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représentant du pays, son premier devoir serait d'assister à la discussion. Il vote par procuration parce qu'il exerce un droit tout personnel. Il y a plus, quand la Chambre des lords a pris une résolution, quand elle a, je suppose, adopté un projet de bill, les Pairs qui se sont trouvés en minorité peuvent protester et faire insérer leur protestation dans le procès-verbal de la séance. C'est dire : « Nous ne nous soumettons pas à la majorité. » C'est là un fait particulier à la Chambre des Pairs anglaise qu'elle soit obligée de recevoir la protestation des dissidents, fussent-ils trois ou quatre seulement. C'est là encore une conséquence de ce fait que la pairie anglaise se représente elle-même.

Enfin, une troisième preuve plus frappante encore, c'est qu'il y a des Pairesses, qui ne sont pas des femmes de Pairs, mais sont Pairesses par ellesmêmes et qui, en cette qualité, jouissent des priviléges attachés à la pairie, c'est-à-dire entre autres quelles ne sont justiciables que de la Chambre des Pairs. Or, comme les femmes n'assistent jamais aux assemblées, comme elles ne délibèrent pas, vous voyez que le titre de Pair est autre chose qu'un titre politique. S'il était un titre politique, il n'y aurait pas de Pairesses qui ne fussent femmes de Pairs. De même, on ne voterait pas par procuration. Enfin, on n'aurait pas le droit de protester légalement contre la décision de la majorité. Ces faits seuls prouvent que la pairie anglaise est autre chose qu'une magistrature politique. Les Pairs anglais, une fois investis des droits et prérogatives de la pairie, siégent à la

Chambre jure proprio. Ils représentent la pairie anglaise, mais ils ne représentent pas le pays.

Aux Etats-Unis, au contraire, le Sénat peut dire qu'il est aussi représentant du pays. Qu'importe qu'une Chambre soit prise parmi ceux qui paient un cens plus élevé ou qui sont plus âgés. Ils sont là pour délibérer sur les affaires générales du pays comme l'autre Chambre et ils ne peuvent pas faire ces actes purement personnels de puissance individuelle que fait un Pair anglais. Le Pair anglais, avec cette différence que la marche de la civilisation a introduite, représente un peu le seigneur féodal qui dit : « Vous >> paierez cela si vous voulez, moi je ne veux pas, et » ma raison la voici, » ajoute-t-il en brandissant son sabre. Aujourd'hui les formes sont un peu changées, mais quand on vient protester contre le vœu de la majorité, quand il y a des Pairesses jouissant des droits de la pairie, comme dans certains pays des femmes jouissaient des droits du fief à défaut de mâles, on peut dire qu'il y a là une Chambre des Pairs représentant non le pays, mais elle-même.

En France, d'autres vous expliqueront mieux que je ne pourrais le faire, l'institution de l'ancienne pairie, l'organisation des États généraux. Il y eut d'abord ces sept grandes pairies qu'on pourrait appeler les pairies de la France. La Couronne fort heureusement les absorba peu à peu dans ce grand travail d'unité française, que nous avons vu. Enfin, la pairie française était devenue en fait une lettre patente qu'on obtenait du Roi et qui vous donnait des priviléges plus honorifiques que réels. Et si vous en

doutez, ouvrez l'historien peut-être le plus original que la France ait eu, ouvrez les mémoires de SaintSimon et lisez ses plaintes amères sur la décadence de la pairie; ces plaintes ont leur éloquence.

La pairie donc était réduite à un titre que le roi absolu conférait. De même l'organisation des Etats généraux comme représentation d'un ancien fait social comprenait trois ordres, le clergé, la noblesse et le tiers état; tout cela disparut sous l'action de la grande révolution. Tout ce qui restait de féodal fut complétement aboli en 89. Les priviléges du clergé disparurent comme ceux de la noblesse, le principe de l'égalité civile fut établi, et, en conséquence, ces titres qui étaient déjà bien pâles, bien effacés, disparurent complétement du sol de la France.

Arrivons en 1814. En 1814 la Charte consacra l'institution de deux Chambres délibérantes, l'une sous le nom de Chambre des Pairs, l'autre sous le nom de Chambre des Députés des départements, et je vous ai fait déjà remarquer que cette addition « des départements » a disparu dans la Charte de 1830. Ainsi, Chambre des Pairs et Chambre des Députés. Évidemment, ce nom de Pair ne représente plus ce qu'il a pu, à une autre époque bien éloignée, représenter en France et il ne représente pas même ce qu'il représente en Angleterre. La Chambre des Pairs, sous la Charte de 1814, n'était au fond et ne pouvait être, et le principe général du système français ne permettait pas qu'elle fût autre chose qu'une magistrature politique, et le nom de Pair ne pouvait avoir d'autre signification que celle qu'il pouvait

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tirer de l'article 34 de la Charte de 1814, devenu l'article 29 de la Charte de 1830 « Aucun Pair » ne peut être arrêté que de l'autorité de la >> Chambre et jugé que par elle en matière crimi>> nelle. »

Il y eut, à la vérité, sous l'empire de la Charte de 1814, une sorte d'oscillation et puis un travail pour faire de la Chambre des Pairs quelque chose qui ressemblât davantage à la Chambre anglaise et qui lui donnât peut-être un caractère autre que celui de haute magistrature politique. Que trouvons-nous, en effet, dans les lois et ordonnances de ce temps-là? D'abord l'article 27 de la Charte de 1814 s'exprimait ainsi : « La nomination des Pairs de France >> appartient au Roi. Leur nombre est illimité: il » peut en varier les dignités, les nommer à vie, ou >> les rendre héréditaires, selon sa volonté. » Plus tard, une ordonnance du 19 août 1815, s'appuyant sur la faculté exercée au roi par l'article 27 de la Charte, disait : « Article 1er. La dignité de Pair est et » demeurera héréditaire de mâle en mâle, par ordre » de primogéniture, dans la famille des Pairs qui >> composent actuellement notre Chambre des Pairs. Article 2. La même prérogative est accordée >> aux Pairs que nous nommerons à l'avenir. » Article 3. Dans le cas où la ligne directe viendrait » à manquer dans la famille d'un Pair, nous nous >> réservons d'autoriser la transmission du titre dans » la ligne collatérale qu'il nous plaira de désigner; >> auquel cas le titulaire ainsi substitué jouira du >> rang d'ancienneté originaire de la pairie dont il se

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» trouvera revêtu..... Article 4. Les lettres pa» tentes..... porteront toutes collation d'un titre >> sous lequel sera instituée chaque pairie. - Ar>>ticle 6. Ces titres seront ceux de baron, vicomte, >> comte, marquis et duc. >>

Mais ceci n'aurait pas suffi; car on peut concilier ces deux idées, magistrature politique et droit héréditaire. Ce ne sont pas là deux idées incompatibles. Il y eut alors quelque chose de plus ; il y eut l'établissement des majorats. « A l'avenir, dit l'ordon»nance du 25 août 1817, dans son article 1er, nul » ne sera par nous appelé à la Chambre des Pairs, >> les ecclésiastiques exceptés, s'il n'a, préalablement » à sa nomination, obtenu de notre grâce l'autorisa>>tion de former un majorat et s'il n'a institué ce » majorat. >> Vous savez déjà que la législation des majorats avait été établie sous le régime impérial.

L'ordonnance du 25 août 1817 institue trois classes de majorats de Pairs ceux attachés au titre de duc, qui ne peuvent être composés de biens produisant moins de 30,000 francs de revenu net; ceux attachés aux titres de marquis et de comte, qui ne peuvent s'élever à moins de 20,000 francs de revenu net, et ceux attachés aux titres de vicomte et de baron, qui ne peuvent s'élever à moins de 10,000 francs de revenu net. Les majorats doivent être constitués en immeubles libres de tous priviléges et hypothèques et en rentes sur l'État, après toutefois qu'elles auront été immobilisées. Enfin, les majorats de Pairs sont transmissibles à perpétuité, avec le titre de la pairie, au fils aîné, né ou à naître, du fondateur

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