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reurs-syndics des rapports trop multipliés et trop vagues pour que les mouvements de la machine administrative ne fussent pas, à chaque instant, arrêtés par les conflits, les rivalités, les incertitudes et les lenteurs.

En outre, chacun des États administrait à son gré; et le gouvernement, qui avait cessé de recourir aux assemblée nationales, et qui avait perdu par-là la puissance d'autorité qu'elles seules peuvent donner, se voyait obligé de transiger avec chaque province, souvent même avec chaque ville, pour obtenir l'admission ou l'équivalent des taxes qu'il créait. Ici, la taille était personnelle, ailleurs elle était réelle ou foncière. L'impôt du sel ne se percevait pas dans certaines contrées; dans d'autres, il n'était qu'un monopole; dans d'autres, il devenait une taxe de capitation. Relativement aux traites, les provinces étaient réputées françaises ou étrangères, suivant le tarif qu'elles avaient pré

féré.

Les priviléges divers, les conflits d'autorité, les luttes stériles entre les diverses congrégations municipales ou provinciales qui couvraient le sol de la France, les obstacles opposés au bien-être général par une foule d'impôts exceptionnels et de douanes intérieures, la résistance souvent aveugle et systématique aux réformes économiques et financières les plus utiles', et

1 Colbert ayant fait un appel aux États de Bourgogne pour encourager l'industrie, « l'on a rebattu encore, lui écrit le commis. saire du roi, la proposition des manufactures, et personne n'a trouvé qu'il y eût avantage pour la province d'y en établir de nouvelles. >>

pour tout dire en un mot, l'immense déperdition de forces sociales employées à produire des résultats qu'on aurait pu obtenir à moindres frais, voilà les vices administratifs qu'ajoutait aux embarras politiques suscités au gouvernement notre ancien système provincial.

Néanmoins l'idée-mère de ce système a rallié presque tout ce que les trois derniers siècles ont compté de publicistes et d'administrateurs éclairés (Bodin, République, chap. 7); Fénelon (Plans de gouvernement destinés au duc de Bourgogne); Turgot et Necker (Mémoires à Louis XV et à Louis XVI); Mirabeau (Ami de l'Homme), etc., etc.

« II

y en a, écrivait Bodin en 1577, qui se sont efforcés de changer par tous les moyens les États particuliers de Bretagne, Normandie, Bourgogne et Languedoc en élection, disant que les Etats ne se font qu'à la foule du peuple; mais ils méritent la réponse que fait Philippe de Commines à ceux qui disoient que c'étoit crime de lèse-majesté d'assembler les Etats. Je ne veux pas nier les abus, mais néanmoins, il est bien certain que les élections coûtent deux fois autant au roi et aux sujets que les Etats; et, en matière d'impôt, plus il y a d'officiers, plus il y a de pilleries; et jamais les plaintes et doléances des pays gouvernés par les élections ne sont vues, lues ne présentées à qui que ce soit on n'y a jamais d'égard, comme étant particulières. Et tout ainsi que plusieurs corps d'artillerie, l'un après l'autre, n'ont pas si grand effet pour abattre un fort que si tous ensemble sont détachés, ainsi les requêtes particulières s'en vont le plus souvent en fumée; mais quand les colléges, les communautés,

les Etats d'un pays, d'un peuple, d'un royaume, font leurs plaintes au roi, il est mal aisé de les refuser. Combien qu'il a mille autres utilités des Etats. En chacun pays, s'il est question de faire levée d'hommes ou d'argent contre les ennemis, ou bien de bâtir forteresses, unir les chemins, réparer les ponts, nettoyer le pays de voleurs et faire tête aux plus grands: tout cela s'est mieux fait par ci-devant au pays du Languedoc par les Etats qu'en aucune autre province de ce royaume. »

Fénelon a reproduit ces idées dans les plans de gouvernement destinés au duc de Bourgogne; et ce prince aurait sans doute réalisé, si la Providence l'avait appelé au trône, l'idée qu'il avait puisée dans l'exemple des pays d'Etats, de séparer le royaume en parties autant qu'il pourrait se faire égales en richesse, d'organiser dans chacune d'elles des Etats provinciaux, et d'un extrait simplifié de tous les Etats de provinces de former quelquefois des Etats généraux'. Telle ne fut malheureusement ni la politique de Louis XIV ni celle de son successeur.

Administrateurs éminents, mais politiques absolutistes, Colbert et Louvois se distinguèrent par un zèle ardent contre l'administration des pays d'États, qui ne pouvaient, disait le premier 2, s'habituer à un système financier aussi simple que celui qu'il avait introduit, et qui gaspillaient les deniers de la province en gra

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1 Voy. les Mémoires de Saint-Simon.

2 Lettres au duc de Chaulny, des 3 et 18 septembre 1681.

Paris était devenu l'aveugle instrument des vengeances du roi de Navarre. « Les Etats du Languedoc assemblés « à Montpellier ordonnèrent, dit D. Vaissette1, et pour « la garde du pays, la levée pendant trois mois, à << compter depuis la Saint-Jean-Baptiste, de deux de« niers par livre, sur toutes les denrées et marchan<< dises qui seraient vendues. » Encouragés par cet exemple, les Etats particuliers de plusieurs autres provinces rivalisèrent de zèle pour rétablir le pouvoir royal; et c'est au concours bienveillant de leurs subsides que la France dut la rançon et la délivrance de son souverain.

Le roi Jean, rentré en France, imposa à la langue d'Oil, par une ordonnance du 5 décembre 1360, unc contribution sous le nom d'aide légitime. Les pays de la langue d'Oc offrirent un équivalent sans avoir été imposés. Du traité de Brétigny, rejeté en masse, dans l'assemblée de 1359, par les Etats de la langue d'Oil, ceux de la langue d'Oc n'effacèrent qu'une seule clause, celle qui donnait aux Anglais la Guyenne et la Gascogne. «Ils ne voulurent mie, dit Froissard, du premier obeir à eux, ni eux rendre au roi d'Angleterre, quoique le roi de France les quittât de foi et d'hommage, car il leur sembloit à trop grande adversité, si aux Anglois obéir leur convenoit. »

C'est aussi du Languedoc que partit, sous Charles-leSage, l'énergique et généreux mouvement qui poussa les provinces libres au secours des provinces courbées sous le joug anglais, et qui chassa le prince de Galles

1 T. IV, p. 296.

de la plupart des places fortes, dont il avait été investi par le traité de Brétigny. Le franc alleu de Languedoc, l'un des priviléges les plus importants de la province, fut, au dire de quelques-uns, la récompense des services rendus dans les guerres contre les Anglais 1.

Le malheureux règne de Charles VI fut, comme les précédents, signalé par les généreux sacrifices des pays d'Etats. Les Etats provinciaux s'assemblèrent sur divers points. Les bailliages du Velay, du Valentinois et du Vivarais firent, en 1381, avec les sénéchaussées d'Auvergne et du Gévaudan, une confédération pour la défense commune, et fournirent des subsides pour la délivrance du territoire. Les États de Rouergue établirent én 4385 une imposition locale pour assurer la tranquillité des grands chemins que troublaient d'audacieux aventuriers; ceux du Languedoc, réunis à Rodez en 1387, votèrent pour l'expulsion des Anglais 250,000 livres d'or : cet exemple fut imité, en 1390, par les trois États de la sénéchaussée du Limousin. Les Etats du Dauphiné, réunis à Romans de 1398 à 1 400, votèrent, à l'occasion du mariage de la fille de Charles VI avec le roi d'Angleterre, une taille de 4 gros par feu sur tous les contribuables. Plus tard, les factions rivales des Bourguignons et des Armagnacs furent apaisées par l'intervention des Etats du Gévaudan, qui profitèrent, ainsi que d'autres, des divisions intestines pour étendre leur propre puissance 2.

1 Voy. le Mémoire des syndics de la province, lors de l'arrêt du parlement de Toulouse du 30 décembre 1595.

2 Voy. M. PAQUET, Inst. prov., et les autorités qu'il cite pages 54 et suivantes.

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