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» La liberté d'action des Gouvernements au point de vue militaire, et le droit des États de pourvoir à leur propre défense, ne sauraient donc être soumis à des restrictions fictives, que d'ailleurs la pression des faits rendrait stériles. Il nous semble qu'aucune illusion ne saurait prévaloir dans la pratique contre cette inflexible nécessité.

>> Toutefois, la guerre ne peut pas être l'état normal des peuples. Elle n'est qu'une pénible exception. La règle, ce sont les rapports pacifiques qui adoucissent les moeurs en liant les intérêts des nations. Le devoir des Gouvernements est donc, tout en se tenant prêts à la guerre, de travailler de tous leurs efforts à maintenir la paix tant qu'elle existe, à la rétablir si elle a été troublée. A ce point de vue, le seul but légitime de toute guerre doit être d'arriver le plus promptement possible à une paix rendue plus solide et plus durable. Ce but ne saurait être atteint que si la guerre est conduite à la fois énergiquement et regulièrement, d'après les lois et coutumes que le temps et l'usage ont consacrées parmi les peuples civilisés ; si elle est mise à l'abri des calamités inutiles et des cruautés gratuites qui, en enflammant les passions, amènent les représailles et laissent subsister des ressentiments qui rendent plus difficile le retour à des relations pacifiques.

>> Ce n'est donc pas seulement les sentiments d'humanité, c'est l'intérêt général bien entendu qui doit porter les Gouvernements à ne point perdre de vue la paix durant la guerre, de même qu'ils se tiennent préparés à la guerre durant la paix.

>> Concilier les exigences de deux états de choses qui semblent la négation absolue l'un de lautre, n'est pas une tâche facile. Mais parce qu'elle est ardue, ce n'est pas un motif pour ne point l'aborder dans un esprit de bon vouloir sérieux et pratique basé sur les sentiments d'humanité, les devoirs de la civilisation et la solidarité des intérêts généraux.

>Or, une des principales difficultés de cette tâche réside dans l'incertitude qui subsiste jusqu'à présent quant aux lois de la guerre. Le droit des gens ne contient à cet égard que des principes généraux, toujours assez vagues, souvent ignorés, qui laissent place aux divergences d'interprétation et aux entrainements.

>S'il était possible de préciser dans une mesure pratique, par un accord général, ce que d'un côté les nécessités de la guerre comportent, et ce que, de l'autre côté, les intérêts solidaires de l'humanité excluent dans l'état présent de la civilisation et des rapports internationaux, les Gouvernements et les armées sachant exactement ce que l'état de guerre autorise et ce qu'il interdit, les peuples pouvant en mesurer d'avance les conséquences et en prévoir les effets, il est incontestable qu'un pas important aurait été fait pour rendre la guerre régulière et diminuer les calamités dont l'incertitude et l'ignorance qui règnent encore à cet égard sont trop souvent la cause.

»S. M. l'Empereur a pensé que ces questions, si intéressantes pour le bien-être général, étaient de nature à fixer l'attention des cabinets, et qu'eux seuls pouvaient les résoudre. C'est pourquoi S. M. I. s'est décidée à les déférer à leur examen en conférence.

>> Le projet que nous leur proposons n'a pour objet que d'offrir aux délibérations une base pratique, un point de départ nettement défini. C'est un questionnaire indiquant les points qui, à notre avis, pourraient être examinés et le sens dans lequel, pour notre part, nous serions disposés à les résoudre.

>Quant à l'issue finale, elle dépend de la discussion et de l'accord qui viendrait à s'établir; car la pensée de l'Empereur est avant tout une pensée d'entente générale.

»Votre premier soin devra être de l'exposer avec la plus grande clarté possible afin d'écarter tout malentendu, en vous maintenant strictement dans les limites de notre projet. Pour tout ce qui sortirait de ce cadre précis, vous solliciterez les ordres de S. M.

>Sur ce terrain, vous vous efforcerez d'arriver à un accord, à un concert des volontés sans lequel aucun résultat utile ne saurait être obtenu.

» Cet accord nous semble possible si les délibérations sont conduites dans le même esprit qui a présidé à l'initiative prise par S. M.

Pour votre part, vous vous maintiendrez invarialablement dans la voie d'une discussion calme, sérieuse et pratique, en écartant avec soin tout ce qui pourrait éloigner l'entente qui est l'objet essentiel de nos voeux.

» L'espoir de diminuer, ne fût-ce que dans une mesure restreinte, la responsabilité que la guerre fait peser sur les Gouvernements, et les calamités qu'elle impose aux peuples, constitue une tâche digne des Souverains et des Gouvernements qui ont répondu avec tant d'empressement à l'appel de l'Empereur.

> En les conviant à y travailler en commun, S. M. I. est assurée du concours de leur bon vouloir et des efforts de leurs Délégués«.

Sur la proposition de M. de Lansberge, les Délégués conviennent de garder un silence absolu sur tout ce qui se passera dans l'assemblée.

M. le baron Jomini propose de ne consigner dans les protocoles que les points sur lesquels la Conférence sera d'accord et de ne pas acter les divergences.

Cette motion est admise avec la réserve que si un Délégué désire qu'il soit pris note d'un point spécial, il sera tenu compte de son désir.

La Conférence décide, en outre, sur la proposition de M. le général Horsford, que les signatures de M. le Président et de M. le Secrétaire feront foi de l'exactitude des protocoles.

L'assemblée s'ajourne à mercredi prochain à 1 heure.

Le Secrétaire,

Émile de Borchgrave.

Le Président,

Baron A. Jomini.

Projet

d'une

Convention internationale

Concernant les lois et coutumes de la guerre.

Principes généraux.

§ 1er. Une guerre internationale est un état de lutte ouverte entre deux Etats indépendants (agissant isolément ou avec des alliés), et entre leurs forces armées et organisées.

§ 2. Les opérations de guerre doivent être dirigées exclusivement contre les forces et les moyens de guerre de l'État ennemi, et non contre ses sujets, tant que ces derniers ne prennent pas eux-mêmes une part active à la guerre.

§ 3. Pour atteindre le but de la guerre, tous les moyens et toutes les mesures, conformes aux lois et coutumes de la guerre, et justifiés par les nécessités de la guerre, sont permis.

Les lois et coutumes de la guerre n'interdisent pas seulement les cruautés inutiles et les actes de barbarie commis contre l'ennemi; elles exigent encore, de la part des autorités compétentes, le châtiment immédiat de ceux qui se sont rendus coupables de pareils actes, s'ils n'ont pas été provoqués par une nécessité absolue.

§ 4. Les nécessités de la guerre ne peuvent justifier: ni la trahison à l'égard de l'ennemi, ni le fait de le déclarer hors la loi, ni l'autorisation d'employer contre lui la violence et la cruauté.

§ 5. Dans le cas où l'ennemi n'observerait pas les lois et coutumes de la guerre, telles qu'elles sont définies par la présente Convention, la partie adverse peut recourir à des représsailles, mais seulement comme un mal inévitable et sans jamais perdre de vue les devoirs de l'humanité.

Section I.

Des droits des parties belligérantes l'une à l'égard
de l'autre.

Chapitre Ier.

De l'autorité militaire sur le territoire de l'état ennemi.

§ 1er. L'occupation par l'ennemi d'une partie du territoire de l'État en guerre avec lui y suspend, par le fait même, l'autorité du pouvoir légal de ce dernier et y substitue l'autorité du pouvoir militaire de l'État occupant.

§ 2. L'ennemi qui occupe un territoire peut, selon les exigences de la guerre et en vue de l'intérêt public, soit maintenir la force obligatoire

des lois qui étaient en vigueur en temps de paix, soit les modifier en partie, soit les suspendre entièrement.

§ 3. D'après le droit de la guerre, le chef de l'armée d'occupation peut contraindre les institutions et les fonctionnaires de l'administration, de la police et de la justice, à continuer l'exercice de leurs fonctions sous sa surveillance et son contrôle.

§ 4. L'autorité militaire peut exiger des fonctionnaires locaux qu'ils s'engagent, sous serment ou sur parole, à remplir les devoirs qui leur sont imposés pendant la durée de l'occupation ennemie; elle peut révoquer ceux qui refuseraient de satisfaire à cette exigence et poursuivre judiciairement ceux qui ne rempliraient pas l'obligation acceptée par eux.

§ 5. L'armée d'occupation a le droit de prélever à son profit sur les populations locales tous les impôts, les redevances et les droits et péages établis par leur Gouvernement légal.

§ 6. L'armée qui occupe un pays ennemi a le droit de prendre possession de tous les capitaux du Gouvernement, de ses dépôts d'armes, de ses moyens de transport, de ses magasins et approvisionnements, et en général de toute propriété du Gouvernement pouvant servir au but de la guerre.

Observation. Tout le matériel des chemins de fer, quoique appartenant à des compagnies privées, de même que les dépôts d'armes et en général toute espèce de munitions de guerre, bien qu'appartenant à des personnes privées, sont également sujettes à la prise de possession par l'armée d'occupation.

§ 7. Le droit de jouissance des édifices publics, immeubles, forêts et exploitations agricoles appartenant à l'État ennemi et se trouvant dans le pays occupé, passe de même à l'armée d'occupation.

$ 8. La propriété des églises, des établissements de charité et d'instruction, de toutes les institutions consacrées à des buts scientifiques, artistiques et de bienfaisance, n'est pas sujette à prise de possession par l'armée d'occupation. Toute saisie ou destruction intentionnelles de semblables établissements, des monuments, des oeuvres d'art ou des musées scientifiques, doit être poursuivie par l'autorité compétente.

Chapitre II.

Qui doit être reconnu comme partie belligérante; des combattants et des non-combattants.

Les droits de belligérants n'appartiennent pas seulement à l'armée, mais encore aux milices et aux corps de volontaires dans les cas suivants:

1o Si, ayant à leur tête une personne responsable pour ses subordonnés, ils sont en même temps soumis au commandement général ;

2o S'ils ont un certain signe distinctif extérieur reconnaissable à distance;

30 S'ils portent des armes ouvertement; et

4o Si, dans leurs opérations, ils se conforment aux lois de la guerre.

Les bandes armées ne répondant pas aux conditions mentionnées cidessus n'ont pas les droits de belligérants; elles ne sont pas considérées comme des ennemis réguliers et, en cas de capture, sont poursuivies judiciairement.

§ 10. Les forces armées des États belligérants se composent de combattants et de non-combattants. Les premiers prennent une part active et directe dans les opérations de guerre; les seconds, tout en entrant dans la composition de l'armée, appartiennent à diverses branches de l'administration militaire, telles que: le service religieux, médical, de l'intendance, de la justice, ou bien se trouvent attachés à l'armée. En cas de capture par l'ennemi, les non-combattants jouissent, à l'égal des premiers, des droits de prisonniers de guerre; les médecins, le personnel auxiliaire des ambulances, de même que les ecclésiastiques, jouissent, en outre, des droits de la neutralité (voir plus bas, § 38).

Chapitre III.

Des moyens de nuire à l'ennemi; de ceux qui sont permis ou qui doivent être interdits.

§ 11. Les lois de la guerre ne reconnaissent pas aux parties belligérantes un pouvoir illimité quant au choix des moyens de se nuire réciproquement.

§ 12. D'après ce principe, sont interdits:

A) L'emploi d'armes empoisonnées, ou la propagation, par un moyen quelconque, du poison sur le territoire ennemi;

B) Le meurtre par trahison des individus appartenant à l'armée ennemie ;

C) Le meurtre d'un ennemi qui a mis bas les armes ou n'a plus les moyens de se défendre. En général, les parties belligérantes n'ont pas le droit de déclarer qu'elles ne feront pas de quartier. Une mesure aussi extrême ne peut être admise qu'à titre de représaille pour des actes de cruauté antérieurs, ou bien comme moyen inévitable pour prévenir sa propre perte. Les armées qui ne font pas de quartier n'ont pas le droit de le réclamer à leur tour;

D) La menace d'extermination envers une garnison qui défend obstinément une forteresse;

E) L'emploi d'armes occasionnant des souffrances inutiles, comme: les projectiles remplis de verre pilé ou de matières propres à causer des maux superflus;

F) L'emploi de balles exploisibles d'un poids inférieur à 400 grammes et chargées de matières inflammables.

§ 13. Aux moyens permis appartiennent:

4) Toutes les opérations de la grande et de la petite guerre (guerre de partisans);

B) La saisie ou la destruction de tout ce qui est indispensable à l'ennemi pour faire la guerre, ou de ce qui peut le renforcer;

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