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qui ne sont pas même commissionnés par le gouvernement comme les employés des autres administrations, et que les préfets choisissent, révoquent et paient à volonté sur leurs frais d'abonnement. Il y a plus : de même que le préfet, fût-il doué du plus vaste génie, ne peut pas expédier de son cabinet toutes les affaires de la préfecture, de même le chef de chaque bureau est obligé de confier une foule de détails à un souschef, qui lui-même se repose le plus souvent sur des commis subalternes; de sorte que de cascade en cascade l'administration tombe aux mains de commis aux gages de 1,200 fr.

Ces commis, appelés partout à administrer la France sous le nom et le patronage des ministres et des préfets, ont leur mérite sans doute; leur marche est exacte, régulière, quoique un peu machinale peut-être; mais ils ne voient pas d'assez près les intérêts qui leur sont confiés, ils les envisagent avec indifférence, et leur impartialité est souvent compromise par les influences qui les assiégent et contre lesquelles il leur est bien difficile de se défendre.

Quarante ans de durée de ce régime administratif nous ont donné la mesure de ce qu'on peut en attendre. Les symptômes de décadence qui se manifestent en France, et dont un membre de l'Assemblée législative vient de tracer le triste tableau', se développent en raison directe de l'accroissement du chiffre des fonctionnaires et de celui du budget. Plus les paperasses s'amoncellent, plus les affaires languissent; adminis

1 De la décadence de la France, par M. RAUDOT, 1850,

trées avec négligence, sans esprit de suite, sous l'empire d'une aveugle routine, elles marchent lentement et mal.

D'ailleurs, aucune de ces affaires, si minime qu'elle soit, ne reçoit dans le département une solution définitive. Toutes, sans exception, doivent être examinées à Paris, et subir l'interminable filière des formalités bureaucratiques. L'histoire tant de fois citée de je ne sais plus quelle chétive réparation à faire à un pont ou à une toiture d'église, indéfiniment ajournée par dixsept renvois successifs, suffirait pour faire justice par le ridicule de notre système chinois d'administration locale.

Les abus de la bureaucratie préfectorale prennent des proportions colossales dans ces immenses labyrinthes qu'on appelle des ministères, et où le solliciteur égaré aurait besoin du fil d'Ariane. Les armées de commis répandues dans les bureaux passent leur vie à enregistrer les demandes et les avis, à correspondre, à contrôler. Dépourvus d'autorité, d'initiative, d'indépendance, de responsabilité, ce sont eux cependant qui décident toutes les affaires, tandis que les ministres, sculs responsables, sont obligés de consacrer, ceux mêmes qui sont le moins occupés, trois ou quatre heures par jour à signer des pièces qu'ils n'ont pas lues, et autant à donner audience à des solliciteurs dont ils ne retiennent même pas le nom.

La confusion du gouvernement et de l'administralion dans les mains de neuf ministres ayant des vues diverses, et dont quelques-uns peuvent n'avoir qu'un mérite secondaire, ote à l'administration jusqu'à ce

prestige d'unité qu'on admire surtout dans la centralisation.

Ces hommes, qui devraient être hommes d'Etat en même temps que chefs d'administration, ne gouvernent pas mieux qu'ils n'administrent. Toute leur activité se consume à poursuivre des succès de tribune. Les grands intérêts politiques sont négligés. Nos rapports avec l'étranger s'amoindrissent de jour en jour. Il est temps d'aviser, sous peine de voir la France descendre du rang élevé où l'avaient placée les services rendus par elle pendant des siècles à la civilisation de l'Europe.

Ce serait une étrange illusion que de croire trouver dans un simple remaniement de l'administration centrale un moyen de remédier aux vices de notre organisation sociale.

Que le nombre des ministres soit réduit ou augmenté; qu'on crée sous la direction de trois ou quatre ministres politiques un certain nombre de sous-ministres chargés de l'administration, ou bien qu'on multiplie les ministères en les divisant en ministères politiques et en ministères administratifs indépendants les uns des autres, on n'arrivera qu'à des solutions sans portée et sans avenir.

Dans le premier cas, les ministres à qui sera confié le choix des directeurs généraux empiéteront d'un côté sur les prérogatives essentielles du chef de l'Etat en nommant des sous-ministres, et se mettront d'un autre côté, par l'insuffisance de leur nombre, dans l'impuissance de rallier les majorités parlementaires. Les sousministres ne seront d'ailleurs pas moins exposés aux vicissitudes de la politique que les ministres eux-mêmes,

et des conflits perpétuels ne manqueront pas de s'élever entre ceux qui seront chargés à la fois d'attributions identiques.

Dans le second cas, la division des grands et des petits ministères émanant de la même source engendrera des rivalités inévitables, et suscitera à la fois des embarras administratifs et des embarras politiques. Tel ministre qu'on voudra restreindre dans la sphère administrative se mêlera, quoi qu'on fasse, à l'action politique, et de là naîtront des tiraillements et des complications dispendieuses, qui nuiront à la fois aux affaires et à l'action gouvernementale.

Il ne s'agit pas de mieux diviser le travail entre les agents de l'administration centrale, ce qui est le rêve des partisans de la centralisation; il s'agit de rendre à la société la gestion de ses intérêts, et de partager entre tous les corps dont elle se compose l'administration concentrée aujourd'hui dans la bureaucratie ministérielle ou préfectorale. Il s'agit de distinguer et de confier à des mains différentes le gouvernement et l'administration du pays.

Attribuer au pouvoir central la gestion directe de ces intérêts, c'est confondre deux choses distinctes, c'est introduire dans l'ordre social un élément de perturbation.

Ce n'est pas à répartir le travail entre les agents de l'administration centrale que doivent tendre aujourd'hui les efforts de l'homme d'État ; c'est à décharger le gouvernement d'occupations et d'attributions qui lui sont étrangères. Décentralisation, tel est le mot de la situation.

Mais où doit s'étendre, où doit s'arrêter la décentralisation? Quel est, parmi les divers systèmes proposés jusqu'à ce jour, celui qui paraît le plus capable d'imprimer une impulsion salutaire? Est-ce le système des administrations collectives? Est-ce le partage entre un fonctionnaire élu et un agent du pouvoir central des attributions d'intérêt local et des attributions d'intérêt général? Est-ce enfin le maintien des préfets, mais avec l'aide constante d'une ou de plusieurs commissions permanentes, soit du conseil général, soit des administrations spéciales? C'est ce qu'il faut examiner.

Des administrations collectives; du maire départemental; d'une ou de plusieurs commissions permanentes du conseil général.

L'épreuve faite du système des administrations départementales collectives, en vertu de la loi du 22 décembre 1789, a peu disposé les esprits à son rétablissement. On sait que les assemblées, chargées de la répartition de l'impôt, de la direction des travaux publics, des dépenses départementales, et en général de toutes les fonctions administratives, élisaient dans leur sein une commission de huit membres qui, sous le nom de directoire du département, restait en permanence, et administrait activement pendant les intervalles des sessions annuelles des assemblées départementales. Ce système d'administration, où se manifestaient à la fois une sorte de réminiscence des anciennes libertés locales et en même temps l'esprit d'unité et de subordination hiérarchique introduit par la révolution dans l'administration française, était placé dans des conditions trop contradictoires pour pouvoir vivre.

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