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pas cette grande autorité morale dans le pays qu'obtient une institution qui agit tous les jours, qui se reproduit dans ses effets régulièrement, qui a une liaison intime avec les idées de la nation; les États généraux n'avaient pas été convoqués depuis longtemps. Cependant ils sont convoqués suivant les traditions anciennes. Ils ont trois ordres qui prétendent représenter trois grands faits sociaux. Sous l'action de la Révolution, ils se fondent en une seule assemblée, et ce n'est qu'en 1795 qu'on songe à une division du pouvoir législatif en deux Chambres.

Mais si vous étiez curieux d'approfondir ces recherches historiques, et de vous rendre un compte encore plus exact des faits que vous y rencontrerez, il serait utile de vous faire remarquer que, au fond, ceux qui soutiennent la nécessité de la coexistence de deux assemblées délibérantes, ne se rattachent pas tous à un même principe organisateur. Les uns rattachent la nécessité des deux Chambres à un principe d'organisation sociale; les autres n'y voient qu'une règle d'organisation purement politique.

Je dis que les uns rattachent le système des deux Chambres à un principe d'organisation sociale. Voici, en effet, comment ils raisonnent L'inégalité des conditions, disent-ils, est un fait social nécessaire, inévitable, permanent; à un degré plus ou moins grand, avec des variétés plus ou moins saillantes, vous le retrouvez partout et en tout temps. Dès lors, il semble à la fois juste et utile, pour le maintien des libertés publiques, de faire dans l'organisation une case à part pour les sommités sociales. Cela est juste,

car ces sommités sociales, par leur nature de sommités sociales excitant contre elles de grandes jalousies, il est équitable de leur donner un moyen particulier de se défendre. Cela est utile au maintien des libertés publiques, parce que ces sommités sociales étant investies d'un grand pouvoir social, si on ne leur fait pas une case à part dans l'organisation politique, elles useront de cette influence pour envahir l'assemblée unique, et s'emparer exclusivement à leur profit du maniement des affaires publiques.

Vous voyez que, dans ce système, on rattache le fait de l'existence des deux Chambres à un principe d'organisation sociale. En d'autres termes, dans ce système, l'existence des deux Chambres n'est autre chose qu'un accommodement, une transaction entre l'aristocratie et la démocratie. L'aristocratie et la démocratie siégent dans les deux Chambres, se placent l'une à côté de l'autre, et par cette juxtaposition essaient de vivre en paix. En d'autres termes encore, il y a une Chambre haute et une Chambre basse, comme disent les Anglais, une Chambre aristocratique et une Chambre populaire ou démocratique.

Les autres ne fondent pas la coexistence de deux Chambres sur les mêmes données, ne la font pas remonter au même fait social. Ils ne voient dans cette institution qu'une question de convenance et d'arrangement rationnel du pouvoir législatif. Il faut, disentils, deux Chambres pour donner à l'action législative plus de lenteur, à la discussion des lois plus de maturité et, ainsi, à l'intérêt général plus de garanties. Dans ce système, on ne s'embarrasse pas essentielle

ment de savoir de quels éléments seront composés les deux Chambres. Ce qu'on veut avant tout, c'est qu'il y ait deux assemblées, pour qu'il y ait double discussion, double délibération. Ce qu'on veut, c'est qu'une Chambre ne puisse pas même imaginer d'exercer une sorte de dictature, sachant que l'autre pourrait s'y opposer. Ce qu'on veut avant tout, c'est qu'une Chambre ne puisse pas se livrer à des mouvements désordonnés. Dans ce système, il n'y a pas une Chambre haute et une Chambre basse; il y a deux assemblées, deux magistratures politiques qui se contrôlent l'une l'autre, et se forcent ainsi réciproquement à un examen approfondi de toutes les questions, à une délibération des affaires mûre, sensée, profitable à la chose publique. Il n'y a pas là une question de rang, de prééminence, parce que l'organisation des deux Chambres n'est qu'une pure organisation politique. Et si les défenseurs de ce système préfèrent composer la deuxième Chambre, comme le sénat américain, d'hommes plus âgés, plus expérimentés, même plus riches, c'est uniquement parce qu'il est utile de conserver dans toute sa pureté d'un côté l'élément progressif, de l'autre l'élément conservateur des sociétés civiles.

Prenons l'exemple des

J'explique leur système États-Unis. Vous avez la Chambre des représentants, composée de membres qui sont ou peuvent être plus jeunes que les sénateurs. C'est là, dit-on, où siège le principe de vie, le principe de progrès, le principe d'impulsion pour les efforts sociaux. Et il faut cette Chambre là, cette Chambre qui représente le principe

du grand progrès, la Chambre qui doit donner l'im pulsion, pour qu'il n'y ait pas stagnation sociale. Et puis, vous avez à côté une autre Chambre qui est composée d'hommes plus âgés, d'hommes qui ont déjà pris part au mouvement des affaires, d'hommes plus expérimentés, si vous voulez même d'hommes placés dans une position sociale plus fortunée et plus intéressés à conserver ce qui existe. Eh bien, voici, dit-on, ce qui arrive : Nous avons une Chambre à principes progressifs, l'autre à principes conservateurs, l'une qui a mission de donner l'impulsion, l'autre qui a mission de régler cette impulsion, l'une pousse, l'autre retient dans une juste mesure, et c'est ainsi que par la combinaison de cette double force, la société marche sans courir et que vous réalisez l'idée d'un progrès sage et continu.

Telles sont les deux théories capitales, essentiellement distinctes l'une de l'autre, comme vous le voyez, qui aboutissent l'une et l'autre au fait de la coexistence de deux Chambres, mais l'une à la coexistence de deux Chambres représentant des éléments sociaux décidément distincts, comme une Chambre aristocratique et une Chambre démocratique, l'autre à la coexistence de deux Chambres représentant l'une une action plus vive, l'autre une action plus réfléchie, plus mûre, mais non un élément différent.

Et enfin, comme le droit public aussi à son ecclectisme, vous trouverez des publicistes qui prennent les principes et les bases de l'un et de l'autre système, qui veulent les amalgames. Et ceux-là arrivent à

l'institution des deux Chambres soit, disent-ils, parce que dans toute société le fait de l'inégalité des conditions existant, il importe de le régler, soit parce que, quand même cela n'existerait pas, il faut deux Chambres pour la meilleure confection des lois.

C'est avec la connaissance de ces principes divers qu'il vous sera maintenant facile de faire ce que nous ne pouvons pas faire ici cependant, étudier cette belle question dans les faits, dans l'histoire et vous rendre compte du but véritable des différents systèmes. Car, encore une fois, l'un et l'autre système peut s'appuyer sur l'autorité de faits historiques.

Ainsi, évidemment la pairie anglaise est une réalisation du premier système, ou, pour mieux dire, on a fait ce que les auteurs des arts poétiques ont fait, il les ont tirés des poëmes existants. De même le premier système a été tiré de l'étude de la Constitution anglaise, le deuxième de l'étude de la Constitution américaine. La pairie anglaise, en effet, n'est pas une représentation du pays, c'est la Chambre des Communes qui est une représentation du pays; il se pourrait que la Chambre des Pairs fût une représention du pays prise dans d'autres éléments, mais à proprement parler elle n'est pas une représentation du pays, non, elle se représente elle-même, elle délibère pour son propre compte. Et en voici la preuve : Un pair anglais a le droit de voter par procuration. Ainsi, il peut ne pas aller à la Chambre, ne pas assister. à la discussion, ne prendre aucune part à la délibération et, au moment du vote, donner pouvoir à un de ses collègues de voter pour lui. S'il était là comme

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