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Paris était devenu l'aveugle instrument des vengeances du roi de Navarre. « Les Etats du Languedoc assemblés << à Montpellier ordonnèrent, dit D. Vaissette, et pour a la garde du pays, la levée pendant trois mois, à << compter depuis la Saint-Jean-Baptiste, de deux de«niers par livre, sur toutes les denrées et marchan<< dises qui seraient vendues. » Encouragés par cet exemple, les Etats particuliers de plusieurs autres provinces rivalisèrent de zèle pour rétablir le pouvoir royal; et c'est au concours bienveillant de leurs subsides que la France dut la rançon et la délivrance de son souverain.

Le roi Jean, rentré en France, imposa à la langue d'Oil, par une ordonnance du 5 décembre 1360, unc contribution sous le nom d'aide légitime. Les pays de la langue d'Oc offrirent un équivalent sans avoir été imposés. Du traité de Brétigny, rejeté en masse, dans l'assemblée de 1359, par les Etats de la langue d'Oil, ceux de la langue d'Oc n'effacèrent qu'une seule clause, celle qui donnait aux Anglais la Guyenne et la Gascogne. «Ils ne voulurent mie, dit Froissard, du premier obeir à eux, ni eux rendre au roi d'Angleterre, quoique le roi de France les quittât de foi et d'hommage, car il leur sembloit à trop grande adversité, si aux Anglois obéir leur convenoit. »

C'est aussi du Languedoc que partit, sous Charles-leSage, l'énergique et généreux mouvement qui poussa les provinces libres au secours des provinces courbées sous le joug anglais, et qui chassa le prince de Galles

1 T. IV, p. 296.

de la plupart des places fortes, dont il avait été investi par le traité de Brétigny. Le franc alleu de Languedoc, l'un des priviléges les plus importants de la province, fut, au dire de quelques-uns, la récompense des services rendus dans les guerres contre les Anglais '.

Le malheureux règne de Charles VI fut, comme les précédents, signalé par les généreux sacrifices des pays d'Etats. Les Etats provinciaux s'assemblèrent sur divers points. Les bailliages du Velay, du Valentinois et du Vivarais firent, en 1381, avec les sénéchaussées d'Auvergne et du Gévaudan, une confédération pour la défense commune, et fournirent des subsides pour la délivrance du territoire. Les États de Rouergue établirent én 1385 une imposition locale pour assurer la tranquillité des grands chemins que troublaient d'audacieux aventuriers; ceux du Languedoc, réunis à Rodez en 1387, votèrent pour l'expulsion des Anglais 250,000 livres d'or : cet exemple fut imité, en 1390, par les trois États de la sénéchaussée du Limousin. Les Etats du Dauphiné, réunis à Romans de 1398 à 1 400, votèrent, à l'occasion du mariage de la fille de Charles VI avec le roi d'Angleterre, une taille de 4 gros par feu sur tous les contribuables. Plus tard, les factions rivales des Bourguignons et des Armagnacs furent apaisées par l'intervention des Etats du Gévaudan, qui profitèrent, ainsi que d'autres, des divisions intestines pour étendre leur propre puissance 2.

1 Voy. le Mémoire des syndics de la province, lors de l'arrêt du parlement de Toulouse du 30 décembre 1595.

2 Voy. M. PAQUET, Inst. prov., et les autorités qu'il cite pages 54 et suivantes.

Il serait fastidieux de pousser plus loin la nomenclature des preuves du dévouement et de la fidélité des provinces. Quel esprit serait assez prévenu pour ne pas y voir la plus éclatante apologie des institutions et des libertés locales?

Charles VII, rétabli par elles sur le trône de ses aïeux, s'empressa de les confirmer sur tous les points du royaume, et y trouva plus tard un appui contre les complots de son fils et contre les derniers efforts des Anglais. Ce fut à l'aide des secours votés par les Etats provinciaux qu'il chassa de la Guyenne ses ennemis héréditaires, ce qui faisait dire aux Etats de Tours, par les députés de cette province : « Jà ne sera trouvé que a le dit pays fut oncques désobéissant à son souverain << et naturel seigneur, ne refusant à le secourir en << toutes ses affaires, quelque nullité ou pauvreté qu'il « eût souffert. »>

Telle fut à cet égard la conviction de Louis XI, qu'il ne porta aucune atteinte aux libertés provinciales. La Normandie, la Guyenne, le Dauphiné, le Languedoc furent expressément maintenus dans leurs priviléges, et l'histoire contemporaine a consacré le souvenir d'un grand nombre d'États particuliers tenus sous ce règne 1.

Plus tard, François Ier confirma par la grandecharte 2 les franchises du Languedoc; et, lorsque peu

1 Voy. SAVARON, Origine de la ville de Clermont, p. 98; COMMINES, t. II, p. 396; D. VAISSETTE, t. V, p. 29, etc.

2 Les lettres de François Ier de 1514 et de 1522, connues sous le nom de grande-charte, déclarent, entre autres disposi

de temps après il eut été fait prisonnier à Pavie, et que tout fut perdu fors l'honneur, la province prit le deuil, des prières furent ordonnées pour la délivrance du roi et pour la conservation du royaume, et les Etats assemblés à Montpellier accordèrent la somme de 234,000 livres, tant pour l'aide que pour l'octroi.

« Ces mêmes Etats, dit dom Vaissette 1, déclarèrent, << en 1529, qu'ils ne ratifiaient les traités conclus à « Madrid et à Cambrai entre François Ier et CharlesQuint que par une crainte révérentielle. »>

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Toutefois et malgré de si éminents services rendus à la cause nationale, les Etats provinciaux gravement menacés dès le règne de François Ier et décimés par Richelieu, qui supprima ceux de Normandie en 1606, ceux du Dauphiné en 1628, etc., ces Etats disparurent tous sous le règne de Louis XIV, sauf ceux du Languedoc, de la Bretagne, de la Bourgogne et de l'Artois 2.

Dans les contrées mêmes où le bon plaisir de Louis XIV toléra l'existence des Etats provinciaux, il parvint non sans peine à les réduire à la condition de simples vo

tions, qu'aucun office ne peut être créé dans le pays, tant dans les sénéchaussées que dans aucun autre tribunal, sans le consentement des États. Les villes, cités et communautés du pays sont confirmées dans les droits exclusifs de contrôle sur les deniers et revenus qui leur appartiennent. L'assiette des impôts doit être faite par les commissaires ordinaires, et la traite des blés ne peut avoir lieu sans consulter les syndics de la province.

1 Hist. générale du Languedoc, t. V, p. 130.

2 BAILLY, Hist. financ., t. I, p. 362 et suiv.; M. Chéruel, De l'admin. de Louis XIV, p. 68; M. DEPPING, Correspondance administrative sous le règne de Louis XIV, p. 68.

tants. On voulait à tout prix (la correspondance administrative publiée par M. Depping en fait foi) fonder la monarchie absolue, et rien ne coûtait en fait d'intrigues auprès des Etats et des intendants, d'achats de suffrages, de moyens de corruption de toutes sortes. Ce triste épisode d'une grande époque s'explique plus qu'il ne se justifie par les obstacles qu'opposaient souvent au gouvernement l'excès de l'indépendance locale, la diversité des priviléges, le défaut d'harmonie des institutions de plusieurs provinces avec les institutions générales du pays.

La moindre innovation introduite par un ministre dans l'administration intérieure d'un pays d'Etats suscitait une résistance, et quelquefois une révolte. C'est ainsi que deux édits de Richelieu, dont l'un créait un siége d'élection dans chacun des vingt-deux diocèses du Languedoc, et dont l'autre réunissait la cour des aides et la cour des comptes, engagèrent les Etats euxmêmes dans l'insurrection que l'infortuné Montmorency paya de sa tête. C'est ainsi que les troubles de la Fronde trouvèrent, dans l'origine, quelque appui dans certaines villes du Languedoc et de la Provence.

A ces inconvénients politiques se joignaient, il faut le reconnaître, des abus administratifs. La tenue des Etats provinciaux était irrégulière. Ceux du Languedoc se réunissaient tous les ans; ceux de la Bretagne tous les deux ans; ceux de la Bourgogne tous les trois ans.

Des commissions intermédiaires travaillaient, il est vrai, dans l'intervalle des sessions; mais ces commissions, dans lesquelles la juridiction contentieuse était mêlée à la puissance exécutive, avaient avec les procu

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