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tant de la multiplication de 3 par 4, c'est-à-dire du ternaire par le quaternaire; c'est-à-dire que le monde universel est composé de 3 mondes particuliers qui, s'enchaînant l'un à l'autre au moyen de 4 modifications élémentaires, se développent en 12 sphères concentriques (1).

La condition unique sous laquelle se posent et se soutiennent, se forment et se conservent les choses du monde ou le monde des choses en une forme une et harmonique (xious), est la loi nécessaire de l'harmonie, dont dépendent et le monde dans sa totalité, et les existences dans leur forme individuelle. Car tout est par l'harmonie et la nécessité : Δοκεῖ δὲ αὐτῷ πάντα ἀνάγκῃ καὶ ἁρμου víz ívesta. Le principe de cette harmonie, l'ordonnateur divin de ce monde, un, intelligent, semblable à lui seul et dissemblable à toutes choses, la force générale de la nature, l'âme du monde (animus per naturam rerum omnium intentus et commeans) (2), embrasse l'univers par sa force motrice et vivifiante, le tient uni et traverse le tout, toujours immuable en lui-même, quoique moteur par son action.

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tiles du feu central, sont actives comme lui; unies temporairement à des corps terrestres, à des formes grossières et matérielles, elles s'en dégagent peu à peu pour reprendre leur pureté primitive, leur identité originelle avec leur principe, leur ressemblance éternelle avec le Dieu immortel (ὁμολογία πρὸς τὸν ev), pour s'unir et se conformer, dans cette haute autopsie ou théophanie, au Dieu-Être, et redevenir Dieu elles-mêmes (1).

Cette délivrance de l'âme dépend de la vertu et de la vérité. La vertu, qu'elle acquiert par la purification, tempère et dirige ses passions; la vérité, qu'elle obtient par son union avec l'Etre des etres, dissipe les ténèbres de son intelligence; l'une et l'autre, agissant de concert en elle, lui donnent la force divine et la conduisent à la suprême félicité.

Ainsi, et le principe éternel, et le feu central, et le soleil visible, et l'âme des hommes, et le centre des existences terrestres, tout est un, homogène dans sa nature (2).

De ce rapport intime, permanent et éternel de toutes choses dans l'unité du principe suprême, qui par sa force universelle pénètre et unit tout, il résulte que, dans le système du monde, tout ce qui est et advient est déterminé d'une manière nécessaire par les lois éternelles de l'harmonie, comme les nombres sortent nécessairement et harmonieusement les uns des autres, s'enchaînent et s'unissent dans leurs rap

L'organe immédiat et pur de cette force universelle est le feu éthéréen, Vesta ("Eoría). Le récipient pur et universel de cette puissance est l'espace infini, l'Olympe (6λs λáμño), qui entoure le monde formel et réel; et le feu éthéréen central, révélateur de l'esprit ordonnateur du monde divin, se révèle à son tour dans le feu sidéral, dans les astres, dans le soleil, poste d'observa-ports et forment le système invariable tion de Jupiter, principe de vie et de de l'immuable arithmétique. C'est donc chaleur dans la nature et dans les âmes

humaines.

Celles-ci, émanations pures et sub

(1) Diogène Laërce, 1. VIII, § 25. Plutarque, de Decret. philos., II, c. 6; Sext. Emp. adv. Math., X, 8249. Vie de Pythag., par Dacier. Tiedemann, Pythagoras Lehren, p. 347. (2) Cic., de Nat. deor.

(1) En laissant sur le cœur régner l'intelligence, Afin que, s'élevant dans l'éther radieux,

Au sein des immortels tu sois un Dieu toi-même. Instruit par eux, alors rien ne t'abusera; Des êtres différents tu sonderas l'essence; Tu connaitras de tout le principe et la fin. (Fabre, Vers dorés, p. 356.) (2) Tu sauras, si le Ciel le veut, que la nature, Semblable en toute chose, est la même en tout lieu

(Fabre, Vers dorés, p. 183.)

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l'inflexible nécessité qui régit le monde, | ces les plus variées, toujours le même qui domine l'univers; et le principe en lui, et toujours autre et différent de d'où émane cette loi mathématique né- lui-même dans sa manifestation phénocessaire, l'Etre primordial par qui est ménique. éternellement conservée l'harmonie, le Dieu du monde et de l'univers, n'est autre que le Fatum, qui gouverne, di- | rige, détermine inflexiblement toute chose.

2. Cette fatalité panthéiste, qui se résout, suivant l'avis de plusieurs, en un rigoureux hylozoïsme, est plus manifeste encore dans le système cosmogonique d'un des disciples de Pythagore, qui expose dans sa rigueur cette éternelle identité de l'univers et de son principe.

L'univers, dit Héraclite d'Éphèse (1), a toujours été et sera toujours un feu vivant, éternel, intelligent, s'allumant et s'éteignant d'après des lois certaines et déterminées. Le monde n'est qu'une substance ignée; le feu est l'être, le substratum de toutes choses : πῦρ ἀεὶ Soov. Cet être, qui a toujours été, est et sera, qui n'a ni origine ni terme, n'est pas l'élément visible dans la flamme; celle-ci est une forme qui passe et change, naît et meurt, paraît et disparaît comme les formes de la nature, comme la nature elle-même, qui, sans fixité et sans persistance, n'est qu'un écoulement perpétuel (pon), une émanation continue de la force active et du mouvement vivifiant de la nature foncière du feu, úñоxué. Toujours actif, toujours en mouvement, le feu éternel, principe de la vie physique et de la vie intellectuelle, force générale et raison universelle du monde (xcivòs λóyos), se manifeste par son expansion et sa concentration, par son action centrifuge et centripète, comme un véritable Protée, sous les formes les plus diverses, les espèces les plus multiples, les apparen

(1) 500 avant Jésus-Christ. Arist., de Anim., I, II. Tennemann, Hist. de la Philos.

3. Le philosophe qui avait inscrit sur la porte de son école : « Que nul n'entre »> ne dissiici s'il ne sait la géométrie! mulait point qu'il avait puisé sa doctrine théologique et cosmogonique dans les leçons des Pythagoriciens de la grande Grèce. Aussi est-ce dans la bouche d'un de ces disciples de Pythagore, Timée de Locres, avec lequel il avait beaucoup vécu (1), que Platon (2) met l'exposé le plus complet qui nous soit parvenu de ses idées sur Dieu, le monde et leur rapport. Si le panthéisme de Platon est moins explicite que celui de l'école italique, si le système de l'émanation y est moins formel, cette erreur cependant se déduit nécessairement des passages que nous allons transcrire : 1o parce que, posant une matière éternelle, tout ce qui est fait de cette substance matérielle est éternel comme la matière, et que les idées d'éternité et de divinité sont tellement corrélatives que Platon appelle le monde le Dieu engendré; 2o parce que l'âme que le Dieu suprême donne à ce monde pour l'animer est faite d'un mélange de la substance matérielle et de la substance divine proprement dite, et qu'ainsi elle est nécessairement consubstantielle avec le principe dont elle est tirée et rend consubstantiel avec celui-ci le monde, qu'elle unit à Dieu.

Il y a, dit le Locrien Timée (3), deux causes de tout ce qui existe : l'intelli

(1) Cic., de Finibus, V, 29; de Republ., I, 10. (2) De 430 à 348 avant Jésus-Christ.

(3) Euvres de Platon, trad. de V. Cousin, t. XII, p. 380 et suiv. Ce premier passage est extrait d'un petit traité sur l'Ame du monde, attribué à Timée de Locres, et qu'on reconnait comme l'œuvre apocryphe d'un néo-platonicien du premier ou du deuxième siècle avant l'ère chrétienne.

gence, cause de tout ce qui se fait avec dessein; la nécessité, cause de ce qui résulte forcément de la nature des corps. Tout ce qui existe est idée, ou matière, ou phénomène sensible né de leur union. L'idée n'est ni engendrée, ni mobile; elle est permanente, toujours de même nature, intelligible, modèle de tout ce qui, ayant pris naissance, est soumis au changement. La matière est le réceptacle de l'idée, la mère et la nourrice de l'être sensible. C'est elle qui, recevant en elle l'empreinte de l'idée et façonnée sur ce modèle, produit les êtres qui ont un commencement. La matière est éternelle, mais non immuable. Par elle-même dépourvue de forme et de figure, elle est susceptible de recevoir toutes les formes; elle devient divisible en devenant corps: elle est le lieu et l'espace. Tels sont les deux principes contraires dont Dieu composa le monde.

Dieu était bon (1); il voulut que toutes choses fussent, autant que possible, semblables à lui-même.

Dieu, voulant que tout fût bon, prit la masse des choses visibles, qui s'agitait d'un mouvement sans frein et sans règle, et du désordre il fit sortir l'ordre. Or celui qui est parfait en bonté n'a pu et ne peut rien faire qui ne soit très-bon. Il trouva que de toutes les choses visibles il ne pouvait absolument tirer aucun ouvrage qui fût plus beau qu'un être intelligent, et que dans aucun être il ne pouvait y avoir d'intelligence sans âme. En conséquence il mit l'intelligence dans l'âme, l'âme dans le corps, et il organisa l'univers de manière qu'il fût par sa configuration l'ouvrage le plus beau et le plus parfait. Ainsi ce monde est un animal véritablement doué d'une âme et

(1) OEuvres de Platon, trad. de V. Cousin ; Timée, t. XII, p. 119. Platonis philosophi quæ exstant, elc., Biponti, 1786, t. IX, p. 301, 311 et suiv.

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d'une intelligence par la Providence divine (1).

Tout ce qui a commencé doit être corporel, visible et tangible. Or rien n'est visible sans feu, ni tangible sans quelque chose de solide, ni solide sans terre. Dieu commença donc par composer le corps de l'univers de feu et de terre. Mais comme les corps solides ne se joignent jamais ensemble par un seul milieu, mais par deux, Dieu plaça l'eau et l'air entre le feu et la terre. C'est de ces quatre éléments réunis de manière à former une proportion qu'est sortie l'harmonie du monde. De plus Dieu donna au monde la forme la plus convenable et la plus appropriée à sa nature, la forme sphérique, ayant partout les extrémités également distantes du centre, ce qui est la forme la plus parfaite et la plus semblable à elle-même.

C'est ainsi que le Dieu qui existe de tout temps avait conçu le Dieu qui devait naître (2); il le polit, l'arrondit, en forma un tout, un corps parfait, composé de tous les corps parfaits. Puis il mit l'âme au milieu, l'épandit partout (3), en enveloppa le corps, et ainsi il fit un globe tournant sur luimême, un monde unique, solitaire, se suffisant par sa propre vertu, n'ayant besoin de rien autre que soi, se connaissant et s'aimant lui-même. De cette manière il produisit un Dieu bienheureux (4).

Mais Dieu ne fit pas l'âme la dernière, et voici de quoi et comment il la fit. Avec la substance indivisible et

(1) Δεῖ λέγειν, τόνδε τὸν κόσμον, ζῶον ἔμψυχον ἔννουν τε τῇ ἀληθείᾳ διὰ τὴν τοῦ θεοῦ YεVÉσOαι ярóvóαv. Platonis phil. quæ exstant, etc., Biponti, t. IX, 1786, p. 306.

(2) Οὗτος δὴ πᾶς ὄντως ἀεὶ λογισμὸς θεοῦ, περὶ τὸν ποιησόμενον θεὸν λογισθείς. Ιb., p. 311. (3) Διὰ παντός τε ἔτεινε, καὶ ἔτι ἔξω τὸ σῶμα αὐτῇ ἐπεκαλύψε. 16.

(4) Εὐδαίμονα θεόν. Ib., p. 312.

toujours la même, et avec la substance divisible et corporelle, il composa une troisième espèce de substance intermédiaire (1). De ce mélange il prit une partie égale à 384 unités, qu'il disposa suivant une double progression, et des quantités proportionnelles aux intervalles musicaux; et ceux-ci, formant les octaves au nombre de 36, donnè- | rent une somme totale qui fut celle des parties de l'âme.

çoit dans l'animal réellement existant, à l'imitation duquel est fait ce monde. Or il y en a quatre: la race céleste des dieux, les animaux ailés, ceux qui habitent les eaux et ceux qui marchent sur la terre.

Il composa l'espèce divine presque tout entière de feu et la distribua dans l'étendue du ciel, dont elle est le véritable ornement. Quand les astres, ces animaux divins et immortels, eurent ainsi pris naissance, l'Auteur de l'univers leur parla ainsi :

Dieux, issus d'un Dieu, écoutez mes ordres. Il reste encore à naître trois races mortelles : sans elles le monde serait imparfait. Appliquez-vous donc, selon votre nature, à former ces ani

Alors l'Auteur du monde construisit au dedans de l'âme tout ce qui est corporel, et, rapprochant l'un de l'autre le centre du corps et celui de l'âme, il les unit ensemble, et l'âme, infuse partout, depuis le milieu jusqu'aux extrémités, et enveloppant le monde circulairement, introduisit, en tournant sur elle-maux, en imitant la puissance que j'ai même, le divin commencement d'une vie perpétuelle et bien ordonnée pour toute la suite des temps.

Le Père du monde, voyant cette image des dieux éternels en mouvement, se réjouit, et dans sa joie il pensa à la rendre encore plus semblable à son modèle; et, celui-ci étant un animal éternel, Dieu résolut de faire une image mobile de l'éternité, et, par | la disposition qu'il mit entre toutes les parties de l'univers, il fit de l'éternité, qui repose dans l'unité, cette image éternelle, mais divisible, que nous appelons le temps. Pour en marquer et maintenir la mesure il fit naître le soleil, la lune et les cinq planè tés, auxquels il assigna les sept orbites qui forment le cercle de ce qui est di

vers.

Mais Dieu jugea encore qu'il fallait mettre dans ce monde des espèces d'animaux de même nombre et de la même nature que ceux que son esprit per

(1) Τῆς ἀμερίστου καὶ ἀεὶ κατὰ ταὐτὰ ἐχού σης οὐσίας, καὶ τῆς αὖ περὶ τὰ σώματα γενομένης μεριστῆς, τρίτον ἐξ ἀμφοῖν ἐν μέσῳ συν εκεράσατο οὐσίας εἶδος. Platonis, etc., p. 312.

déployée moi-même dans votre formation. Quant à l'espèce qui doit partager le nom des immortels, être appelée divine et servir de guide à ceux des autres animaux qui voudront suivre la justice et vous, je vous en donnerai la semence et le principe. Vous ensuite, ajoutant au principe immortel une partie périssable, formez-en des animaux ; faites-les croître en leur donnant des aliments, et après leur mort recevezles dans votre sein. Il dit, et, dans le même vase où il avait composé l'âme du monde, il mit les restes de ce premier mélange et les mêla à peu près de la même manière. Ayant achevé le tout, Dieu le partagea en autant d'âmes qu'il y a d'astres, en donna une à chacun d'eux et leur expliqua ses décrets inviolables. La première naissance sera la même pour tous; chaque âme, placée dans celui des organes du temps qui convient le mieux à sa nature, deviendra un animal religieux; quand, par une loi fatale, les âmes seront unies à des corps, celle qui passera honnêtement le temps qu'il lui a été donné de vivre retournera après sa mort vers l'astre qui lui est échu et partagera sa

félicité. Celle qui aura failli sera changée en femme à la deuxième naissance, et, si elle ne s'améliore pas dans cet état, elle sera changée successivement, suivant le caractère de ses vices, en l'animal auquel ses mœurs l'auront rendue semblable; et ses transformations et ses supplices ne finiront point avant que, domptant par la raison la masse élémentaire turbulente et désordonnée, elle se rende digne de recouvrer sa première et excellente condition.

4. Aristote (1) suivit durant vingt ans les leçons de Platon, sans paraître l'avoir compris. Sa raison forte et subtile ne put s'élever à la hauteur de l'intelligence du maître. Les idées platoniciennes ne furent pour lui que des abstractions, des notions générales, sans réalité, sans vérité, formées d'une manière contraire aux procédés réguliers et logiques de la raison, dont il resta, dans la suite des âges, le législateur suprême. Aussi prit-il à tâche de combattre dans tous ses ouvrages la doctrine de l'Académie, pour y substituer un système complétement rationnel, si difficile à saisir qu'au dix-neuvième siècle on se demande encore, dans le monde savant et philosophique, ce qu'a prétendu établir le philosophe de Stagyre, et qu'on a disputé, durant tout le moyen âge, sur la question de savoir si Aristote croyait ou ne croyait pas en un Dieu, en des dieux supérieurs à l'homme. S'il y croyait, certes, ce n'était qu'à la manière des panthéistes. Son dieu n'est pas un Dieu personnel; son dieu est la Raison même de l'homme déifiée, ou plutôt son dieu n'est que le produit le plus pur et le plus élevé, la notion la plus haute et la plus générale de la raison, abstrayant et extrayant des individus ce qui est commun à tous et n'est rien en soi, ce qui appartient

(1) De 447 à 384 avant Jésus-Christ.

substantiellement à chaque être individuel et n'existe dans son universalité que dans et par la raison de l'homme, à savoir la notion pure et universelle de l'Étre.

Enseigner, démontrer, dit Aristote (1), c'est le propre de la science.

Or, démontrer, c'est prouver une conséquence par un principe, un effet par la cause. L'expérience donne les faits, la science la raison des faits, et c'est la cause qui est cette raison. La philosophie première est donc, comme toute science, une science de causes ou de principes; elle est la science des premiers principes. La science a, comme la nature, son commencement et sa fin.

Si la suite des causes n'avait pas de bornes, la démonstration, qui est la preuve par les causes, irait à l'infini. Or la pensée ne finirait jamais de traverser l'infini; la science serait donc impossible. Point de causes sans des causes premières dont tout vienne et qui ne viennent de rien; point de science sans des principes d'où descende la démonstration et qui ne se démontrent pas.

Toutes les causes se ramènent à un nombre de classes déterminées. Tout être qui n'est pas sa cause à lui-même est le produit de quatre causes ou de quatre principes qui déterminent et remplissent toutes les conditions de l'existence réelle : la matière, la forme, la cause motrice et la cause finale.

Prises en elles-mêmes, dans l'expression abstraite de leur causalité, les causes ne sont que des points de vue gé

(1) Aristotelis opera, Basileæ, 1531: Metaph.,

I, VII, XIII, passim; de Anim., passim. Cic., de Nat. deor., passim. F. Ravaisson, Essai sur la Métaphysique d'Aristote, ouvrage couronné

par l'Institut (Académie des Sciences morales et politiques), t. I, p. 347, 581, 585, 595 et passim. La plupart des passages de notre analyse sont extraits de cet ouvrage.

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