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réalité imminente. On passe en France facilement d'un extrême à l'autre, et telle est aujourd'hui l'aversion des départements contre la suprématie de Paris, telle est la force de leur aspiration à l'indépendance, qu'on courrait le risque, sans une forte constitution du pouvoir central, d'amener l'énervation politique et peutêtre le démembrement de la nationalité.

Loin de nous donc la pensée de faire de la division une sorte d'Etat dans l'Etat. Maintenons la suprématie du gouvernement central, et ne lui suscitons pas des antagonistes trop redoutables. Comme centres d'administration des intérêts locaux, les départements suffisent, pourvu qu'ils ne soient pas forcément isolés les uns des autres et qu'on leur permette au contraire de se réunir par groupes. La nécessité de cette réunion eşt telle, qu'à part le nom, elle existe aujourd'hui comme dans nos anciennes provinces. Nous comptons aujourd'hui vingt-et-une divisions militaires, vingtsept cours d'appel, quinze archevêchés, trentedeux conservations forestières, vingt-sept directions de douanes, seize inspections divisionnaires des travaux publics. Nous comptions avant la révolution de février vingt-sept ressorts académiques, récemment réduits à vingt-et-un; qu'est-ce que tout cela, sinon une reconnaissance implicite de la nécessité de créer des centres d'administration plus étendus que les centres d'administration départementale?

Il s'agit de régulariser cette organisation imparfaite. Il s'agit de mettre en harmonie les circonscriptions civiles, militaires, ecclésiastiques, administratives, judiciaires, etc. Or, le moyen d'atteindre ce but, c'est de

créer au chef-lieu de chaque division, composée, selon les localités, de quatre ou cinq départements, le siége de la province ecclésiastique, de l'académie, de la cour d'appel, de la division militaire et des directions administratives, telles que celles des travaux publics et de l'assistance, qui ne peuvent sans inconvénient s'exercer dans un rayon plus restreint; c'est de faire de la division le lien fédéral des départements, de même que nous avons fait du canton le lien fédéral des communes.

De la résistance légale aux révolutions de Paris.

Une considération puissante vient s'ajouter à celles qui se déduisent des nécessités administratives et policières; c'est le besoin de mettre la France à l'abri des coups de main des révolutionnaires de Paris.

L'heure est venue de retirer à la capitale des révoltés le privilége de faire et de défaire les gouvernements'. De quelque manière qu'on envisage les Révolutions de 1830 et de 1848, ces deux surprises faites à la France à l'aide de la pression de Paris, il est impossible de laisser dans l'avenir la carrière toujours ouverte à l'esprit d'insurrection. Une minorité turbulente a beau revendiquer le privilége de s'imposer au pays à force d'audace, et de faire fléchir devant une poignée de factieux

1 Seize conseils généraux ont demandé la convocation de droit du conseil général avec attribution de pleins pouvoirs en cas de changement illégal dans la forme du gouvernement. (Réponse à la soixante-deuxième question.)

la volonté souveraine de trente-cinq millions d'hommes: du jour où le pays le voudra, la dictature révolutionnaire de Paris aura cessé d'être. Il ne s'agit pour cela que d'opposer à un centre d'insurrection permanente plusieurs centres de résistance légale.

Une capitale située à un jour de marche de la frontière peut tomber aussi (on l'a vu en 1814) entre les mains de l'ennemi. Faut-il que le pays tout entier subisse immédiatement le joug du vainqueur de Paris? Si la centralisation eût existé sous Charles VI, la France serait une province anglaise; si elle eût été établie sous Henri III, jamais le successeur de ce prince n'eût pu reconquérir sa couronne, et la postérité d'un prince étranger et de l'infante d'Espagne règnerait peut-être

encore sur nous.

On l'a compris, et en conséquence une commission de l'Assemblée législative propose1 de décréter que dans le cas où, par l'effet d'une force majeure quelconque, les pouvoirs constitutionnels de l'Etat seraient mis dans l'impossibilité d'exercer leur action légale, les conseils généraux des départements devront immédiatement se réunir (art. 4er). Dans ce cas, chaque conseil général nommerait cinq délégués pris dans son sein, qui se réuniraient au chef-lieu de la division militaire dont le département fait partie, et formeraient avec les délégués des conseils généraux des autres départements faisant partie de la même division un con

1 Voy. le rapport de M. de Sèze au nom de la commission chargée d'examiner la proposition de MM. de Tinguy, Demarest et Tron.

seil supériear divisionnaire. Ce conseil, dans lequel le général commandant la division et le préfet faisant fonction de commissaire extraordinaire auraient entrée, prendrait toutes les résolutions que nécessiteraient les circonstances pour la défense de l'ordre et des lois. Chaque préfet de la division militaire serait tenu d'en assurer l'exécution, aidé d'une commission permanente du conseil général de son département. Ces mesures extraordinaires seraient accompagnées d'une déclaration générale de l'état de siége par tous les commandants militaires. Le conseil supérieur de chaque division militaire maintiendrait l'état de siége ou en ordonnerait la levée dans toute ou partie de la division.

Tels sont les moyens à l'aide desquels on veut prémunir la France contre l'espèce de vasselage en vertu duquel les agitations révolutionnaires de Paris l'ont si souvent depuis soixante ans dominée et entraînée malgré elle.

« Assurément la principale cause de ce vasselage est, comme le dit la commission, l'absence de toute organisation locale qui puisse régulièrement fonctionner, résister, agir et maintenir les droits du pays dans ces occasions. C'est l'isolement forcé et subit des fonctionnaires qui représentent dans les provinces le pouvoir central, et dont l'autorité, toute de délégation et de second ordre, s'affaisse et tombe pour ainsi dire au moment où elle devrait être le plus énergique, au moment où le télégraphe vient annoncer d'heure en heure que les événements se précipitent dans la capitale, que le combat s'est engagé, que le pouvoir attaqué chan

celle, et que peut-être dans quelques heures il ne sera plus. A ces nouvelles le pays se trouble, il s'agite, il s'inquiète il sait bien qu'il a pour lui la force et le droit, mais il sait aussi que des forces sans direction et sans unité ne constituent pas une force et ne défendent pas d'une entreprise subite et hardie! Il cherche autour de lui quel sera le centre de son action et où sera le pivot de sa résistance, et il ne trouve rien ! >>

Tout cela est juste, mais un pouvoir improvisé, temporaire, participant du trouble révolutionnaire dont il sera né, ne prenant conseil à la hâte que de ses propres inspirations, offrira-t-il toutes les ressources que l'on en espère; et s'il peut y avoir ici quelque danger de fédéralisme, ce danger ne sera-t-il pas plus grand du côté d'un pouvoir né dans les orages et isolé, que du côté d'un pouvoir stable, normal, et faisant partie de l'ensemble des institutions administratives?

Un lien permanent établi entre les départements qui font partie de la même division militaire, de la même circonscription judiciaire, de la même province ecclésiastique, voilà ce qui peut seul assurer une bonne administration et une action politique efficace. Or, ce lien ne peut s'établir qu'à l'aide d'un conseil divisionnaire, composé des délégués des conseils généraux et des fonctionnaires supérieurs, archevêque, recteur, général divisionnaire, ingénieur divisionnaire, prési→ dent de cour d'appel, directeur général de police, etc.

Hâtons nous donc de compléter par la création, ou plutôt, par la restauration d'une institution qui doit être comme le couronnement de notre édifice administratif, une réforme sans laquelle tout gouverne

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