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d'ordinaire que parce que l'esprit se jette aveuglément d'un côté et abandonne tous les autres; ouvrir son âme à la sensibilité sans la rendre accessible à la faveur; réunir la sagesse à l'activité; avoir cette force de caractère qui donne le mouvement à la volonté, à la pensée, qui change les idées heureuses en actions utiles, et qui fait sortir les ressources du sein même des difficultés et des obstacles; lier les intérêts particuliers à l'intérêt général; diriger toutes les passions sans presque en éprouver aucune; concilier équitablement les droits du citoyen avec ceux de la cité; détruire le mal en faisant sentir le bien; disposer les hommes par l'exemple et par la persuasion à porter docilement et avec liberté le joug de la félicité publique; ramener autant qu'on le peut les besoins de la société à la simplicité de la nature, les employer avec économie; ne pas s'écarter des principes généraux pour quelques inconvénients privés; ne pas occasionner le malheur du pays pour le bien d'une ville; ne pas préparer des maux durables pour le bien d'un instant; enfin, considérer comme un vice de n'avoir pas toutes les vertus telle est l'image des qualités et des devoirs d'un administrateur. »

Tel est aussi, hâtons-nous de le dire, le portrait fidèle de la plupart des administrateurs que l'excellente organisation du système provincial donna durant plusieurs siècles à tous les pays d'États, et qui élevèrent ces provinces au plus haut degré de prospérité.

• Dans ces provinces, dit M. Mounier1, les intérêts

1 Rapport à la Chambre des Pairs (séance du 4 mars 1837) sur le projet de loi relatif aux attributions des conseils généraux.

du pays étaient mieux entendus et mieux défendus, les travaux publics mieux dirigés, mieux surveillés. Turgot en fit l'essai dans le Berry et la Haute-Guienne. Un plein succès justifia ses espérances; et en 1787, sur la demande des notables convoqués à Versailles, le roi publia un édit où il annonça l'intention d'étendre le même bienfait à toutes les provinces du royaume qui n'auraient pas d'Etats provinciaux. »

Mais la Révolution survint; et par la célèbre déclaration du 11 août 1789, l'Assemblée constituante abolit les priviléges des provinces en les confondant dans le droit commun de tous les Français. De la destruction des priviléges on passa rapidement à celle des divisions provinciales. Qui aurait pu, dit M. Mounier, entraver au moins sourdement la nouvelle organisation que la France allait recevoir ?

Mirabeau fut chargé de cette œuvre de destruction; et, après bien des essais, il confessa son impuissance. « J'ai tenté, disait-il, de refaire de mille manières les divisions administratives; j'ai mis les surfaces tantôt en triangles, tantôt en carrés; mais c'est en vain que j'ai épuisé toutes les figures géométriques; la distribution inégale de la population et des richesses se jouait de mes efforts. »

Toutefois les obstacles mêmes opposés par les provinces aux progrès du principe révolutionnaire durent hâter le coup mortel. Ce fut en effet des pays d'États que partirent les protestations les plus énergiques contre les atteintes portées à la monarchie. Les anciens États du Dauphiné, réunis par la commission intermċdiaire de cette province, la noblesse de Bretagne, les

propriétaires du Languedoc firent entendre, dès les premiers égarements de l'Assemblée constituante, des plaintes qu'étouffa la voix tonnante des factions, et peut-être cet exemple, suivi par les autres pays d'États, aurait-il prévenu la destruction de la monarchie, si pour annihiler ces résistances locales on ne s'était empressé d'effacer d'un trait de plume ces unités territoriales dont le royaume de France s'était successivement composé.

Ainsi disparurent, en vertu des lois des 14 décembre 1789 et 20 août 1790, ces grands centres d'administration autour desquels viennent se grouper les plus mémorables événements da la monarchie française, et dont après un demi-siècle de nivellement administratif les noms historiques prévalent encore sur ceux des départements arbitrairement créés par la législation moderne.

CHAPITRE II

PRINCIPES GÉNÉRAUX D'ADMINISTRATION DÉPARTEMENTALE.

SOMMAIRE.

Avantages et inconvénients de l'administration départementale. Insuffisance d'un remaniement dans l'administration centrale. Nécessité de la décentralisation. Quelle doit en être l'étendue et la limite? Des administrations collectives. Du maire départemental. D'une commission permanente générale. De plusieurs commissions permanentes spéciales.

La circonscription départementale est consacrée par le temps; elle est entrée dans les habitudes; elle a une étendue convenable; elle répond à celle de nos anciens diocèses, bailliages, sénéchaussées, vigueries; elle est en harmonie avec l'organisation des travaux publics, de la bienfaisance, du culte, de l'instruction publique, des élections, etc. Elle doit remplacer avec avantage la circonscription par arrondissement, qui ne sera bientôt plus qu'un souvenir historique.

Si la commune est la première assise de l'édifice social, le département en est la seconde. Les intérêts communaux se groupent autour du clocher. L'église, le

presbytère, la mairie, l'école primaire, le pâturage commun, telle est leur modeste sphère. Les intérêts départementaux sont plus étendus. Il s'agit de développer sur une plus grande échelle les voies de communication, d'organiser, de doter, d'entretenir les établissements d'instruction, les hospices d'aliénés, d'orphelins, d'enfants trouvés. Il s'agit de répartir les contributions générales, de voter le budget local.

Chaque chef-lieu de département doit être le siége: 1o d'un tribunal de première instance; 2° d'un évêché; 3o d'un commandement militaire; 4° d'une direction de chacune des administrations financières.

La loi de l'an VIII a institué autant de tribunaux de première instance qu'il y a d'arrondissements; tout le monde convient que ce nombre est exagéré. Les plaideurs et les contribuables, disait en 1830 devant la Chambre des pairs, un jurisconsulte éminent, M. Lainé, les plaideurs et les contribuables s'étonnent de la multiplicité des juges, et la plupart des publicistes de l'Europe partagent leur étonnement quand ils comptent ces milliers de juges dans un pays où l'on se vante d'avoir simplifié les lois. Cet étonnement redouble quand on considère qu'un grand nombre des tribunaux actuels ne compte pas plus de trois juges, qui sont souvent réduits à deux par l'occupation du troisième soit à l'instruction des affaires criminelles, soit à la confection des règlements d'ordre et de contributions. Toutes fois la réduction des siéges et l'augmentation du personnel dans chacun d'eux ont rencontré deux grands obstacles. Ce système aurait pour effet, disait dans un rapport à la Chambre des des députés l'un des gardes

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