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Mais il est d'autres maux, qui ne le sont pas moins, et qui se font sentir plus spécialement dans les élections des évêques et des patriarches. Comme ceux-ci ont besoin de l'approbation formelle du sultan pour être institués de droit sur les siéges qui existent dans le territoire de la Porte, leurs manoeuvres pour l'obtenir sont du genre de celles que le Prince des Apôtres châtia dans la personne de Simon le Magicien, et que l'Eglise condamna dès les premiers siècles de la manière la plus énergique et la plus sévère. Les pachas, les cadis et les amis du gouvernement reçoivent, comme prix de chaque approbation, des sommes convenues d'avance et que l'élu paie sans aucun scrupule, avant même que son métropolitain lui ait imprimé le sacré caractère par l'imposition des mains.

Ce trafic est public à tel point et se pratique avec si peu de retenue, que le successeur de Mahomet le reprochait aux successeurs de Photius en leur disant, dans un firman: « Il faudra user à l'avenir d'une plus grande » circonspection dans le choix des ministres et s'attacher » surtout à éloigner tous ceux qui ont le cynisme de » dire: Je jouis d'une dignité que j'ai payée de mon ar» gent. » On ne peut expliquer que par ce commerce indigne les changements d'évêques si fréquents dans les diocèses de la Turquie, et l'on doit en chercher l'origine dans l'intérêt matériel de certains hommes influents, à qui il importe de voir souvent de nouvelles élections épiscopales, parce qu'ils y trouvent l'occasion d'augmenter leurs revenus.

Le genre d'éducation que reçoit le clergé grec ne permet pas d'espérer de ses membres une conduite plus régulière. Là, en effet, ce n'est point l'usage d'élever au sacerdoce des jeunes gens instruits avec soin dans les sé

minaires, ou de placer sur la chaire épiscopale ceux qui ont vieilli dans l'étude des sciences ecclésiastiques. Un homme des champs, un apprenti de métier, le valet d'une famille quelconque, sont ordinairement ceux qui arrivent au sacerdoce, sans autre vocation que le cri bien impérieux de leur pauvreté, sans autre titre que leur audace et sans autre aptitude qu'une connaissance médiocre de la langue qu'on parle dans le pays.

Lorsque je voyais en Grèce les prêtres assis devant la porte de leur maison, vêtus comme de simples ouvriers, fumant leur pipe au milieu de leurs enfants, menant une vie oiseuse et aussi inutile à la société dont ils font partie qu'à la religion dont ils se disent les ministres; lorsque dans l'Asie Mineure, dans la Syrie et à Antioche, je les voyais se promener sur les marchés, s'asseoir près des comptoirs des marchands ou sur les bancs des cabarets, et lorsque, dans un village de Palestine, je vis le curé sortir d'un cercle de gens qui jouaient au milieu de la rue, pour aller recevoir des personnes désireuses de visiter un sanctuaire de son église, je ne trouvais rien d'extraordinaire à des scènes aussi inconvenantes, parce qu'elles sont une conséquence nécessaire du manque d'éducation dont je viens de parler.

Et que l'on ne croie pas meilleure celle que reçoivent dans les cloîtres les moines, aux mains desquels retombe toujours le bâton pastoral: à de légères exceptions près, nous trouvons enracinés chez ceux-ci la même ignorance et les mêmes défauts que chez ceux-là. Les domestiques et les familiers des évêques sont ordinairement appelés à leur servir de coadjuteurs dans les fonctions de leur ministère, et les métropolitains spécialement, grâce à l'étendue de leurs pouvoirs, commettent encore de plus grands abus dans l'institution des évêques. Ramas

ser de l'argent pour arriver plus tard aux dignités, telle est l'occupation favorite des moines qui se trouvent avoir de plus grands talents et de meilleures protections que leurs rivaux.

Il est triste, sans doute, de descendre à des faits personnels; mais il n'y a rien de sacré comme les intérêts de la vérité, rien d'aussi juste que de faire valoir tout ce qui peut servir la plus sainte des causes. Sans un pareil désordre, nous ne verrions pas aujourd'hui, par exemple, le portier du temple du Saint-Sépulcre institué patriarche de Jérusalem (1), ni le domestique de l'évêque d'Alep consacré par son maître pour lui succéder, et, s'insurgeant plus tard contre son autorité, passer du schisme grec au protestantime anglican. Que peut espérer la religion de semblables hommes? Un sort aussi triste que celui qui l'afflige en Orient, ou une dégradation aussi bonteuse chez ses ministres et ses croyants que celle que l'on remarque chez les schismatiques dans le monde entier.

Tout ce que la main de l'homme arrache de son centre pour le faire servir à des objets étrangers à sa fin, perd dès lors la dignité qu'il avait reçue dans son origine, et, quelque saint qu'il soit, finit par tomber dans la plus entière nullité. Puissent les hommes, profitant du triste exemple qui leur est offert dans les Eglises d'Orient, arrachées à l'unité catholique par l'ambition, et retenues loin d'elle par l'orgueil et par les autres vices, s'abstenir de porter la main sur les choses saintes, en les détournant de la fin à laquelle les avait prédestinées la providence ineffable de leur divin Auteur !

(1) Cyrille, précédemment évêque de Lydda et aujourd'hui (1854) patriarche de Jérusalem.

Les monastères, qui, pendant les six premiers siècles du christianisme, furent la plus belle parmi les fleurs que renfermait dans son sein l'Eglise de Jésus-Christ, ont vu leur éclat se ternir, s'effacer sous l'action délétère du schisme et dégénérer en quelque chose d'informe qui ne s'harmonise que trop avec les autres difformités des dissidents. L'esprit qui anima jadis les illustres Pères du désert, Antoine, Basile, Sabas et Macaire, a quitté leurs monastères en même temps que la charité qui les unissait au corps mystique, dont le chef est le Fils de Dieu, et son vicaire sur terre le Pontife romain.

Cette charité a cédé la place à la convoitise, qui pousse les moines modernes dans une voie de transactions inconvenantes chez des personnes qui ont promis à Dieu de vivre dans une rigoureuse pauvreté, et les évêques adjugent au plus offrant la dignité abbatiale ou l'archimandritat, comme on pourrait adjuger la fourniture d'un article quelconque, pour un établissement public, à un spéculateur de profession. Tel est le motif pour lequel les emplois dans les monastères de la Palestine ont une si grande importance, particulièrement dans ceux auxquels est confié le soin d'un sanctuaire ou qui possèdent quelque souvenir vénérable à un titre quelconque.

Je n'oublierai jamais que les moines de Saint-Sabas, en recevant cinquante piastres turques (1), par lesquelles je voulais leur payer l'hospitalité d'une nuit passée dans leur monastère, sans qu'ils m'eussent rendu le moindre service, dont je n'avais nul besoin du reste, me dirent : « Donnez-nous un peu plus, car nos construc

(1) Deux pesos d'Espagne, dix francs de France et huit schellings d'Angleterre.

tions nous reviennent bien cher... » Je n'oublierai pas davantage que l'archimandrite arménien, gardien du saint Sépulcre, remplissait son office moyennant un versement de trente mille piastres dans la caisse du patriarche, qui lui assurait pour deux ans la possession d'un emploi grâce auquel il pouvait exploiter la dévotion des pauvres pèlerins de sa communion. Telle est la charité. des monastères de l'Eglise d'Orient! Amasser de l'argent pour acheter plus tard la dignité épiscopale, telle est l'unique préoccupation de leurs religieux.

On trouve encore moins parmi eux le zèle apostolique, ce noble caractère imprimé sur le front de son Eglise par le Sauveur du monde. Tandis qu'une des plus belles pages de l'histoire de l'Eglise d'Occident est sans contredit celle où sont inscrits les travaux évangéliques des enfants de saint Benoît, de saint Dominique, de saint François, de saint Ignace de Loyola et de saint Vincent de Paul; tandis que des milliers de prêtres de toutes les nations, élevés dans les séminaires de ces religieux, pénètrent dans les régions les plus lointaines, quelque inaccessibles qu'elles paraissent; tandis que cette nouvelle Sion peut affirmer en toute vérité qu'elle a invité les enfants d'Adam de toutes les tribus et de toutes les nations de la terre, depuis l'Orient jusqu'à l'Occident et du Septentrion au Midi, à venir prendre place au grand banquet de l'Evangile, l'Eglise d'Orient a révélé toute son incapacité pour une œuvre si importante aux yeux de la foi.

A mesure qu'elle s'éloigne davantage de l'unité, sa force d'action disparaît, et le défaut d'esprit apostolique devient plus sensible en elle. Ses prêtres ont perdu, dans le mariage, la vocation à l'exercice de l'apostolat, et ses moines l'ont perdu aussi par l'oubli total des sta

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