chambre qui n'avait pas été constituée. Je crois qu'ils énonçaient là une opinion conforme à notre droit positif.

Et d'abord, si on voulait se contenter d'un argument purement logique, il n'est pas difficile à trouver. La Charte dit: Le Roi peut dissoudre la Chambre des Députés. Qui dit Chambre, dit Assemblée, dit corps politique délibérant. Or, qui dit corps dit nécessairement une organisation, une constitution de ce corps. Avant l'organisation, il y a les éléments de ce corps, mais pas le corps lui-même. S'il n'y a pas

le corps lui-même, il est impossible de le dissoudre. La Charte ne dit pas qu'on peut rendre nulles les élections, elle dit qu'on peut dissoudre la Chambre. Or, dissoudre la Chambre avant que la Chambre soit constituée en corps délibérant, c'est anéantir les élections, mais non dissoudre ce qui n'existe pas. Aussi en 1830 vous voyez ce que disaient les Députés dans le document dont je viens de parler: La Chambre n'a pas été constituée, donc elle n'a pas pu être régulièrement dissoute. Que disent-ils dans l'autre document? << La réunion des Députés actuellement à » Paris a pensé qu'il était urgent, elle a senti la né»cessité. » Mais ils ne disent pas : « Nous sommes >> une Chambre. » Vous trouvez plus tard une ordonnance du lieutenant-général qui convoque la Chambre.

Les Députés de 1830 envisageaient donc la question comme nous le faisons. Mais pour ceux sur l'esprit desquels un argument purement logique n'a pas suffisamment prise, pour ceux, et nous sommes du nombre, qui encore plus que la logique aiment la raison intime des choses, pour ceux là la raison intime des choses conduit à la même conséquence. Qu'est-ce, en effet, que dissoudre une Chambre ? Ce n'est pas satisfaire un caprice, c'est faire un acte de haute politique, c'est faire un appel au pays avant l'époque où on doit nécessairement recourir à lui. La Charte dit : « Tous les cinq ans vous reparaîtrez devant le corps électoral, tous les cinq ans il y aura un appel fait au pays au moyen des élections. » Dissoudre la Chambre, c'est anticiper cet appel.

Ainsi le gouvernement ne peut plus marcher avec la Chambre, un ministère perd la majorité. Au lieu de se retirer, il veut en appeler au pays. Si le pays renvoie les mêmes députés, c'est que le pays a jugé que la Chambre avait raison; il y a donc là un hommage rendu au pays. Or, comment le pays exprime-t-il sa pensée? Il répond à cet appel par l'organe des Députés, par la majorité de l'assemblée ; c'est la majorité de l'assemblée qui est censée expliquer le résultat de cet appel au pays. Or, dissoudre la Chambre avant qu'elle soit réunie, c'est refuser d'écouter le pays; c'est dire «< Envoyez-moi quelqu'un pour expliquer votre pensée » et puis mettre l'envoyé à la porte, ne pas même lui accorder d'audience; c'est vouloir imposer certains hommes aux électeurs. Sans doute, lorsque la Chambre sera constituée, lorsqu'elle aura pris la parole, le pouvoir peut dissoudre encore, et le pays peut encore renvoyer les mêmes députés. Je ne pousserai pas plus loin ces hypothèses. Mais il faut que la voix de la Chambre ait pu être entendue.

Dans le cours régulier des affaires, dans la forme de gouvernement sous laquelle nous vivons, comment les choses doivent-elles se passer? Le gouvernement est ici un gouvernement de persuasion, de raison, de débats, d'arrangement plus ou moins durable. Ainsi, dans le cours ordinaire des choses, comment les affaires doivent-elles se traiter? Il y a dissentiment; le pouvoir doit essayer de persuader la Chambre, de lui montrer qu'il est dans une voie rationnelle, dans une voie qui doit lui mériter une majorité. Et la Chambre doit essayer d'éclairer le pouvoir, si elle

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