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par le droit de propriété, mais seulement par droit de souveraineté, et en dédommageant les titulaires; ainsi les titulaires actuels ne peuvent pas être dépossédés, mais le corps moral peut l'être; et je me résume. La nation peut-elle disposer des biens du clergé? Oui. La nation est-elle propriétaire? Non. Le clergé peut-il être dépossédé? Oui. Les titulaires peuvent-ils l'être? Non, à moins qu'ils ne soient indemnisés et dédommagés par la nation.

M. CAMUS: Le clergé est-il propriétaire des biens dont il jouit? La nation peut-elle en être propriétaire? Je vais examiner ces questions d'après les principes et les faits.

Celui-là est propriétaire, qui peut disposer de son bien à l'exclusion de tout autre. Qu'est-ce que le clergé? une société d'hommes qui est gouvernée par d'autres hommes, et qui existe dans l'Etat, parceque l'Etat a voulu professer et conserver une religion. L'Etat a le droit de veiller sur cette société et sur la manière dont elle remplit ses devoirs; mais l'Etat ne peut rien sur l'état de cette société. Il ne pourrait toucher à ses propriétés qu'en détruisant ce corps social, et ce corps ne peut être détruit.

M. Camus fait ensuite l'application de ces principes à l'ordre du clergé. Il examine plusieurs faits historiques, pour établir la manière dont ces propriétés sont parvenues à ce corps social: donations, motifs, devoirs, conditions imposées, et enfin jouissance sans réclamation, depuis six ou huit siècles.

La loi, dit-il, doit veiller à l'acquittement des conditions imposées, mais elle ne peut détruire la propriété donnée à ces conditions; le clergé est donc vraiment propriétaire; il est impolitique de décider en ce moment la question, parceque, ne pouvant présenter alors aux créanciers de l'Etat qu'un gage incertain, vous ne leur offrirez qu'un leurre.

Le second objet de la motion de M. le comte de Mirabeau, qui tend à déterminer que les curés ne pourront avoir désormais un revenu au-dessous de 1,200 livres, sans y comprendre le logement, me parait incomplet, parcequ'il ne statue rien sur le sort des évêques, des chapitres et des cathédrales, dont il faut cependant s'occuper. Il faut surtout aussi s'intéresser aux établissements religieux. Ce sont eux qui nous ont conservé les traces de nos droits dans les ouvrages utiles qui ne pouvaient guère être faits que par eux. La fixation du revenu de 1,200 livres pour les curés me semble pouvoir être variable par rapport aux cantons, au nombre de paroissiens pauvres, etc.

Je demande que la motion de M. le comte de Mirabeau soit rejetée, ou tout au moins ajournée, jusqu'à ce que le comité ecclésiastique ait fait connaître son travail.

M. L'ABBÉ DE RASTIGNAC: Depuis trois semaines je m'occupe à examiner les titres du clergé ; j'ai combattu les différentes objections pour et contre; j'ai examiné les droits sur lesquels se fonde leur propriété. Je suis même entré dans le détail des observations politiques applicables à cet objet; et si l'ASsemblée me le permet, je ferai imprimer, et je remettrai mardi prochain, à chaque député, un exemplaire de mon travail. Je demande donc que la question qui nous occupe soit ajournée à cette époque.

M. L'ABBÉ DILLON: Les biens-fonds et les dimnes ont été donnés au clergé par le peuple, et repris par lui dans des circonstances pressantes. Les mêmes circonstances reparaissant, là même chose doit arriver. La nation à pu les reprendre, elle le peut encore. Il ne faut pas examiner si nous sommes propriétaires ou non; il faut seulement reconnaître que notre devoir serait de renoncer à cette propriété, quand même elle serait établie. On doit remettre à

un bienfaiteur ce qu'on a obtenu de sa générosité, quand ce bienfaiteur lui-même est dans une telle position qu'il ne peut exister sans la remise de son bienfait.

M. le président annonce que le roi a sanctionné le décret du prêt de l'argent, celui sur la contribution patriotique, et enfin celui sur la réforme de quelques articles du code criminel.

- M. L'ABBÉ D'EYMAR: Quelle que puisse être la dotation des églises, quelle que puisse être la manière dont elles ont joui de cette dotation, il est certain que cette propriété et cette jouissance ont existé sous la protection de la loi. L'acte fondamental de la propriété est la possession; la preuve de cette propriété est l'exclusion à tout autre d'en jouir.

En examinant les principes et l'origine des sociétés, on conclut que la forme du gouvernement la meilleure est celle où la sûreté et la propriété sont la plus entière, et où l'on n'en abandonne que ce qui est nécessaire pour obtenir la protection qui doit assurer l'une et l'autre. D'après ces principes, on commence à voir l'exagération de la prétention qui veut que les biens ecclésiastiques appartiennent à la nation.

Quels sont les fondateurs des établissements ecclésiastiques? ce sont des rois, des princes, des particuliers, souvent même des ecclésiastiques, dont la générosité est venue au secours de la nation entière, puisqu'ils ont consacré leurs fortunes à un service public que les citoyens auraient été obligés de payer. Le clergé a toujours été appelé aux assemblées nationales comme propriétaire. L'impossibilité où le clergé a toujours été d'aliéner les biens est encore une preuve de propriété; la nation a-t-elle des propriélés? en a-t-elle d'autres que celle du clergé? Si elle en a d'autres, son droit porte sur celles de tous les citoyens; si elle n'en a pas d'autres, elle n'en a pas du tout les biens ecclésiastiques ont été donnés sans le concours de la nation; ils n'ont pas été donnés à la nation; la nation n'a donc nul droit à leur propriété.

On a fait une distinction entre les corps politiques et les autres citoyens; mais les corps politiques ne sont-ils pas composés de citoyens? Le clergé forme une partie essentielle du tout, et rien ne peut l'en séparer; il possède justement ce qui lui a été donné, ce qu'il a légitimement acquis, et l'on ne peut, sans le détruire, lui ôter la propriété de ce qui lui a été donné et de ce qu'il a acquis.

Si les pasteurs sont privés de ces propriétés si douces, s'ils n'ont plus un champ à cultiver, s'ils sont purement salariés, vous les verrezs'avilir, et l'on aura ainsi porté l'atteinte la plus forte et la plus sûre à la religion. La plupart des ecclésiastiques, jouissant sous la loi, ont abandonné leur pain patrimonial. Ah! messieurs, vous serez touchés du sort de deux cent mille de vos frères que vous allez réduire à une horrible détresse! Il est surtout une classe d'ecclésiastiques dont on ne paraît pas s'occuper, et dont la situation ne sera pas moins affreuse; ce sont ceux qui sont déjà engagés dans les ordres ou prêts à l'être, et qui ne sont nullement pourvus.

J'adopte le second article de la motion de M. le comte de Mirabeau, et je déclare, au nom de mes commettants, qu'ils ne peuvent et que je ne peux abandonner leurs propriétés. Je propose seulement que, dans la circonstance actuelle, le clergé sacrifie la moitié, les trois quarts de son revenu, au lieu du quart demandé.

M. BARNAVE Quelque étendue qu'on ait voulu donner à la question, je pense qu'elle peut être réduite à celles-ci: Le clergé est-il propriétaire? La distribution des fonds assignés au service divin n'appartient-elle pas à la nation? Le clergé n'est et ne

peut être qu'une profession; il existe pour le service et l'utilité de la nation. Les biens du clergé ont deux sources: la première les biens donnés par la nation, qui sont vraiment le salaire de leurs fonctions; ensuite ceux qui viennent des fondateurs, et, sans doute, il est aisé de montrer qu'ils appartiennent à la nation.

Les fondations sont dans les mains du clergé des dépôts pour un service public; si c'est à la nation à soulager les pauvres, à payer le service public, il est certain que les biens donnés à la décharge de la nation ne sont qu'un dépôt dans les mains des officiers chargés de ce service public. Le clergé existe par la nation, la nation pourrait le détruire; il résulte évidemment de ce principe que la nation peut retirer des mains du clergé des biens qui n'ont été affectés et donnés que pour elle; autrefois les domaines étaient affectés à des officiers publics pour leur servir de gage et de salaire, il en est de même des bénéfices du clergé : les domaines appartiennent à la nation, comme les bénéfices donnés par elle pour le service public.

Si un citoyen joignait sa propriété aux domaines pour soulager le peuple des impôts, sa propriété serait devenue celle de la nation; de même les fondations faites en faveur du clergé sont des propriétés particulières, jointes dans la même vue à celles de la nation; elles appartiennent aussi à la nation, la parité est absolue et parfaite.

Il est certain que ces fondations ont pour objet unique le soulagement des pauvres, le culte divin et l'entretien des ministres de ce culte; mais il n'est pas moins certain que si la nation se charge de ces objets, elle rentre dans la propriété des biens qui y étaient destinés. On n'ignore pas que souvent cette propriété a été reconnue dans des besoins extrêmes on a cru pouvoir faire vendre des biens ecclésiastiques; sur de simples arrêts d'enregistrement des cours, le roi a supprimé des monastères. Comment la nation et l'Assemblée nationale ne pourraientelles pas faire ce qu'a fait le roi?

Deux circonstances rendent indispensables l'admission du principe, que les biens du clergé appartiennent à la nation. Ces deux circonstances sont la suppression des dîmes et l'entretien des utiles pasteurs qui par cette suppression n'ont plus rien; leur situation doit être améliorée, et il est impossible de ne pas prendre leur subsistance sur le reste des fonds du clergé. La suppression des dimes a entièrement dépouillé les uns et en partie les autres; l'égalité, détruite par cette grande opération, doit être rétablie. Le clergé n'en souffrira pas, la nation sera sauvée; elle évitera, par la vente des immeubles du clergé, le mal affreux de la banqueroute: le droit de la nation, la situation de l'Etat, et la nécessité indispensable de pourvoir à la partie la plus intéressante du clergé, tout vous oblige à reconnaître que la nation est propriétaire des biens dont le clergé a joui jusqu'à présent.

J'adopte donc les deux principes de la motion de M. le comte de Mirabeau; je demande seulement qu'il soit fait un changement dans la seconde partie, et qu'on dise que les curés ne pourront pas être fixés au-dessous de 1,200 livres, au lieu de dire que les curés ne pourront pas avoir moins de 1,200 livres.

On fait lecture d'une lettre dans laquelle M. de Cas. sini offre la carte générale de France en quatre-vingts feuilles, et rédigée de manière à être utile à l'Assemblée dans son travail sur les assemblée provinciales (1). A cette

(1) Quand le grand géographe cut fini le travail qu'il destinait à l'Assemblée nationale, il n'était déjà plus question des provinces; l'heureuse idée de faire de la France un tout homogène, divisé seulement en fractious départementa les, était déjà à l'ordre du jour. Toutefois la grande carte de

lettre sont joints un exemplaire de la grande carte, et un autre, réduit.

M. de Cassini est admis dans la salle.

M. L'abbé MaurY: La ruine absolue du clergé séculier et régulier semble être décidée dans cette Assemblée; mais si c'est la force du raisonnement qu'il faut combattre, nous pouvons ne pas désespérer de notre cause. Vous avez mis les créanciers de l'Etat sous la sauvegarde de l'honneur de la nation. La rcligion est elle-même la sauvegarde de l'empire. Les créanciers de l'Etat sont propriétaires, leur propriété est sacrée je dépose en vos mains cette profession de foi solennelle. On demande le rétablissement du crédit national, que l'on nous vante sans cesse ; mais c'est cet immense crédit qui nous a ruinés, c'est avec lui qu'on a dévoré la subsistance des générations futures, c'est avec lui qu'on a fait tant de guerres, souvent aussi nuisibles aux peuples qu'avantageuses aux ministres.

Quand François Ier a ouvert le premier emprunt il a posé la première pierre de cet édifice, qui entin est sur le point d'écrouler. Le crédit est si funeste qu'il faut en effacer jusqu'au mot.

Pour rétablir ce crédit, malheureusement si nécessaire, on vous propose une chose infiniment simple, c'est-à-dire mettre les capitalistes à la place des bénéficiers, et les bénéficiers à la place des capitalistes. Le clergé est propriétaire des biens-fonds qu'il possède. Les biens du clergé appartiennent à la nation, comme la province de Bourgogne appartient à la nation, et la province de Bourgogne a des propriétaires; de même les biens du clergé appartiennent à la nation, et le clergé a des propriétaires : le clergé possède, parcequ'il a acquis ou qu'il a reçu. Qu'on prouve qu'il a usurpé.

C'est dans une assemblée où l'on n'a pas examiné les impôts, où l'on n'a pas remonté à la source de nos maux, à ces fortunes frauduleuses des traitants; c'est dans une assemblée où l'agiotage n'a pas encore été dénoncé, que l'on vous propose de spolier vos concitoyens et vos frères.

Ces revenus sont la ressource de la noblesse et des communes, qui en possèdent les cinq sixièmes; mais on dit aux députés arrivés du fond des provinces qu'il n'y a ni capitalistes, ni agiotage, ni sangsues publics, et l'on veut ruiner le clergé, etc.

Les calculs que l'on vous a présentés sont faux, remplis de doubles emplois. Il est facile de vous en présenter d'autres plus simples.

Les biens du clergé appartiennent à la nation, cela est vrai, par le droit d'enclave; mais nous sommes propriétaires de nos biens, parcequ'ils ne nous ont pas été donnés par la nation: nous les avons acquis, le reste nous a été donné.

On nous dit que le roi nous a donné des biens, et l'on assimile nos bénéfices à des bénéfices militaires. Mais quand même le roi nous aurait donné tout ce que nous possédons, ce ne serait pas la nation qui nous aurait donné, puisque le roi ne possède pas tout le territoire du royaume.

Cette question, messieurs, n'est pas de votre ressort. Le pouvoir législatif ne peut exercer le pouvoir judiciaire. Expliquez-vous done, car avec vos principes je vais vous prouver que vous nous conduisez à la loi agraire; en effet, toutes les fois que vous remonterez à l'origine des propriétés, la nation y remontera avec vous.

Cassini a dû être fort utile, même pour la division en dépar tements. On ne se figure pas les obstacles que le comité de constitution eut à vaincre pour détruire l'esprit de localité. Avant de présenter son travail à l'Assemblée, il dut prononcer sur plus de six mille réclamations qui lui coûtèrent trois mois d'investigations minutieuses et ingrates, dont il n'est resté d'autres traces que le plan général modifié sur quelques-unes de ces réclamations. L. G.

Elle se placera à l'époque d'où elle est sortie des forêts de la Germanie, et demandera un nouveau partage.

Quelle propriété serait assurée, si aujourd'hui, messieurs, ce que nous avons défriché, ce que nous avons acquis, ce que l'on nous a donné, nous est ôté? Vous avez pu nous ôter le droit d'acquérir; mais vous ne pouvez nous enlever ce que nous avons acquis.

Il y a huit jours, vous avez reconnu la propriété des biens de l'Eglise, puisque vous avez permis aux gens de main-morte de prêter à intérêt à terme fixe.

Un plan doit être bien suspect quand il est mal conçu. De quel œil la Flandre, l'Artois verront-ils les financiers usurper les revenus des bénéfices qui sont dans ces provinces?

La propriété des églises a déjà été discutée.

En 1783, les Célestins sont supprimés. La maison de Savoye, donatrice, réclame, et il y avait le droit de retour. Eh bien! messieurs, il est établi dans un mémoire de M. l'abbé de Périgord, aujourd'hui M. l'évêque d'Autun, que les donatious sont irrévocables.

La destruction des Jésuites n'a enrichi personne. Eh bien! messieurs, des hommes qui travaillent depuis quatre heures du matin jusqu'à neuf heures du soir, qui, l'un dans l'autre, ne coûtaient pas 400 livres, ont été détruits.

Que diriez-vous d'un seigneur de paroisse ruiné, qui, après avoir assemblé ses créanciers, leur abandonnerait les fonds dont il aurait doté sa cure? Cet exemple vous révolterait, sans doute; eh bien! messieurs, vous allez le donner cet exemple sur quarante-cinq mille paroisses.

Si le clergé n'était pas propriétaire de biens-fonds, s'il était doté par le fisc, à la première guerre, au premier revers dans les finances du royaume (car ce qui arrive aujourd'hui peut arriver encore), les particuliers refuseraient de payer, et la ruine des pasteurs entraînerait celle de la religion. Cependant, et je répète, la religion est la sauvegarde de l'empire, comme l'honneur national est la sauvegarde des

créances de l'Etat.

M. L'ABBÉ GOUTTES: Les richesses ont fait beaucoup de mal à la religion; ce sont elles qui ont introduit dans le clergé des sujets qui n'avaient d'autre vocation que l'amour d'un bénéfice. Ce sont elles qui ont mérité à l'Eglise les persécutions qu'elle a éprouvées et celles qu'elle éprouve encore; ce sont elles, enfin, qui ont étendu le mépris, dû à quelques in-. dividus ecclésiastiques, sur tous les pasteurs sans distinction, classe qui n'est pas la moins útile du clergé.

M. l'abbé Gouttes pense qu'on devrait cependant déterminer que les pasteurs jouiraient d'un revenu quelconque en biens-fonds, afin de ne pas s'exposer aux risques que courrait la religion s'ils étaient payés par le fisc. Il demande que les membres du clergé, qui ne sont pas retenus à Paris par leur place, reçoivent ordre de s'en retirer sur-le-champ.

Mais chaque bénéficier n'en est pas moins possesseur légitime, en acquittant les charges et conditions de la fondation.

Or, la possession, la disposition des revenus, est la seule espèce de propriété qui puisse appartenir au sacerdoce, c'est la seule qu'il ait jamais réclamée.

Celle qui donne droit à l'aliénation, à la transmission du fonds par héritage ou autrement, ne saurait lui convenir, en ce qu'elle serait destructive des dotations de l'Eglise; et parcequ'elle a des propriétés effectives, il fallait bien qu'elles fussent inaliénables: pour qu'elles ne devinssent pas excessives, il fallait bien en limiter l'étendue; mais comme l'incapacité d'acquérir n'est pas celle de posséder, l'édit de 1749 ne peut influer sur la solution de la question présente, et j'avoue qu'il me paraît extraordinaire qu'on emploie contre le clergé les titres même conservateurs de ses propriétés, ainsi que toutes les raisons, tous les motifs qui en composent le caractère légal.

Un des préopinants a dit que les corps étaient aptes à acquérir, à conserver des propriétés, mais qu'elles disparaissent avec leur existence; qu'ainsi le clergé, ne formant plus un ordre dans l'Etat, ne pouvait être aujourd'hui considéré comme propriétaire.

Mais il ne s'agit point ici de biens donnés à un corps. Les propriétés de l'Eglise sont subdivisées en autant de dotations distinctes que ses ministres ont de services à remplir: ainsi, lors même qu'il n'y aurait plus d'assemblée du clergé, tant qu'il y aura des paroisses, des évêchés, des monastères, chacun de ces établissements a une dotation propre qui peut être modifiée par la loi, mais non détruite autrement qu'en détruisant l'établissement.

C'est ici le lieu de remarquer que plusieurs des préopinants établissent des principes contradictoires, en tirant néanmoins les mêmes conséquences. Tantôt, en considérant le clergé comme un être moral, on a dit: Les corps n'ont aucun droit réel par leur nature, puisqu'ils n'ont pas même de nature propre; ainsi le clergé ne saurait être propriétaire. Tantôt on le considère comme dissous, en qualité de corps, et on dit qu'il ne peut plus posséder aujourd'hui de la même manière qu'il possédait pendant son existence politique, qui lui donnait droit à la propriété.

Enfin, un troisième opinant a dit dans une suite de faits, que le clergé n'a jamais possédé comme corps; que chaque fondation avait eu pour objet un établissement et un service particuliers, et cette assertion est exacte. Mais je demande si l'on peut en conclure qu'il soit juste et utile que cet établissement, ce service et ceux qui le remplissent, soient dépouillés de leur dotation? Or, c'est la véritable et la seule question qu'il fallait présenter, car celle de la propriété pour les usufruitiers n'est point problématique. Le clergé possède; voilà le fait. Ses titres M. MALOUET: Je considère d'abord d'où provien- sont sous la protection, sous la garde et la disposinent les propriétés appelées biens du clergé. Qui est- tion de la nation; car elle dispose de tous les établisce qui a donné, qui est-ce qui a reçu, qui est-ce qui sements publics, par le droit qu'elle a sur sa propre possède? Je trouve des fondateurs qui instituent, des législation et sur le culte même qu'il lui plaît d'aéglises qui reçoivent, des ecclésiastiques qui possèdopter; mais la nation n'exerce par elle-même ni dent sous la protection de la loi. Je trouve que le droit du donateur n'est point contesté; qu'il a stipulé les conditions de sa donation avec une partie contractant l'engagement de les remplir; que toutes ces transactions ont reçu le sceau de la loi, et qu'il en résulte diverses dotations assignées aux frais du culte, à l'entretien de ses ministres, et au soulagement des pauvres.

Je trouve alors que ces biens sont une propriété nationale, en ce qu'ils appartiennent collectivement au culte et aux pauvres de la nation.

ses droits de propriété, ni ceux de souveraineté ; et de même que ses représentants ne pourraient disposer de la couronne, qui lui appartient, mais seulement. régler l'exercice de l'autorité et des prérogatives royales, de même aussi ils ne pourraient, saus un mandat spécial, anéantir le culte public et les dotations qui lui sont assignées, mais seulement en régler mieux l'emploi, en réformer les abus, et disposer pour les besoins publies de tout ce qui se trouverait excédant au service des autels et au soulagement des pauvres.

Ainsi, messieurs, l'aveu du principe que les biens du clergé sont une propriété nationale n'établit point les conséquences qu'on en voudrait tirer. - El comme il ne s'agit point ici d'établir une vaine théorie, mais une doctrine pratique sur les biens ecclésiastiques, c'est sur ce principe même que je fonde mon opinion et un plan d'opérations différent de celui qui vous est présenté.

Le premier aperçu de la motion de M. l'évêque d'Autun m'a montréplus d'avantages que d'inconvénients; j'avoue que dans l'embarras où nous sommes, 1,800,000,000 disponibles au profit de l'Etat m'ont séduit; mais un examen plus réfléchi m'a fait voir, à côté d'une ressource fort exagérée, des inconvénients graves, des injustices inévitables; et lorsque je me suis rappelé le jour mémorable où nous adjurâmes, au nom du Dieu de paix, les membres du clergé de s'unir à nous comme nos frères, de se confier à notre foi, j'ai frémi du sentiment douloureux qu'ils pouvaient éprouver et transmettre à leurs successeurs, en se voyant dépouillés de leurs biens par un décret auquel ils n'auraient pas consenti.

Que cette considération, messieurs, dans les temps orageux où nous sommes, soit auprès de vous de quelque poids. C'est précisément parcequ'on entend dire d'un ton menaçant : Il faut prendre les biens du clergé, que nous devons être plus disposés à les défendre, plus circonspects dans nos décisions. Ne souffrons pas qu'on impute quelque jour à la terreur, à la violence, des opérations qu'une justice exacte peut légitimer, si nous leur en imprimons le caractère, et qui seront plus profitables à l'Etat si nous substituons la réforme à l'invasion et les calculs de l'expérience à des spéculations incertaines.

La nation, messieurs, en nous donnant ses pouvoirs, nous a ordonné de lui conserver sa religion et son roi; il ne dépendrait pas plus de nous d'abolir le catholicisme en France que le gouvernement monarchique; mais la nation peut, s'il lui plaît, détruire l'un et l'autre, non par des insurrections partielles, mais par un vœu unanime, légal, solennel, exprimé dans toutes les subdivisions territoriales du royaume. Alors les représentants, organes de cette volonté, peuvent la mettre à exécution.

Cette volonté générale ne s'est point manifestée sur l'invasion des biens du clergé; devons-nous la supposer, la prévenir? Pouvons-nous résister à une volonté contraire de ne pas ébranler les fondements du culte public? pouvons-nous tout ce que peut la nation, et plus qu'elle ne pourrait?

Je m'arrête à cette dernière proposition, parcequ'en y répondant je réponds à toutes les autres.

S'il plaisait à la nation de détruire l'Eglise catholique en France, et d'y substituer une autre religion, en disposant des biens actuels du clergé, la nation, pour être juste, serait obligée d'avoir égard aux intentions expresses des donateurs, comme on respecte en toute société celle du testateur; or, ce qui a été donné à l'Eglise est, par indivis et par substitution, donné aux pauvres; ainsi, tant qu'il y aura en France des hommes qui ont faim et soif, les biens de l'Eglise leur sont substitués par l'intention des testateurs, avant d'être réversibles au domaine national; ainsi la nation, en détruisant même le clergé, et avant de s'emparer de ses biens pour toute autre destination, doit assurer dans tout son territoire, et par hypothèque spéciale sur ses biens, la subsistance des pau

vres.

Je sais que ce moyen de défense de la part du clergé, très légitime dans le droit, peut être attaqué dans le fait. Tous les possesseurs de bénéfices ne sont pas également charitables, tous ne font pas scrupuleusement la part des pauvres.

Hé bien! messieurs, faisons-la nous-mêmes. Les

pauvres sont aussi nos créanciers dans l'ordre moral comme dans l'état social et politique. Le premier germe de corruption, dans un grand peuple, c'est la misère le plus grand ennemi de la liberté, des bonnes mœurs, c'est la misère; et le dernier terme de l'avilissement, pour un homme libre, après le crime, c'est la mendicité. Détruisons ce fléau qui nous dégrade, et qu'à la suite de toutes nos dissertations sur les droits de l'homme, une loi de secours pour l'homme souffrant soit un des articles religieux de notre constitution.

Les biens du clergé nous en offrent les moyens en conservant la dime, qui ne peut être abandonnée dans le plan même de M. l'évêque d'Autun, et qui cesserait d'être odieuse au peuple, lorsqu'il y verrait la perspective d'un soulagement certain dans sa dé

tresse.

Je ne développerai point ici le plan de secours pour les pauvres, tel que je le conçois dans toute son étendue; je remarquerai seulement qu'en réunissant sous un même régime dans chaque province les aumônes volontaires à des fonds assignés sur la perception des dimes, on pourrait facilement soutenir l'industrie languissante, prévenir ou soulager l'indigence dans tout le royaume.

Et quelle opération plus importante, messieurs, peut solliciter notre zèle? Cet établissement de première nécessité ne manque-t-il pas à la nation? les lois sur les propriétés remontent à la fondation des empires, et les lois en faveur de ceux qui ne possèdent rien sont encore à faire.

Je voudrais donc lier la cause des pauvres à celle des créanciers de l'Etat, qui auront une hypothèque encore plus assurée sur l'aisance générale du peuple français que sur les biens-fonds du clergé, et je voudrais surtout que les sacrifices à faire par ce corps respectable fussent tellement compatibles avec la dignité et les droits de l'Eglise, que ses représentants pussent y consentir librement.

Ces sacrifices deviennent nécessaires pour satisfaire à tous les besoins qui nous pressent, et je mets au premier rang de ces besoins le secours urgent à donner à la multitude d'hommes qui manquent de travail et de subsistance.

Ces sacrifices sont indispensables sous un autre rapport: si la sévérité des réformes ne s'étendait que sur le clergé, ce serait un abus de puissance révoltant; mais lorsque les premières places de l'administration et de l'armée seront réduites à des traitements modérés, lorsque les grâces non méritées, les emplois inutiles seront réformés, le clergé n'a point à se plaindre de subir la loi commune; loi salutaire, si

nous voulons être libres.

Enfin, ces sacrifices sont justes; car au nombre des objections présentées contre le clergé, il en est une d'une grande importance: c'est la compensation de l'impôt, dont il s'est affranchi pendant nombre d'années.

La liberté, messieurs, est une plante précieuse qui devient un arbre robuste sur un sol fécondé par le travail et la vertu, mais qui languit et périt entre le luxe et la misère. Oui, certes, il faut réformer nos mœurs encore plus que nos lois, si nous voulons conserver cette grande conquête.

Mais s'il est possible, s'il est raisonnable de faire dès à présent dans l'emploi des biens ecclésiastiques d'utiles réformes, de dédoubler les riches bénéfices. accumulés sur une même tête, de supprimer les abbayes à mesure qu'elles vaqueront, de réduire le nombre des évêchés, des chapitres, des monastères, des prieurés, et de tous les bénéfices simples, l'aliénation générale des biens du clergé me parait absolument impossible. J'estime qu'elle ne serait ni juste, ni utile. La suite au numéro prochain.

N° 74.

GAZETTE NATIONALE OU LE MONITEUR UNIVERSEL.

Du 14 au 15 OCTOBRE 1789.

ASSEMBLÉE NATIONALE.

Présidence de M. Fréseau.

SUITE DE LA SÉANCE DU MARDI 13 OCTOBRE.

Suite du discours de M. Malouet.

Si l'opération est partielle et successive à mesure des extinctions ou des réunions, je n'entends pas comment elle remplirait le plan de M. l'évêque d'Autun, comment pourraient s'effectuer le remplacement de la gabelle, le remboursement des offices de judicature, celui des anticipations, des paiements arriérés qui exigent, pour nous mettre au courant, une somme de 400,000,000. J'estime que toutes les ventes partielles et successives ne pourraient s'opérer en moins de trente années, en ne déplaçant pas violemment les titulaires et les usufruitiers actuels, et en observant de ne pas mettre à la fois en circulation une trop grande masse de biens-fonds, ce qui en avilirait le prix.

L'opération sera-t-elle générale et subite? Je n'en conçois pas les moyens, à moins de congédier à la fois tous les bénéficiers, tons les religieux actuels, en leur assignant des pensions. Eh! qui pourrait acheter? Comment payer une aussi grande quantité de biens-fonds? On recevra, dit-on, les porteurs de créances sur le roi; mais on ne fait pas attention qu'aussitôt que la dette publique sera consolidée, il n'y aura point de capitaux plus recherchés, parce qu'il n'y en aura pas de plus productifs; ainsi, peu de créanciers se présenteront comme adjudicataires.

Croit-on, d'ailleurs, que la liquidation des dettes de chaque corps ecclésiastique n'entraînera pas des incidents, des oppositions et des délais dans les adjudications, et que l'adoption d'un tel plan n'occasionnera pas très promptement la dégradation de ces biens, par le découragement qu'éprouveraient les propriétaires, fermiers, exploitateurs actuels?

Si dans ce système il n'y avait ni difficulté, ni injustice, relativement au clergé, c'en serait une, messieurs, que de faire disparaitre le patrimoine des pauvres, avant de l'avoir remplacé d'une manière certaine.

Qu'il me soit permis de rappeler ici toute la rigueur des principes; pouvons-nous anéantir cette substitution solennelle des biens de l'Eglise en faveur des pauvres?

Pouvons-nous, sans être bien sûrs du vœu national, supprimer généralement tous les monastères, tous les ordres religieux, même ceux qui se consacrent à l'éducation de la jeunesse, aux soins des malades, et ceux qui par d'utiles travaux ont bien mérité de l'Eglise et de l'Etat ? Pouvons-nous, politiquement et moralement, ôter tout espoir, tous moyens de retraite à ceux de nos concitoyens dont les principes religieux, ou les préjugés ou les malheurs, leur font envisager cet asile comme une consolation?

Pouvons-nous et devons-nous réduire les évêques, les curés, à la qualité de pensionnaires? La dignité éminente des premiers, le ministère vénérable des pasteurs, n'exigent-ils pas de leur conserver, et à tous les ministres des autels, les droits et les signes distinctifs de citoyen, au nombre desquels est essentiellement la propriété?

Je crois, messieurs, être en droit de répondre négativement à toutes ces questions.

10 L'aliénation générale des biens du clergé est Are Série, Tome II,

une des plus grandes innovations politiques, et je crois que nous n'avons ni des pouvoirs, ni des motifs suftisants pour l'opérer.

On vous a déjà représenté qu'une guerre malheureuse, une inva ion de l'ennemi, pourrait mettre en péril la subsistance des ecclésiastiques, lorsqu'elle ne serait plus fondée sur des immeubles, et cette considération doit être d'un grand poids, relativement à l'Eglise, et relativement aux pauvres qui lui sont affiliés.

On objecte que l'état ecclésiastique est une profession qui doit être salariée comme celle de magistrat, de militaire; mais on oublie que ces deux classes de citoyens ont assez généralement d'autres moyens de subsistance; que les soldats réduits à leur paie n'en sauraient manquer tant qu'ils sont armés.

Mais quelle sera la ressource des ministres des autels, si le trésor public est dans l'impuissance de satisfaire à tout autre engagement qu'à la solde de l'armée ? et combien de chances malheureuses peuvent momentanément produire de tels embarras!

2o En vendant actuellement tous les biens du clergé, la nation se prive de la plus-valeur graduelle qu'ils acquerront parle laps de temps, et elle prépare, dans une proportion inverse, l'augmentation de ses charges.

30 Je doute que l'universalité du peuple français approuve l'anéantissement de tous les monastères sans distinction. La réforme, la suppression des ordres inutiles, des couvents trop nombreux, est nécessaire; mais peut-être que chaque province et même chaque ville désirera conserver une ou deux maisons de retraite pour l'un et l'autre sexe.

40 Il est impossible que chaque diocèse ne conserve au moins un séminaire, un chapitre, et une maison de repos pour les curés et les vicaires qui ne peuvent continuer leur service.

Si on ajoutait à toutes ces considérations celle de l'augmentation nécessaire des portions congrues, et enfin, s'il vous paraît juste, comme je le pense, de ne déposséder aucun titulaire, non-seulement la vente générale des biens du clergé devient actuellement impossible, mais même dans aucun temps il ne serait profitable d'en aliéner au-delà d'une somme déterminée, que j'estime éventuellement au cinquième ou au quart; et le remplacement de cette aliénation doit être rigoureusement fait au profit des pauvres dans des temps plus heureux; car, selon tous les principes de la justice, de la morale et du droit positif, les biens du clergé ne sont disponibles que pour le culte public ou pour les pauvres.

Si ces observations sont, comme je le crois, démontrées, il en résulte :

10 Que, quoique les biens du clergé soient une propriété nationale, le corps législatif ne peut, sans un mandat spécial, convertir en pensionnaire de l'Etat une classe de citoyens que la volonté intérieure et spéciale de la nation à rendus possesseurs de biens-fonds, à des charges et conditions déterminées.

20 Que l'emploi de ces biens peut être réglé par le corps législatif, de telle manière qu'ils remplissent le mieux possible leur destination, qui est le culte public, l'entretien honorable de ses ministres et le soulagement des pauvres.

30 Que si, par la meilleure distribution de ces biens et par une organisation mieux entendue du corps ecclésiastique, les ministres de l'Eglise peuvent être entretenus et les pauvres secourus, de ma

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