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Et en

é.

La même chose à peu près arriva dans le Dauphiné. Vireville
Dauphi Gouverneur de Montelimar fit mettre une partie des Catholiques
fous les armes, & y fit venir plusieurs de fes vaffaux d'un quar-
tier de cette Province qu'on apelle les Baronnies. Pluvinel Gou-
verneur de Crêt fuivit cet exemple; & ce peuple armé voyant
paffer un Propofant, que quelqu'un accufa d'avoir prêché à Châ-
teaudouble, fe jetta fur ce jeune homme, & l'auroit tué fi quel-
ques perfonnes moderées ne l'avoient tiré de danger, après qu'il
eut été fort mal-traité, & tout couvert de bleffures. L'Evêque
de Valence empêcha les Catholiques de fa ville de prendre les
armes; mais il leur promit de faire venir des troupes dans la Pro-
vince; & en effet il écrivit en Cour pour cela, comme avoient
déjà fait Vireville & Pluvinel. Il n'étoit pas mal-aisé de leur
donner ce qu'ils demandoient, parce que le Roi qui tenoit au
milieu de la paix beaucoup de troupes fur pied, afin de donner
de la jaloufie à fes voifins, & d'être en état de fe vanger au
moindre deplaifir qu'ils lui donneroient, pouvoit aisément fe fer-
vir de ces troupes pour le faire obeïr dans le Royaume. D'ail
leurs il y avoit toûjours quelques troupes en marche, qu'on fai-
foit paffer continuellement d'une Province à l'autre, afin d'être
prêtes à punir les premiers mouvemens de fedition, que la feve-
rité du gouvernement pouvoit faire naître.

H

1683. perfuafion du contraire, puis qu'ils aimoient mieux fouffrir tou

te forte de malheurs, que de rentrer dans cette Communion; &

on faifoit voir que la contrainte n'étoit pas un moyen legitime de

les y reduire. On exaggeroit en termes fort fages la force de la

repugnance que les Reformez avoient pour la doctrine, les tra-

ditions, le culte, le gouvernement de l'Eglife Romaine; & cel-

le de l'attachement qu'ils avoient pour leur propre Religion : &

on tâchoit de faire voir qu'il n'y avoit pas de juftice à vouloir les

rendre odieux, & les faire perir par cette feule raison. Les moyens

inouïs dont on s'étoit fervi en divers lieux pour faire des conver

fions étoient rapportez en abregé; & on se plaignoit de ce que le

fuccés de ces indignes expediens étoit representé au Roi comme

une benediction de Dieu, & un effet de fa grace. On remar-

quoit que les artifices du Clergé reduifoient les Reformez à ne fa-

voir quel party prendre : qu'on traittoit de rebellion leur plus mo-

defte refiftance aux effets de la paffion du Clergé : & que d'un

autre côté, quand ils portoient l'obeïffance au dernier degré, on

faifoit paffer leur patience pour une marque de leur difpofition

à faire tout ce que le Roi leur commanderoit ; & d'un defir se-

cret qu'ils avoient qu'on les ramenât à la Religion Romaine par

une douce contrainte. On renouvelloit la proteftation de vou

foir fubir toute forte d'extremitez, plûtôt que de renoncer à la

Religion Reformée. On rappelloit le fouvenir de la fidelité de

ceux qui en faifoient profeffion, reconnuë par le Roi même ; &

on remontroit qu'il étoit jufte par confequent, qu'il leur fit ref-

fentir l'effet de la protection que les Souverains accordent à leurs

fujets fideles. Pour s'accommoder à la Politique du tems, on al-

loit jufqu'à dire que les Rois ne doivent rien à leurs fujets ; &

que cette protection même que les Reformez demandoient au

Roi, ne leur appartenoit que comme une chofe à laquelle il vou-

loit bien fe lier foi même. Cela étoit suivi de diverses confidera-

tions fur les Edits anciens & nouveaux, & fur la divifion & l'a-

nimofité que les maximes des Jefuïtes entretenoient entre les

François : & enfin en remarquant qu'il ne reftoit plus qu'une vai-

ne ombre de l'Edit de Nantes, on fupplioit le Roi de le retablir

entierement.

Châ-

menagé, refpectueux. Les expreffions étoient humbles & mo- 1613,
deftes; les confiderations fortes; les faits importans & verita-
bles: & il faut avouer à la louange des Directeurs, qu'entre tou-
tes les pieces qui ont été dreffées fur le fujet de la Religion, il
ne feroit pas aifé d'en trouver un grand nombre de plus folides,
& de plus belles que celles qu'ils écrivirent. Mais les machines.
preparées pour detruire les Reformez étoient fi fortes, qu'il n'y
avoit pas d'apparence de les demonter par des paroles. Cepen-
dant la division où étoient les Eglifes n'empêchoit pas qu'il ne se
fit des Assemblées : & fi on veut juger des chofes par les mar-
ques de l'embarras où cette entreprife jetta les perfecuteurs, on
peut dire qu'elle auroit eu de plus grands & peut-être de plus heu-
reux effets, fi toutes les Eglifes l'avoient foutenue. Mais le pe-
tit nombre de ceux qui appuyoient le projet, & qui bien loin
d'être protegez par ceux qui avoient le même interêt, fe voyoient
accablez de leurs oppofitions & de leurs reproches, fit juger
qu'on viendroit à bout aifément de ce party defavoüé. Cela don- Entrepris
na le courage à la Baume Châteaudouble, Confeiller au Parle-es de
ment de Grenoble, qui avoit fait interdire l'exercice dans cette teandons
Seigneurie qui lui appartenoit, de s'oppofer à la continuation
des Affemblées qu'on y avoit faites dêjà plufieurs fois, malgré
les defenses. Il fit prendre les armes à tout ce qu'il put ramaffer
de gens, pour diffiper à force ouverte l'Affemblée qui fe devoit
faire au même lieu le huitiéme d'Août : mais les Reformez ayant
eu avis de fon deffein, porterent fecrettement des armes pour fe
defendre : & cette precaution rompit les mesures de leur enne-
mi, qui n'osa les attaquer. Il s'étoit trouvé à cette Affemblée
un honnête homme, nommé la Blache, à qui Châteaudouble
youloit beaucoup de mal, pour des raisons d'interêt : & contre
qui même il avoit fait rendre au Parlement un decret de prise de
corps. Cet ennemi donc voulut lui faire porter la peine de ces
mouvemens, & fe vanger des autres chagrins qu'il avoit reçus de
lui. C'est pourquoi ayant laiffé retirer ceux qui s'étoient trou-
vez à l'affemblée, il envoya fon monde la nuit fuivante affieger la
Blache dans fa maifon. Čes troupes étoient compofées de vingt-
fix hommes à cheval, & d'environ deux cens hommes de pied,
Elles ne purent forcer cette maifon, quoi que la Blaché n'eût
qu'un feul homme avec lui. Elles perdirent même un de leurs
Tomé V.
hom

Nnnn

ble.

1683. hommes, qui fut tué en voulant rompre la porte; & elles prirent l'épouvante à la parole d'une fervante, qui s'écria que le fecours approchoit. Ce fecours n'arriva neanmoins que quelques heures après la retraite de ces troupes: & il s'y trouva environ cinq cens hommes, qui conduifirent la Blache dans une maifon qui appar tenoit à de Durant Gentilhomme fon voifin, & fon proche pa rent Après cela ces trouppes fe retirerent; à la priere même de la Blache & de fon coufin.

Suite des

mouve

mens.

Rufes des

ques.

:

Mais Châteaudouble irrité de ces affronts qu'il avoit reçus, amaffant encore du monde pour tenter une troifiéme entreprife, ces deux hommes en furent avertis, & retinrent auprès d'eux quelques amis qu'ils raffemblerent; & en même tems ils écrivirent au premier Prefident, pour se plaindre de ces violen ces. Châteaudouble intercepta la lettre ; & la retint après l'avoir lue. Cependant l'Evêque de Valence s'entremit d'accommodement; & fit porter parole à ces deux amis par un Gentilhomme, que s'ils vouloient faire retirer leur monde, Châteaudouble n'entreprendroit rien ; & qu'il fe chargeoit d'obtenir l'amniftie de ce qui s'étoit paffé. De Durant & la Blache accepterent la mediation de l'Evêque, & congedierent leurs amis mais le même jour, au prejudice de la parole donnée, Châteaudouble fit enlever trente-deux de ceux qui fe retiroient, & les fit conduire en prifon. Les autres craignant un femblable traitement, s'ils fe ren doient chez eux, fe raffemblerent à la Baume-Corneillane, & s'y trouverent environ deux cens. La même nuit fix ou fept cens Catholiques de la montagne de Vercors prirent les armes, & parurent le lendemain fur les hauteurs qui environnent la vallée de Quint; dans la pensée d'aller piller les Reformez habitans de cette vallée, qu'on leur avoit dit qui étoient allez à Châteaudou ble. Mais les Reformez n'ayant pas quitté leurs maisons, se mirent en état de fe defendre. Ce tumulte n'alla pas loin.. St.Ferriol Gouverneur de Die fit quitter les armes aux deux partis ; & renvoya les Catholiques chez eux.

Cependant ceux qui s'étoient retirez à la Baume-Corneillane Catholi fe plaignirent de la mauvaife foi de Châteaudouble ; & recla merent les prifonniers. L'Evêque de Valence leur promit fûreté pour leurs perfonnes, & delivrance des prifonniers, pourveu qu'ils fe rendiffent dans leurs maifons; & l'Intendant de Dauphiné leur don

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