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Il serait fastidieux de pousser plus loin la nomenclature des preuves du dévouement et de la fidélité des provinces. Quel esprit serait assez prévenu pour ne pas y voir la plus éclatante apologie des institutions et des libertés locales?

Charles VII, rétabli par elles sur le trône de ses aïeux, s'empressa de les confirmer sur tous les points. du royaume, et y trouva plus tard un appui contre les complots de son fils et contre les derniers efforts des Anglais. Ce fut à l'aide des secours votés par les Etats provinciaux qu'il chassa de la Guyenne ses ennemis héréditaires, ce qui faisait dire aux Etats de Tours, par les députés de cette province : « Jà ne sera trouvé que « le dit pays fut oncques désobéissant à son souverain <«<et naturel seigneur, ne refusant à le secourir en << toutes ses affaires, quelque nullité ou pauvreté qu'il « eût souffert. >>

Telle fut à cet égard la conviction de Louis XI, qu'il ne porta aucune atteinte aux libertés provinciales. La Normandie, la Guyenne, le Dauphiné, le Languedoc furent expressément maintenus dans leurs priviléges, et l'histoire contemporaine a consacré le souvenir d'un grand nombre d'États particuliers tenus sous ce règne 1.

Plus tard, François Ier confirma par la grandecharte les franchises du Languedoc; et, lorsque peu

1 Voy. SAVARON, Origine de la ville de Clermont, p. 98; COMMINES, t. II, p. 396; D. Vaissette, t. V, p. 29, etc.

2 Les lettres de François Ier de 1514 et de 1522, connues sous le nom de grande-charte, déclarent, entre autres disposi

de temps après il eut été fait prisonnier à Pavie, et que tout fut perdu fors l'honneur, la province prit le deuil, des prières furent ordonnées pour la délivrance du roi et pour la conservation du royaume, et les Etats assemblés à Montpellier accordèrent la somme de 234,000 livres, tant pour l'aide que pour l'octroi.

« Ces mêmes Etats, dit dom Vaissette 1, déclarèrent,. << en 1529, qu'ils ne ratifiaient les traités conclus à « Madrid et à Cambrai entre François Ier et CharlesQuint que par une crainte révérentielle. »

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Toutefois et malgré de si éminents services rendus à la cause nationale, les Etats provinciaux gravement menacés dès le règne de François Ier et décimés par Richelieu, qui supprima ceux de Normandie en 1606, ceux du Dauphiné en 1628, etc., ces Etats disparurent tous sous le règne de Louis XIV, sauf ceux du Languedoc, de la Bretagne, de la Bourgogne et de l'Artois 2.

Dans les contrées mêmes où le bon plaisir de Louis XIV toléra l'existence des Etats provinciaux, il parvint non sans peine à les réduire à la condition de simples vo

tions, qu'aucun office ne peut être créé dans le pays, tant dans les sénéchaussées que dans aucun autre tribunal, sans le consentement des États. Les villes, cités et communautés du pays sont confirmées dans les droits exclusifs de contrôle sur les deniers et revenus qui leur appartiennent. L'assiette des impôts doit être faite par les commissaires ordinaires, et la traite des blés ne peut avoir lieu sans consulter les syndics de la province.

1 Hist. générale du Languedoc, t. V, p. 130.

2 BAILLY, Hist. financ., t. I, p. 362 et suiv.; M. Chéruel, De l'admin. de Louis XIV, p. 68; M. Depping, Correspondance administrative sous le règne de Louis XIV, p. 68.

tants. On voulait à tout prix (la correspondance administrative publiée par M. Depping en fait foi) fonder la monarchie absolue, et rien ne coûtait en fait d'intrigues auprès des Etats et des intendants, d'achats de suffrages, de moyens de corruption de toutes sortes. Ce triste épisode d'une grande époque s'explique plus qu'il ne se justifie par les obstacles qu'opposaient souvent au gouvernement l'excès de l'indépendance locale, la diversité des priviléges, le défaut d'harmonie des institutions de plusieurs provinces avec les institutions générales du pays.

La moindre innovation introduite par un ministre dans l'administration intérieure d'un pays d'Etats suscitait une résistance, et quelquefois une révolte. C'est ainsi que deux édits de Richelieu, dont l'un créait un siége d'élection dans chacun des vingt-deux diocèses du Languedoc, et dont l'autre réunissait la cour des aides et la cour des comptes, engagèrent les Etats euxmêmes dans l'insurrection que l'infortuné Montmorency paya de sa tête. C'est ainsi que les troubles de la Fronde trouvèrent, dans l'origine, quelque appui dans certaines villes du Languedoc et de la Provence.

A ces inconvénients politiques se joignaient, il faut le reconnaître, des abus administratifs. La tenue des Etats provinciaux était irrégulière. Ceux du Languedoc se réunissaient tous les ans ; ceux de la Bretagne tous les deux ans; ceux de la Bourgogne tous les trois ans.

Des commissions intermédiaires travaillaient, il est vrai, dans l'intervalle des sessions; mais ces commissions, dans lesquelles la juridiction contentieuse était mêlée à la puissance exécutive, avaient avec les procu

reurs-syndics des rapports trop multipliés et trop vagues pour que les mouvements de la machine administrative ne fussent pas, à chaque instant, arrêtés par les conflits, les rivalités, les incertitudes et les lenteurs.

En outre, chacun des États administrait à son gré; et le gouvernement, qui avait cessé de recourir aux assemblée nationales, et qui avait perdu par-là la puissance d'autorité qu'elles seules peuvent donner, se voyait obligé de transiger avec chaque province, souvent même avec chaque ville, pour obtenir l'admission ou l'équivalent des taxes qu'il créait. Ici, la taille était personnelle, ailleurs elle était réelle ou foncière. L'impôt du sel ne se percevait pas dans certaines contrées; dans d'autres, il n'était qu'un monopole; dans d'autres, il devenait une taxe de capitation. Relativement aux traites, les provinces étaient réputées françaises ou étrangères, suivant le tarif qu'elles avaient préféré.

Les priviléges divers, les conflits d'autorité, les luttes stériles entre les diverses congrégations municipales ou provinciales qui couvraient le sol de la France, les obstacles opposés au bien-être général par une foule d'impôts exceptionnels et de douanes intérieures, la résistance souvent aveugle et systématique aux réformes économiques et financières les plus utiles, et

1 Colbert ayant fait un appel aux États de Bourgogne pour encourager l'industrie, « l'on a rebattu encore, lui écrit le commis. saire du roi, la proposition des manufactures, et personne n'a trouvé qu'il y eût avantage pour la province d'y en établir de nouvelles. >>

pour tout dire en un mot, l'immense déperdition de forces sociales employées à produire des résultats qu'on aurait pu obtenir à moindres frais, voilà les vices administratifs qu'ajoutait aux embarras politiques suscités au gouvernement notre ancien système provincial.

Néanmoins l'idée-mère de ce système a rallié presque tout ce que les trois derniers siècles ont compté de publicistes et d'administrateurs éclairés (Bodin, République, chap. 7); Fénelon (Plans de gouvernement destinés au duc de Bourgogne); Turgot et Necker (Mémoires à Louis XV et à Louis XVI); Mirabeau (Ami de l'Homme), etc., etc.

« Il y en a, écrivait Bodin en 1577, qui se sont efforcés de changer par tous les moyens les États particuliers de Bretagne, Normandie, Bourgogne et Languedoc en élection, disant que les Etats ne se font qu'à la foule du peuple; mais ils méritent la réponse que fait Philippe de Commines à ceux qui disoient que c'étoit crime de lèse-majesté d'assembler les Etats. Je ne veux pas nier les abus, mais néanmoins, il est bien certain que les élections coûtent deux fois autant au roi et aux sujets que les Etats; et, en matière d'impôt, plus il y a d'officiers, plus il y a de pilleries; et jamais les plaintes et doléances des pays gouvernés par les élections ne sont vues, lues ne présentées à qui que ce soit on n'y a jamais d'égard, comme étant particulières. Et tout ainsi que plusieurs corps d'artillerie, l'un après l'autre, n'ont pas si grand effet pour abattre un fort que si tous ensemble sont détachés, ainsi les requêtes particulières s'en vont le plus souvent en fumée; mais quand les colléges, les communautés,

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