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salutaire que depuis que la création des routes départementales et l'application des agents voyers aux chemins vicinaux de grande communication ont intéressé les localités d'une manière sérieuse aux progrès de la viabilité.

Le principal vice des travaux des ingénieurs de l'État, c'est leur excessive cherté. « MM. les ingénieurs, dit avec raison M. Lequien 1, se préoccupent plus des résultats que de la dépense, soit parce qu'ils visent moins à l'économie qu'à l'extrême perfectionnement de leurs travaux, soit pour toute autre cause qu'il est inutile de rechercher. Telle route départementale infiniment moins fatiguée que tel chemin de grande communication coûte beaucoup plus en entretien annuel. Je pourrais citer tel département où le prix moyen de l'entretien du mètre de route départementale est de 0,58 c., et celui du mètre de chemin de grande communication de 0,27 c., quand, d'une part, il est parmi ces chemins des voies fréquentées journellement par 400 colliers, et quand, d'autre part, il est plusieurs de ces routes dont pas une n'atteint ce chiffre de fréquentation, et qui comptent à peine 30 colliers. Je pourrais encore ajouter que tel chemin de grande communication qui, la veille de son érection en route départementale, coûtait annuellement dans le service vicinal de 5 à 6,000 fr. de frais d'entretien, exige, d'après les devis de MM. les ingénieurs, le lendemain d'un classement qui n'ajoute rien à son utilité, une dépense triple et quadruple. »

1 Recherches sur la situation financière des communes et des départements.

Nos chemins de fer n'ont pas moins souffert de l'excès de la centralisation; le parcours de ceux qui ont été construits jusqu'à ce jour en France s'élève à peine à la moitié de ceux qui existent en Angleterre, et au tiers des chemins allemands.

La concentration des travaux publics dans le corps des ponts-et-chaussées substitue l'esprit routinier d'une hiérarchie rigoureuse à l'esprit d'invention et de spontanéité. Les travaux sont bien faits, mais ils coûtent énormément et sont répartis sans intelligence. Chaque localité sollicite un pont, une route, un chemin de fer avec d'autant plus d'ardeur qu'elle sait que l'État en fera les frais, et l'on se fait auprès de ses commettants un titre électoral du succès de ses sollicitations. Pour satisfaire tout le monde, on commence beaucoup de travaux ; on en termine peu, et l'on perd en intérêts de capitaux improductifs ou en dégradations de matériaux entassés une partie des sommes affectées aux constructions projetées.

Un des plus graves inconvénients de cette concentration, c'est l'impossibilité de mettre la répartition des travaux publics en harmonie avec les besoins essentiellement variables des classes laborieuses.

Un partisan zélé de la centralisation, M. Thiers, signale ce vice dans son rapport sur l'assistance publique. «En général, dit-il, l'État fait comme l'industrie; il promet beaucoup, et même trop en de certains moments, pour s'arrêter ensuite tout-à-coup dans certains autres, dans ceux où il faudrait le moins s'arrêter. Si, par exemple, il y a des fournitures qu'il exécute régulièrement tous les ans, il y a des travaux

qu'il exécute concurremment avec ceux de l'industrie privée, et précisément quand elle est le plus pressée d'achever ce qu'elle a entrepris. Il arrive ainsi qu'on veut tout faire à la fois, les travaux privés et les travaux publics. Cette simultanéité tient à une cause fort simple. C'est dans les temps calmes, heureux, où les ressources abondent, où l'activité des esprits est dirigée vers les grandes spéculations, que l'industrie entreprend le plus d'ouvrages à la fois. Le même sentiment qui excite l'industrie privée agit sur le gouvernement. On vient lui demander d'ouvrir telle route ou tel canal; on vient lui rappeler que les temps étant prospères, c'est le cas de pourvoir à telle ou telle partie de la défense nationale, à laquelle il serait trop tard de pourvoir si les temps devenaient difficiles, si les ressources venaient à faire faute. Il est piqué d'honneur, il veut, lui aussi, s'honorer par des entreprises utiles, et, cédant à l'ardeur générale, il travaille de son côté autant que l'industrie travaille du sien. Alors les matériaux manquent et renchérissent; les ouvriers manquent également et leur nombre s'accroît en proportion du besoin. Il ne suffit plus des ouvriers nationaux, il faut recourir à des bras étrangers. Il s'ensuit des élévations de salaires qui trompent l'ouvrier lui-même, qui lui persuadent que cette prospérité sera durable, qui le portent à dépenser en proportion de ce qu'il gagne, et à se créer des besoins factices auxquels il ne pourra bientôt plus satisfaire. Nous citerions sans peine tel département où les bras manquent pour la moisson, parce que, dans un rayon très-rapproché, on construisait à la fois un canal, un

chemin de fer, des aqueducs, des viaducs, des ponts; travaux, il est vrai, magnifiques, mais exorbitants. Qu'une disette arrive, comme nous l'avons vu, après cette disette une révolution, l'industrie s'arrête, le gouvernement aussi, parce que ses ressources dépensées à l'avance lui manquent pour le moment où il en aurait besoin. On voit alors un double chômage, celui de l'industrie et celui de l'État, et des milliers d'ouvriers se promenant oisifs sur nos places publiques, où ils deviennent les dociles et funestes instruments des factions. >>

Le remède à cet état de choses indiqué par le rapporteur consisterait à créer, au ministère des travaux publics, une section de travaux réservés d'où partiraient, dans les moments de crise, des commandes dont l'objet principal serait d'obvier au chômage des industries particulières; mais fût-il possible de trouver une combinaison financière qui permît de régler la marche des travaux de l'État, de les ralentir à des époques déterminées, comme ces eaux vivifiantes qu'un agriculteur habile retient ou précipite à volonté, suivant les besoins de ses champs, cette institution offrirait le grave inconvénient de consacrer le droit au travail sous sa forme la plus périlleuse.

Quel serait, en effet, le juge des cas de chômage qui donneraient droit de prendre part au travaux réservés? ne seraient-ce pas les ouvriers eux-mêmes; et comment procéderaient-ils, sinon par des réclamations d'abord pacifiques, et puis par l'émeute?

Joignez à cela que la plupart des grandes industries de l'État ont leur siége dans la capitale. C'est

donc à Paris que le système des travaux réservés appellerait les ouvriers oisifs, tandis que tous les efforts d'un homme d'État prévoyant doivent tendre aujourd'hui à les disperser dans les départements et à les fixer dans leurs communes!

Le système des travaux réservés offrirait un autre inconvénient; il tendrait à multiplier les travaux faits par l'Etat, qu'il serait, au contraire, si urgent de restreindre. Oui, l'Etat a aujourd'hui beaucoup de travaux à offrir. Les tabacs, les monnaies, l'imprimerie nationale, les routes, les chemins de fer, les commandes de la guerre, de la marine, de l'intérieur occupent un grand nombre d'ouvriers; mais parmi les monopoles que l'Etat s'est réservés, s'il en est quelques-uns d'utiles, plusieurs doivent être supprimés, car tout ce que l'industrie particulière peut faire, l'Etat le fait moins bien et plus cher.

Sous tous ces rapports, et abstraction faite des difficultés d'exécution, nous ne croyons pas que la création au ministère des travaux publics d'une division des travaux réservés fût réellement profitable aux classes laborieuses.

Ici comme ailleurs, il faut s'attaquer résolûment aux abus de la centralisation administrative et rendre aux administrations locales la part légitime qui leur revient dans la direction des travaux d'utilité publique qui les

concernent.

Un conseil général disposant, pour des travaux d'utilité départementale, des ressources ordinaires ou facultatives de son budget, n'a besoin de recourir ni à l'Assemblée législative, ni au gouvernement, ni même

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