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garçons, nommés Louis et Charles, et une fille mariée à M. Brigalier, conseiller à la cour des aides de Paris. Elle fit un testament, par lequel la dame Brigalier se trouvait fort avantagée. Ses deux fils contestėrent ses dispositions, et prouvèrent clairement que l'aversion de la testatrice pour eux en avait été le seul mobile. « On demeurait d'ac>> cord (dit Soefve) que, si la haine de la dé>> funte eût été injuste, le testament par elle » fait sur ce fondement, aurait pu recevoir » quelque atteinte, et que c'était le cas au>> quel les arrêts l'avaient ainsi jugé; mais » que les mauvais traitemens qui avaient été » exercés en la personne de la défunte par > Louis et Charles Alou, ses enfans, étant » constans et justifiés par les informations fai» tes à sa requête, et qui avaient été mises >> entre les mains de MM. les gens du roi, » il y avait peu d'apparence de vouloir contes» ter une disposition de cette qualité, et que » la défunte testatrice pouvait faire davan> tage en les déshéritant entièrement ». Sur ces raisons, appuyées par M. Bignon, avocatgénéral, il est intervenu arrêt, le 24 avril 1662, qui a ordonné l'exécution du testament de la veuve Alou.

La maxime confirmée par cet arrêt, est si constante, qu'elle a lieu même dans le cas où l'acte qui contient la disposition attaquée par le moyen Ab irato, renferme des preuves écrites et indubitables de la colère et du ressentiment qui l'ont inspirée.

Mornac, sur la loi 21, C. de inofficioso testamento, rapporte deux arrêts des 28 mars 1605 et 19 mars 1609, qui confirment des testamens par lesquels les testateurs, en privant leurs heritiers collatéraux des biens auxquels ils étaient appelés par la loi des successions ab intestat, leur reprochaient l'ingratitude et les mauvais traitemens qu'ils avaient reçus d'eux.

Un troisième arrêt, cité au même endroit par cet auteur, a jugé qu'un testament ne pouvait pas être attaqué par cela seul qu'il renfermait contre l'héritier des injures graves à la vérité, mais tellement établies dans le public, qu'il ne lui était pas possible de s'en laver.

Il a été rendu plusieurs arrêts semblables au parlement de Dijon. Il y a (dit Raviot sur Périer, quest. 269), celui de 1647, sur le testament de Martin Anceaume; un autre du 13 février 1670, rapporté au Journal du palais.... Enfin, par un dernier arrêt du 1er juillet 1725, le testament de Hugues Pingeon fut confirmé, quoique l'institution de son fils fùt conçue en ces termes : « Et

» attendu que Sigismond Pingeon mon fils » continue de me blâmer, diffamer, calom»nier, insulter et maltraiter de toutes ma»nières, sachant de plus sa mauvaise con» duite, et que ses actions sont irrégulières, » ce qui me donnerait sujet de l'exhéréder, » néanmoins je veux bien l'instituer mon hé» ritier particulier en sa légitime ».

Raviot explique très-bien les motifs de ces arrêts: « Un père ( dit-il), peut instituer son » fils dans sa légitime, et rendre compte de » sa disposition; il est vrai qu'il ne doit à ce » fils que sa légitime, et qu'il peut l'y ré» duire sans en rendre de raisons: mais ré » duire un fils à sa légitime, c'est lui retran» cher la portion héréditaire que les droits » du sang et la loi lui défèrent naturellement, » à moins qu'il n'y ait de la part de son père » une disposition contraire; et c'est en ce cas » où dispositio hominis, facit cessare dis» positionem legis, qu'il doit bien être per» mis au père de se justifier, et par consé»quent d'instituer avec une espèce d'éloge » ce fils peu méritant dans sa légitime ».

Au reste, si la haine justement méritée est impuissante contre les dispositions qui en sont la suite, la haine injuste est, au contraire, un très-bon argument à faire valoir contre les actes dont elle a été le principe et la cause.

C'est ce que justifie l'arrêt du mois de juin 1587, que nous avons déjà cité (sect. 3), d'après Mornac. Une femme en colère contre son mari, et irritée de ce que ses enfans n'épousaient pas sa querelle, avait légué tous ses biens aux pauvres et au college de Sens: son testament fut cassé, et les légataires universels déboutés de leur demande, que Mornac traite d'impie : Petitione suá quippe impiá remoti sunt.

Il a été rendu, en 1704, un arrêt à-peuprès semblable. Louise Perreaux, femme séparée de corps et de biens d'avec le sieur du Quesnel de Goupigny, son mari, avait conçu contre lui une haine fondée sur de mauvais traitemens qui avaient donné lieu à une séparation. Il y avait trois enfans de leur mariage, un fils et deux filles. La fille puînée avait toujours été auprès de sa mère depuis la désunion. Le fils et la fille aînée étaient demeurés attachés à leur père. En cet état, la dame de Goupigny fit un testament olographe, par lequel elle institua sa fille puînée, avec qui elle avait toujours vécu, sa legataire universelle. Le testamment fut attaqué par les deux aînés. On présuma qu'il avait été fait en haine de ce qu'ils avaient suivi le parti de leur père; et par sentence

du Châtelet du 29 août 1702, il fut ordonné « que, sans s'arrêter au testament, les biens » de la dame de Goupigny seraient partagés » ab intestat, suivant la coutume ». La léga taire universelle en interjeta appel; mais par arrêt du 11 mars 1704, la sentence fut confirmée, sur les conclusions de M. Portail, avocat général (1).

Le sieur Girardin, en se séparant de son épouse, avait retenu près de lui Felix et Michel Girardin, ses fils. La dame Girardin, de son côté, avait été suivie par Marie-Anne Girardin, sa fille, et elle l'avait marice sans le consentement de son père, qui l'avait en conséquence déshéritée. Devenue veuve, la dame Girardin institua cette fille sa legataire universelle ses deux fils attaquèrent le testament; et par arrêt rendu le 19 août 1737, au rapport de M. Leclerc de Lesseville, à la deuxième chambre des enquêtes, il fut déclaré nul, et le partage égal ordonné. Les motifs de cette décision furent que la dame Girardin n'avait disposé qu'en haine de l'attachement que les deux fils avaient toujours eu pour leur père, et dans la vue de dédommager sa fille de la juste exhérédation qu'elle lui avait fait encourir.

Pusieurs testamens ont été cassés comme faits Ab irato, parceque les héritiers dont ils prononçaient l'exclusion, avaient fait des démarches pour faire interdire les testateurs. Ricard, part. 1, n.o 624, dit « que, par l'ar»rêt de Maupeou, donné en l'audience de » la grand'chambre du 10 mai 1641, un tes»tament fut cassé, par la considération de » ce qu'il avait été fait par un père en haine » de ce que ses enfans l'avaient voulu in»terdire à l'âge de quatre-vingt-sept ans. » J'ai ouï (continue Ricard) prononcer un pa»reil arrêt en la même audience, sur la fin » de l'année 1659 ».

Souvent les insinuations artificieuses et intéressées d'une belle-mère préviennent un père contre ses enfans du premier lit ; et lorsqu'il est prouvé qu'elles l'ont fait disposer au préjudice de ceux-ci, on ordonne toujours que les choses seront remises sur le pied de la succession ab intestat.

L'arrêt rapporté au Journal du palais sous la date du 1er septembre 1676, nous en offre un exemple remarquable. Antoine Gamot, horloger à Paris, avait été marié deux fois. Le 13 avril 1673, il fit un testament olographe, , par lequel il réduisit ses enfans du pre

(1) Causes célèbres de Gayot de Pitaval, tome 18, page 64.

mier lit à la légitime, et laissa le surplus de ses biens à ceux du second lit, en les substi tuant à cet égard les uns aux autres. A sa mort, les enfans du premier lit se plaignirent de ses dernières dispositions, comme faites Ab irato. Pour cela, ils alléguérent que leur père les avait injurieusement chassés de la maison, et qu'ils avaient été obligés de plaider contre lui pour le compte des biens de leur mère. Au Châtelet, on n'eut point d'égard à ces deux faits, et l'on confirma le testament; mais sur l'appel au parlement, l'arrêt cité, rendu après un appointement à faire preuve, a prononcé en ces termes : « La cour, » faisant droit sur le tout, a mis l'appellation » et ce dont avait été appelé au neant; émen»dant, sans s'arrêter au testament d'Antoine » Gamot, du 15 avril 1673, ordonne que les parties viendront à partage des biens dudit » Gamot leur père, suivant la coutume; et à » cet effet, Jeanne Gonthier sa veuve, tenue » de leur rendre compte des effets de la com»munauté d'entr'elle et son défunt mari, dé>> pens compensés ».-Nous rapportons ce dispositif, pour écarter les doutes que les nouveaux éditeurs de Denizart semblent elever sur l'existence de cet arrêt. Ils ne l'ont pas (disent-ils) trouvé sur les registres: cela peut être; mais aussi ils ne paraissent pas l'y avoir cherché sous sa date précise.

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Une des causes les plus fréquentes de la haine d'un père contre son fils, sont les procès qu'un intérêt pécuniaire a élevés entre l'un et l'autre, et dans lesquels le second a toujours triomphe. Ainsi, par arrêt du 24 janvier 1725, le parlement de Paris a cassé le testament de la dame Moulié en faveur de son petit-fils, comme fait Ab irato au préjudice de la dame de Montebise, fille de la testatrice, contre laquelle elle avait long-temps plaidé. << Peut-être (dit Augeard) aurait-on eu de la peine à casser ce testament, s'il n'avait con» tenu qu'une disposition au profit du petit» fils mais par une seconde, la testatrice » avait, au défaut de ce petit-fils, disposé de » ses biens en faveur d'un parent éloigné, à » l'exclusion de la dame sa fille : ce qui dé« montrait sa haine ».

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» d'une haine déclarée : telle est la juste pu> nition de ceux qui ont commencé par rom» pre les liens du sang et de la nature, pour » se livrer aux mouvemens aveugles de leur » intérêt ou de leur vengeance. Si l'on trouve > quelques exemples de modération entre des » étrangers que leur intérêt divise, il est très > rare de voir des proches plaider sans aigreur » et sans emportement les uns contre les au» tres: Quæque inter concordes vincula ca» ritatis, inter infensos incitamenta ira

» tum ».

Quand le fils a été demandeur, on doit régulièrement distinguer si la demande a été, en quelque sorte, forcée ou non. S'il a attaqué son père sans y être obligé par des considerations puissantes, on peut dire qu'il a luimême provoqué son ressentiment; et les procès qu'il lui a faits, ne peuvent pas former de sa part la matière d'une action Ab irato. Mais s'il a plaidé pour des alimens, pour avoir un compte des biens de sa mère, ou pour quelques autres objets semblables, la résistance que le père a apportée à ses demandes, quoique fondées sur la plus exacte justice, est une grande présomption de haine; et il est arrivé bien des fois qu'elle a suffi seule pour annuller des dispositions préjudiciables au fils. Le sieur Milot père devait un compte à son fils pour la succession de la mère de ce dernier; son fils demandant toujours ce comp. te, et ne l'obtenant point, se vit forcé, avant son mariage, de traduire son père en justice pour parvenir à se procurer ce qui lui était échu par le décès de sa mère. Cette action inspira de la haine au père contre son fils. En 1775, il fit un testament, par lequel il greva celui-ci de substitution, et voulut que le tuteur à la substitution, qui était son gendre, jouit de tous les biens substitués, qu'il en perçût les revenus et qu'il en fît à Milot fils une pension viagère et alimentaire. Par une autre disposition, il priait ce tuteur de veiller à l'exécution de son testament, et déclarait se dessaisir de tous ses biens en ses mains. Milot fils forma sa demande en nullité de la substitution et des clauses qui y étaient relatives. Les appelés et le tuteur à la substitution, assignés sur cette demande, déclarerent s'en rapporter à justice : par sentence sur délibere du 28 juillet 1781, le bailliage de Laon declara la substitution valable, et ordonna cependant qu'il en serait distrait une portion legitimaire dont le fils jouirait librement. Appel de cette sentence par Milot.

M. l'avocat général d'Aguesseau de Fresne, portant la parole dans cette cause, a observé que

« La jurisprudence a consacré un principe constant et décisif dans cette matière: il faut (a-t-il ajouté) que la haine et la colère du testateur se fassent sentir dans le discours même du testament, si la cause de la haine n'est pas ancienne; si au contraire elle est ancienne, il suffit de voir que les dispositions en sont un effet. Cette distinction est fondée sur la nature. Une haine qui s'allume est vive, ardente, et ne laisse pas dans le cœur le froid qui convient à la dissimulation: une haine, au contraire, qui, si on peut le dire, a vieilli, est moins bouillante, elle a au dehors le calme de l'indifférence; mais les effets n'en sont pas moins marqués ni moins sensibles.

» L'application de ces principes se fait facilement à la cause; c'est long-temps avant 1770 que le fils a plaide contre son père pour le forcer à lui rendre compte de la succession de sa mère; et ce n'est qu'en 1775 que le père fait son testament: sa haine, si elle a existé, a vieilli dans son cœur ; elle n'a pas dû avoir la fougue d'une haine naissante; elle a pu se modérer et dicter froidement au père des dispositions trés-injustes. Mais cette haine a-t-elle existé? on le croira sans peine. Un fils qui plaide contre son père, parce que celui-ci refuse de lui rendre compte, indispose son père

contre lui.

» Que voit-on dans dans le testament? Une substitution: mais une substitution n'est pas une marque de colère; c'est quelquefois un bienfait du père, un soin qui prévient la ruine totale de son fils. Cela est vrai en général; mais lorsqu'une haine très-forte a indisposé le père contre le fils, que ce père n'a pas néanmoins de motifs pour prononcer contre son fils la peine de l'exheredation, que peut-il faire pour se venger de ce fils qu'il hait? Le réduire à sa legitime. Au reste, n'examinons pas ce que c'est en général que la substitution, si c'est une peine ou une sage précaution d'un père qui prévoit l'avenir : il ne faut voir que l'esprit qui l'a fait établir dans le testament qu'on attaque comme fait Ab irato. Si elle est le fruit de la haine et de la colère, elle est une peine; elle est nulle: ce n'est pas le testateur, ce n'est pas le père tendre qui a prononcé, c'est le père irrité, c'est l'ennemi de son fils.

» Ici, la haine est constante; et le père, dans la haine, a privé son fils de tout ce dont il pouvait le priver, en le grevant de substitution. Cette haine existait encore lors du testament: ce qui le prouve, c'est que le père ne reproche aucun défaut à son fils, aucun des vices qui annoncent la dissipation. Mais ce qui achève de démontrer cette haine, ce

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sont les autres dispositions du testament; par exemple, celle par laquelle le père veut que le tuteur à la substitution jouisse de tous les biens, qu'il en perçoive les revenus, et qu'il les livre au fils du testateur comme une pension viagère, et cette autre disposition par laquelle le testateur déclare qu'il se dessaisit de tous ses biens entre les mains de ce même tuteur à la substitution; enfin, celle par laquelle le père fait frapper la substitution sur tous les biens qui reviennent à son fils, sans parler de sa légitime ».

Par arrêt du 1.er mai 1782, la sentence a été infirmée, et le testament déclaré nul. Cet arrêt prouve, contre l'assertion générale des réformateurs de Denizart, qu'il est des cas où un procès dont l'événement n'est point récent, ne laisse pas de fournir un moyen pour appuyer l'action Ab irato.

Au reste, il n'est pas étonnant qu'en cette matière, on ne puisse pas donner de règles certaines les contestations de la nature de celles-ci ont chacune des circonstances particulières qui doivent décider. La variété des faits est infinie: on ne peut presque jamais comparer une espèce à l'autre.

Les seules dispositions sur lesquelles nous avons une jurisprudence un peu plus fixe, sont celles qui sont faites en haine de la religion.

L'art. 31 de l'édit de mai 1576, l'art. 32 de celui de septembre 1577, et l'art. 26 de celui de Nantes du mois d'avril 1598, portaient que « les exhérédations ou privations, soit par dis» positions d'entre-vifs ou testamentaires, fai» tes seulement en haine ou pour cause de » religion, n'auraient lieu, tant pour le passé » que pour l'avenir, entre les sujets du roi ». (V. ci-devant sect. 3, l'arrêt rendu d'après cette disposition, le 29 février 1668.)

Ces lois formaient, comme l'on voit, un droit général et réciproque entre tous les citoyens français; mais elles ne subsistent plus en faveur des protestans; l'édit du mois d'octobre 1685 leur a óté toute leur force à cet égard, et elles n'ont plus d'effet que pour les catholiques.

On pourrait même douter, d'après les termes généraux de cet édit, si les catholiques eux-mêmes peuvent encore les opposer aux dispositions que la haine de leur culte dicte à des parens engages dans le protestantisme.

Mais, comme l'édit n'a été fait que contre les réformés, et qu'il serait absurde de tourner au préjudice de la religion catholique ce qui a été introduit en sa faveur, il faut tenir pour constant que, depuis 1685, comme auparavant, si un protestant exhérédait ou privait

ses héritiers catholiques, par la seule considération de leur catholicité, les dispositions seraient nulles, et déclarées telles sans hésiter.

En serait-il de même, si ces dispositions étaient faites par une personne domiciliée dans un pays tel que la Hollande, où toutes les religions sont tolerees, mais dont les biens se trouveraient par la suite en France?

Cette question s'est présentée au parlement de Paris en 1777. Voici les faits qui y ont donné lieu.

Sur la fin du siècle dernier, vivait en Hollande une très-riche propriétaire, nommée la baronne de Walkemburg. Élevée dans le protestantisme, elle avait pour sa religion le zèle et l'ardeur qui lui avaient été inspirés par ses ministres : le plus grand malheur qu'elle envisageait pour sa postérité, était qu'elle se détachat des dogmes de Calvin, et rentrát un jour dans le sein de l'église romaine. De tristes circonstances contribuèrent à l'indisposer encore davantage : les religionnaires venaient d'être proscrits en France; elle voyait d'ailleurs la dame de Rencurel, sa fille unique, professer une religion qu'elle réprouvait, et c'était pour elle un profond sujet de douleur. C'est dans ces dispositions qu'elle fit son testament, le 21 mai 1694 : par cet acte elle instituait sa fille héritière, à la charge que les biens de la succession seraient fideicommissés jusqu'à la quatrième génération, et administrés par ses exécuteurs testamentaires, qui lui en remettraient, sa vie durant, tous les fruits et revenus ; qu'après sa mort, les mêmes administrateurs verseraient annuellement les deniers de leur recette dans les mains de ceux de ses enfans qui professeraient la religion reformée, à l'exclusion des papistes; et qu'il en serait ainsi usé, jusqu'à ce que les quatre degrés de la substitution fussent remplis.

Au mois de novembre 1699, la testatrice mourut; le testament fut ouvert, et néanmoins on laissa la dame de Rencurel jouir par ses mains du fideicommis. En 1703, elle prêta le serment de fidélité pour la terre de Walkemburg, aux états de Hollande, au nom de son fils Jean-Gorge de Rencurel, alors âgé de sept ans.

En 1725, Josine de Rencurel, fille de la dame de Rencurel qui venait de mourir, abjura publiquement la religion catholique, pour pouvoir donner à son frère Jean-George de Rencurel l'exclusion prononcée par le testament de 1694; et en conséquence, elle se fit envoyer en possession du fideicommis par arrêt du haut-conseil de Hollande, sous l'administration du sieur Putter.

Le sieur Flicher, qui avait été auparavant

chargé de cette administration, éleva une difficulté: il prétendit que la demoiselle de Rencurel devait donner une caution qui assurerait que les revenus ne seraient point transportes en France, et qu'ils seraient restitués dans le cas où elle quitterait la religion protestante. Un second arrêt de la même cour trancha cette contestation, et enjoignit simplement de compter à la demoiselle de Rencurel les revenus du fideicommis, aussi longtemps qu'elle ferait profession de la religion réformée, et que les descendans de la dame de Walkemburg ne la professeraient pas.

En 1727, la demoiselle de Rencurel épousa le sieur Maudry, citoyen de Genève ; et par un autre arrêt du 17 juillet 1736, celui-ci se fit subroger au sieur Putter dans l'administration des biens.

Le sieur Maudry profita de cette administration pour vendre la plus grande partie de la succession fideicommissée, et il en emporta le produit en France. Sa mort arrivée le 13 decembre 1762, fut suivie, en 1767, de celle de sa femme; et ils laissèrent pour unique héritière une fille mariée au baron de Bagge. En 1773, la fille de Jean-George de Rencurel, qui n'avait eu, comme catholique, aucune part au fideicommis, s'est pourvue au Châtelet contre la baronne de Bagge, en compte et en partage des fruits et biens provenans de la succession de la baronne de Walkemburg, sa bisaïeule.

La baronne de Bagge se prévalant de la clause du testament de celle-ci, par laquelle les enfans catholiques de sa fille etaient privés du fideicommis, soutint que Jean-George de Rencurel, ayant toujours vécu dans la catholicité, n'avait aucun droit aux biens dont il s'agissait; et que sa fille, vivant dans la même religion, ne pouvait pas y prétendre davantage.

Cette défense était malséante dans la bouche de la baronne de Bagge qui venait ellemême d'embrasser le culte romain; mais la demoiselle de Rencurel étant venue à mourir pendant l'instance, sans laisser aucun successeur habile à recueillir les droits qu'elle prétendait avoir à la substitution, la question s'est trouvée réduite aux fruits qui avaient eté perçus pendant sa vie et celle de son père, sur leur part dans les biens fideicommisses.

Pour apprécier la demande en compte et restitution des fruits, il fallait examiner si l'exclusion prononcée par le testament de 1694 contre les enfans catholiques, était valable. La négative supposée, la dame Maudry avait legitimement joui de tout, et la baronne de Bagge sa fille n'avait rien à restituer. Mais

dans l'hypothèse contraire, la restitution des fruits perçus devenait d'autant plus indispensable, que les sieur et dame Maudry s'étaient mis, par plusieurs lettres écrites, d'abord au sieur de Rencurel, frère de celle-ci, et ensuite à sa fille, dans le cas de ne pouvoir invoquer les lois qui laissent aux possesseurs de bonne foi tous les fruits dont la perception a précédé les poursuites exercées contr'eux judiciairement.

Ainsi, la question devait être jugée entre les créanciers de la demoiselle de Rencurel et la baronne de Bagge, quoique tous catholi ques, comme elle eût dû l'être entre la demoiselle de Rencurel elle-même et la dame Maudry, c'est-à-dire, entre une catholique et une protestante.

« Les exheredations étant odieuses (disaient les representans de la demoiselle de Rencurel), elles ne peuvent légitimement avoir lieu qu'autant qu'elles sont nécessaires pour maintenir les lois d'un état et y conserver les bonnes mœurs, et non pas lorsqu'elles n'ont d'autre but que de satisfaire le cruel caprice d'un père ou d'une mère irrité. Or, il est aisé de voir lequel de ces deux caractères convient le mieux à l'exhédération ordonnée par la baronne de Walkemburg. Elle déshérite ceux de ses descendans qui ne professeraient pas la religion réformée; et elle était soumise aux lois d'un gouvernement qui n'exige pas l'unité de religion. La confession d'Ausbourg en est, à la vérité, la religion dominante; mais la tolérance de toutes les confessions possibles y est admise il est permis aux catholiques d'y exercer publiquement leur religion. Plusieurs traités portent qu'ils auront des temples où ils pourront célébrer leurs mystères ; ils sont habiles à recueillir les successions ab intestat et testamentaires; enfin, un catholique peut épouser une protestante.... Certainement ni l'un ni l'autre ne peuvent exhéréder ceux de leurs enfans qui ne professent pas leur religion (1); ce serait une contradiction absurde, qui ferait naître les troubles qu'on a voulu prévenir. Tous les enfans catholiques et protestans succèdent également à leur père et à leur mère. Un testament qui déshérite ceux des enfans qui ne professent pas telle ou telle religion, est donc contraire aux lois de Hol

(1) Le défenseur des créanciers de la demoiselle de Rencurel, aurait pu citer, à l'appui de cette asser

tion, l'art. 22 de l'édit de pacification de Gand, du 18 novembre 1576, et les Placards des états-généraux des 4 mai et 14 octobre 1655. V. Voct, sur le Digeste, liv. 5, tit. 2, n. 25.

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