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notaire, le 11 frimaire an 9, par Anne - Catherine Laumes, épouse de Bernard Vanhorsigh, tant en son nom, que comme mandataire de son mari, en suite de ses pouvoirs à elle déférés par acte reçu du même notaire, le 15 prairial précédent, au profit d'EgideDaniel Vanhorsigh, frère du vendeur; l'arrêté du conseil de préfecture du département des Deux Nethes, en date du 4 vendémiaire an 10, qui, en declarant nulle et frauduleuse la vente du 11 frimaire an 9, rejette la demande en distraction du séquestre, formée par Egide Daniel Vanhorsigh, acquéreur; l'avis de notre commission du contentieux; considerant que l'autorité judiciaire est seule compétente pour prononcer sur l'exécution et la validité des contrats; notre conseil d'état entendu, nous avons décrété et décretons ce qui suit :

» Art. 1er. L'arrêté du conseil de préfecture du département des Deux-Nėthes, du 4 vendémiaire en 10, et l'arrêté du préfet du lendemain 5 du même mois, sont annullés.

» 2. La contestation en nullité ou en fraude élevée sur l'acte de vente, du 11 frimaire an 9, est renvoyée, le séquestre tenant, pardevant les tribunaux compétens ».

Au surplus, V. l'article Contumace.]] ANOBLISSEMENT. V. Noblesse. ANONYME. Terme composé de la particule grecque a, qui est privative, et d'un autre mot de la même langue, qui signifie nom. Ainsi, Anonyme et sans nom, sont deux expressions dont le sens est absolument le même, et la première s'emploie pour désigner indistinctement tout ce qui n'a point de nom propre.

De là, l'application que l'on en fait aux livres, aux libelles, aux lettres, et aux délations qui ne portent point le nom de leur auteur. On pourrait aussi, dans le sens inverse, appeler Anonyme, un écrit dans lequel il est parlé d'une personne sans la nommer. — Reprenons chacun de ces objets.

I. Les livres Anonymes sont de deux sortes : les uns n'indiquent pas la personne de qui ils sont l'ouvrage; les autres laissent ignorer jusqu'au nom de l'imprimeur des presses duquel ils sont sortis.

Sous le premier point de vue, l'Anonyme n'a rien de répréhensible: aucune loi n'oblige un écrivain à se nommer; dès que son livre n'attaque ni les mœurs ni l'ordre public, il importe peu que l'on sache de quelle plume il a reçu l'existence. Le seul mal qui en résulte, si c'en est un, est que quelquefois le public prend le change; et que, par-là, le véritable auteur, en voit applaudir ou criti

quer un autre pour lui. [[Il faut pourtant excepter de cette règle les écrits périodiques, les avis distribués dans le public, et les affiches. V. la loi du 28 germinal an 4. ]]

Mais si à la reticence du nom de l'auteur, un livre joint celle du nom de l'imprimeur, alors la qualité d'Anonyme est un délit contre lequel les magistrats doivent sevir, parcequ'il faut, quand un ouvrage parait dans le public, qu'il soit, pour ainsi dire, accompagné d'une caution, que quelqu'un en réponde envers le gouvernement, et que l'on puisse, en cas qu'il compromette l'intérêt général, savoir à qui s'en prendre. De là vient que, par nne déclaration de Louis XIII, du 11 mai 1612, enregistrée au parlement de Paris le 5 juillet suivant, il est défendu à tous imprimeurs d'imprimer aucun livre sans y mettre leur

nom.

[[V. la loi du 29 germinal an 4 et l'art. 283 du Code pénal. ]]

II. Les libelles anonymes sont toujours punissables.

Tout le mode connaît le fameux arrêt du 7 avril 1712, par lequel le poëte Rousseau fut condamné au bannissement perpétuel hors du royaume, pour des couplets scandaleux et diffamatoires qu'on lui avait imputés.

Par un autre arrêt plus récent, l'abbé de V..., vicaire général du diocèse de...., accusé par la comtesse de Sourches, d'avoir fait contre elle une chanson qui avait couru toute la province du Maine,mais seulement convaincu d'en avoir favorisé la publicité, reçut une injonction d'être plus circonspect à l'avenir et fut condamné aux dépens. Cet arrêt a été rendu en la chambre de vacations, le 25 octobre 1775.

[[Sous le Code du 3 brumaire an 4, un libelle Anonyme ne pouvait, à défaut de loi pénale expresse, être puni que de dommagesintérêts et de réparations civiles. Mais les art. 283 et 284 du Code penal de 1810, ont réparé cette lacune. V. Injure. ]]

III. Parmi les lettres Anonymes, il en est de très-innocentes; il en est aussi qui attaquent les intérêts de l'État, ou l'honneur des citoyens; enfin, on en a vu qui contenaient des menaces de tuer ou de brûler, au cas que l'on ne portat point, dans un endroit indiqué, une certaine somme d'argent.

Celles qui attaquent les intérêts de l'État, ne peuvent manquer, lorsque leurs auteurs sont connus, d'attirer sur eux les peines les plus graves. Mais la difficulté est de les connaitre; le perfide qui trahit sa patrie, n'a garde de se nommer: il s'enveloppe des ténèbres les plus épaisses; et ce n'est que par les tra

ces, presque toujours incertaines et douteuses, qu'il laisse après lui, que l'on peut suivre sa marche et le découvrir.

C'est pour prévenir, autant que la faiblesse humaine peut le faire, les embarras et les suites funestes de cette incertitude, que, par une déclaration du 6 octobre 1547, il est défendu à tous les sujets du roi d'écrire aucune lettre en chiffres, ou autres caractères extraordinaires, et sous des noms supposés (1).

Les lettres Anonymes qui attaquent l'honneur des citoyens, sont dans la même classe que les libelles dont nous avons parlé. Ce qu'il importe seulement d'ajouter ici, c'est que, quand même une lettre de cette espèce n'aurait pas été rendue publique, et qu'elle eût seulement été adressée à la personne qu'elle avait pour but d'offenser, celle-ci serait en droit d'en rendre plainte, et de faire informer contre ceux qui l'ont composée ou écrite; c'est ce qui a été jugé par arrêt du parlement de Paris, du 11 août 1763, sur les conclusions de M. le Pelletier de Saint-Fargeau, avocatgénéral. La dame de C..... et le nommé Gilbert étaient accusés d'avoir écrit une lettre injurieuse à la dame de B...., et de la lui avoir envoyée par la petite poste, sous un contreseing qui paraissait être de M. de M...., mais que celui-ci désavouait, et qui était effectivement reconnu pour faux. La dame B.... et M. de M..., avaient rendu plainte devant le lieutenant-criminel du châtelet; et après deux décrets, le premier d'assigné pour être ouï, contre la dame de C...., et le second de prise de corps contre Gilbert, il était intervenu, les 22 et 23 juin 1763, deux ordonnances qui avaient réglé le procès à l'extraordinaire, et cependant accordé à Gilbert sa liberté provisoire. Les choses en cet état, la dame de C... avait appelé, tant du décret décerné contre elle, que du règlement à l'extraordinaire ; et M. de M.... de l'ordonnance qui élargissait Gilbert. Par l'arrêt cité, la tournelle mit sur l'appel du décret et du règlement à l'extraordinaire, l'appellation ou néant, infirma l'ordonnance qui mettait Gilbert en liberté, et ordonna que le procès lui serait coutinué en état de prise de corps.

[[ Aujourd'hui, une lettre anonyme injurieuse qui n'aurait été ni imprimée, ni distribuée, ni lue dans un lieu ou réunion publique, n'emporterait que des peines de simple police, à moins qu'elle n'injuriât un fonction naire public, à raison de ses fonctions. V. Lettre, no 5. ]]

Les auteurs des lettres anonymes de la troi

(1) Fontanon, titre 2. page 1007,

sieme espèce sont toujours punis de peines afflictives. [[ V. Incendie et Menaces. ]]

IV. Les délations anonymes sont de deux sortes les unes tendent à faire connaître à la

justice un homme qu'on lui présente comme coupable, à lui indiquer les moyens de se saisir de sa personne, et à la convaincre du crime qu'on lui impute; les autres ont pour objet la provocation d'un ordre du roi pour priver un citoyen de son état ou de sa liberté.

Les délations anonymes de la première espèce ne sont pas admises en France. L'ordonnance de 1670 ne veut pas seulement que les accusateurs et les dénonciateurs qui se trouveront mal fondés, soient condamnés aux dommages et intérêts des accusés; elle veut de plus que cela ait lieu aussi à l'égard de ceux qui ne seront parties, ou qui, s'étant rendus parties, se sont désistés. L'esprit de la loi est donc que, quiconque a donné lieu à un procès criminel contre un homme innocent, soit en se constituant dénonciateur, soit en se rendant partie, ou par quelque autre voie que ce puisse être, soit condamné au dédommagement; et de là dérive parmi nous la proscription des délations secrètes. Si les fonctions de délateur n'exposaient à aucun risque; s'il suffisait, pour se venger d'un citoyen, et pour exposer sa fortune, ses jours et son honneur, de le dénoncer secrètement au ministère public, de donner aux juges des indications, d'administrer des témoins, de conduire l'instruction, d'être partout invisible et présent à tout, on ne verrait de toutes parts que des délateurs, et le nombre des juges ne suffirait pas à l'instruction des procès criminels. L'ordonnance de 1670, tit. 3, art. 6, a remédié à cet abus, en exigeant des procureurs du roi et de ceux des seigneurs, qu'ils eussent des registres pour recevoir et faire écrire les dénonciations, et qu'elles fussent circonstanciées et signées par les dénonciateurs.

[[V. le Code des délits et des peines du 3 brumaire an 4, art. 89, 90, 91, 92, 93 et 96; et le Code d'instruction criminelle de 1808, art. 29, 30, 31 et 358. ]]

Si la nécessité et le bien général ont introduit à Paris une forme de dénonciation extraordinaire, qui peut se faire au lieutenantgénéral de police, au moins ce magistrat n'en reçoit aucune, sans faire inscrire sur ses registres les noms, qualités et demeures des plaignans ou des dénonciateurs.

Il faut cependant remarquer que, malgré la sagesse de ces précautions, on a vu en France des délateurs secrets et puissans diriger, à l'ombre de l'Anonyme, des procédures qui tendaient à faire périr l'innocence : mais

toutes les fois qu'ils ont été découverts,ils n'ont pas échappé à la vengeance des lois. L'affaire de Garnier contre le sieur Mazière, jugée en 1777, et rapportée aux mots Réparations civiles, en fournit un exemple célèbre.

Les délations anonymes de la seconde espèce sont les plus dangereuses, par la manière dont elles s'exercent, et les plus effrayantes par les effets qui les suivent, quand elles ont pour but l'oppression du faible: aussi, dans ce cas, les tribunaux les punissent très-sévè rement. V. Lettre de cachet.

Ce qu'il y a d'épineux dans ces sortes d'affaires, c'est que le plus souvent les auteurs de ces délations se couvrent du voile de l'au. torité souveraine, et se cachent derrière l'administration qu'ils ont surprise. C'est le fait du prince (disent-ils, lorsqu'on les poursuit en justice réglée); c'est un acte émane de la puissance suprême, et dont personne n'a droit de pénétrer le mystère ni de lui demander compte.

Cette défense a souvent embarrassé la justice, et quelquefois elle s'est vue forcée, faute de preuves, de laisser impunies les provocations secrètes et ténébreuses d'ordres surpris et injustes. V. l'arrêt du 2 avril 1756, rapporté au mot Séparation de corps, §. 1.

Mais lorsque les circonstances ont pu fournir des indices et des présomptions contre les délateurs, il n'en a pas fallu davantage pour les faire condamner, [[ ce qui pourtant ne suf firait plus d'après la règle généra le qui est écrite dans l'art. 1353 du code civil, si les présomptions n'étaient à la fois graves, précises et concordantes.]] Ainsi, par son célébre arrêt du 7 septembre 1763, le grand-conseil a condamné l'ordre de Citeaux à 60,000 livres de dommages-intérêts envers la veuve et la fille de Balthazar Castille, parceque les chefs de cet ordre paraissent avoir fait séquestrer celui-ci en vertu d'une lettre de cachet surprise à la religion du souverain.

M. l'avocat-général de la Briffe, qui portait la parole dans cette affaire, a établi là dessus des principes que tous les jurisconsultes du royaume ont depuis répétés mille fois.

« A Dieu ne plaise (disait ce magistrat), qu'abusant de notre ministère, nous allions nous établir juges des ordres du souverain qui nous l'a confié, ni discuter sans mission et sans droit les bornes de sa puissance! Nous savons que toutes les parties de l'autorité dont il est la source, ont été établies pour concourir à la même justice, sa première volonté : il se repose sur les lois, de l'administration des affaires qui peuvent souffrir leur utile

lenteur; il a permis à ses ministres l'usage de ressorts plus rapides pour les cas où cette prudence des lois deviendrait un nouveau dan. ger; et c'est ici qu'une distinction naturelle et essentielle se montre d'elle-même entre les deux cas où ces ordres peuvent être décernés.

» Lorsqu'un ordre émané du propre mouvement du prince, suspend tout à coup la li berté d'un citoyen, nous devons croire que l'intérêt de l'Etat, la nécessité inconnue d'un acte d'administration prompte, l'assurance d'un secret important, ou quelque autre cause superieure et juste, font violence à sa bonté naturelle, et nous respectons en silence ces actes de son autorité suprême? Il est des cas où le soupçon même fait présumer le crime, et où il est bien plus nécessaire de prévenir que de punir le coupable: il faut qu'un ordre rapide enchaine alors jusqu'aux intentions; alors la crainte du mal futur l'emporte sur la forme ordinaire, et les droits de l'homme et du citoyen disparaissent pour quelques moDans ces cas extraordinaires, ces ordres ne peumens devant l'intérêt pressant de l'Etat. vent guère offrir de question aux tribunaux.

provoqués par l'une des parties, c'est à elle » Mais lorsqu'on nous présente ces ordres qu'ils sont imputables. Le pouvoir qui les accorde est le même; mais la partie qui les a indûment sollicités, qui a employé tout son crédit et des considérations particulières, afin de faire de son intérêt une cause d'Etat, répond de leur application : c'est elle qui a relorsque la voie ordinaire des lois pouvait sufprésenté qu'il fallait un acte violent et rapide, fire; c'est dans ses mains qu'une arme innocente par elle-même, est devenue une arme dangereuse et funeste.

» Le ministre, fidèle à l'intention du souverain, n'accorde ces ordres qu'à regret: mais on le fatigue; on lui dit que tout est jugé, qu'il n'y a plus qu'à exécuter; on lui présente des preuves, sans lui laisser le temps d'en découvrir la force ou la faiblesse, et l'on en abrége même l'examen, en effrayant sa justice par des dangers présens, et qui excluent tout délai, toute défense: c'est donc à la partie qu'il faut s'en prendre de les avoir surpris; c'est elle qui a donné à son intérêt particulier, peut-être injuste, et presque toujours exagéré, toutes les couleurs d'un besoin d'Etat.

» Les ordres provoqués par une des parties, retombent donc sur elle-même. Si elle n'était pas fondée à les demander, elle se charge, en les obtenant, des dommages-intérêts qui peuvent résulter de leur application; et rien n'est plus juste, puisque c'est elle qui

est la première et véritable cause du dommage.

Aussi les tribunaux, pour venger le citoyen offensé, admettent-ils alors souvent pour preuves, des traces légères qui, dans d'autres matières, n'auraient paru que des présomptions; et c'est encore une justice, puisque l'autorité du prince, que cette partie s'est permis de faire agir, ne devant aucun compte de ses actions, c'est par son fait que les preuves sont ravies à celui qu'elle a opprimé.

» Ainsi, par un arrêt célèbre du parlement de Paris, la dame Fauconier fut séparée de son mari, parcequ'il avait provoqué contre elle l'autorité du prince, et l'on prit pour preuve la règle cui prodest, is fecit. Sa qualité de mari l'en fit réputer le solliciteur, intérêt de le parceque lui seul avait eu faire ».

Après l'exposition de ces principes salutaires, il restait à examiner quelles présomptions pouvaient les rendre applicables à l'affaire dont il s'agissait, et faire retomber sur l'ordre de Citeaux les suites et la réparation des excès commis contre Balthazar Castille.

<«<Lorsque nous faisons réflexion (continuait M. de la Briffe) sur la nature de cette partie de la cause; lorsque nous comparons le degré et la qualité des preuves qu'exige la loi dans les cas ordinaires, avec les circonstances où la dame de Launay (veuve de Balthazar Castille) vient réclamer la justice, ne pourrions-nous pas penser que le même coup qui a jeté cette épouse infortunée dans cet enchainement de malheurs, a, pour ainsi dire, emporté en même temps sa cause au-delà de la sphère ordinaire des preuves? Si elle est enlevée, c'est par une autorité dont elle n'a senti que les effets, sans qu'elle pût en prévoir ni en démêler les véritables mobiles. De la nuit de la prison où elle est jetée, il ne lui a guère été possible de percer le nuage dont les auteurs de son infortune ont dû s'envelopper lorsqu'elle en sort au bout de trois années, si les titres de son malheur existent encore, il n'est pas naturel qu'un dépôt si dangereux se trouve entre ses mains. La possession des pièces dont elle pourrait s'appuyer, doit être partagée entre ses adversaires et le tribunal qui a été l'instrument innocent de ses disgraces; ce tribunal n'est point obligé de s'ouvrir à sa voix. Le dépôt de l'Etat n'est point celui des particuliers; et c'est pour leur propre sûreté qu'il leur est fermé.

Mais toutes les parties de l'autorité se secondent mutuellement, et agissent de concert TOME I.

pour le bien public; la justice du souverain, qui en est l'ame universelle, n'abandonne point le citoyen opprimé; si les intérêts de l'Etat enchaînent une de ses mains, elle lui tend l'autre.

» Ainsi, dans la disette de preuves où se trouve un citoyen accablé par un ordre superieur, la loi a voulu que, sans demander compte au souverain de ses ordres, ils fussent de plein droit imputables, ainsi que leurs suites, à la partie qui les a surpris; et qu'on n'exigerait pas alors du malheureux qui en est la victime, des preuves que le fait de son adversaire lui a rendues impossibles. Les lois romaines ont établi, avant les nôtres, ce principe salutaire dans cette règle de droit qui veut que, lorsqu'il s'agit de fraude ou de surprise, les juges aient non-seulement égard aux preuves que la partie est en état de leur présenter, mais encore à celles que le fait de son adversaire lui interdit: Generaliter, cùm de fraude disputatur, non quid habeat actor, sed quid per adversarium habere non potuit, considerandum est. Règle fondée sur cette autre maxime d'équité: Factum cuique suum, non adversario nocere debet.

» Or, il est certain, dans la cause, que, si les religieux eussent pris toute autre voie pour reclamer leur prétendu fugitif, tous ces objets tragiques n'eussent pas fait le tourment des juges et le scandale public. On ne peut donc appliquer à la dame de Launay, dans toute leur rigueur et dans toute leur étendue, les lois auxquelles le demandeur est soumis. Eh! N'est-ce pas un des premiers reproches qu'elle peut faire à ses adversaires, de l'avoir forcée à prendre cette triste qualité? Si leur conduite ne lui eût pas interdit toute défense en 1750, elle n'aurait rien aujourd'hui à leur demander son action n'est pas volontaire, et n'a pas des droits futurs et douteux pour objet, mais des outrages soufferts et certains, dont il n'y a que les auteurs de cachés ».

V. Lorsqu'une personne est injuriée dans un écrit, sans y être nommée expressément, est-elle recevable à s'en plaindre? On ne se douterait pas que l'affirmative eût jamais pu souffrir la moindre contradiction, si l'on ne se souvenait encore de la cause jugée au chàtelet, entre l'abbé Baudouin et l'abbé Sabbatier de Castres.

La contestation avait son origine dans l'ouvrage intitulé les Trois Siècles de la littérature française. L'abbé Sabbatier s'en était dit l'auteur. L'abbé Baudouin avait tenu des propos et fait une brochure Anonyme, qui tendait à prouver que le livre appartenait à un autre, et que l'abbé Sabbatier, en se l'at

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tribuant, s'était rendu coupable de plagiat. Pour repousser ces imputations, l'abbé Sabbatier fit imprimer, dans le Journal de Paris, une lettre où il disait qu'on lui avait appris des choses terribles sur le compte de l'auteur de la brochure où il l'accusait de mauvaise foi et d'artifice, où se trouvait, dans l'extrait d'une autre lettre, cette phrase : « Pardonnez à un ennemi dont l'ame est aussi abjecte que >> celle de cet homme » ; où enfin l'abbé Sabba tier prenait soin de fortifier ses injures, de la comparaison des devoirs de celui qu'il attaquait, en disant : « Ce personnage se pique de » religion, et se trouve dans la double obli>> gation de l'enseigner, puisqu'il est prêtre et » principal d'un college de la capitale

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L'abbé Baudouin, offense de cette lettre, rendit plainte en diffamation contre l'abbé Sabbatier, le 18 juin 1779.

De son côté, l'abbé Sabbatier rendit également plainte contre l'abbé Baudouin, et il fut question de savoir qui des deux devait une réparation à l'autre.

Pour établir qu'il n'avait point diffamé son adversaire, l'abbé Sabbatier disait :

« Qu'est-ce que diffamer? C'est décrier quelqu'un, et nuire à sa réputation par des propos ou des écrits : mais, pour nuire à la répu. tation d'un tiers, il faut le nommer. Des injures, des calomnies qui s'adressent à un Anonyme, ne diffament personne. La malignité, empressée alors à chercher l'original du portrait, se trompe toujours dans ses applications; il n'est aucun écrit, si honnête qu'il fût, qui n'ait donné lieu aux allusions les plus méchantes : les meilleurs livres du siècle passé, les Caractères, par exemple, ont été regardés comme la censure des hommes du jour; et peut-être l'étaient-ils en effet : mais a-t-on vu, dans ce temps, qu'ils aient excité des réclamations et des plaintes? A-t-on vu, par exemple, que tel homme de qualité, tel financier, tel écrivain ridicule, auquel le public attribuait ses portraits, tel pédant ombrageux et de mauvaise humeur (car il y en a eu de tout temps), qui croyaient s'y reconnaître, soient venus, sous prétexte des analogics, faire un procès au Théophraste moderne? A-t-on vu enfin un homme grave par son caractère, un docteur, après s'être avili par une satire de mauvais goût, ou par un complot plus honteux encore, qui suppose à la fois la méchanceté du projet et l'impuissance de l'exécuter; l'a-t-on vu, dis-je, venir dire au public et à la justice: C'est moi qui suis ce satirique couvert de ridicule par l'écrivain, ou peint avec des traits si énergiques et si naturels il me faut une réparation ? Un

procès semblable n'aurait sans doute abouti qu'à attirer à son auteur l'humiliation qu'il méritait.

» Mais la manière dont je suis désigné, dit l'abbé Baudouin, ne permet pas de douter que ce ne soit moi à qui l'on en veut ; et autant valait-il me nommer que m'indiquer avec des renseignemens aussi personnels : on a dit que j'étais prêtre et principal d'un college de la capitale.

>> Cela est vrai : mais que résultait-il de là? Tout au plus un droit pour les principaux de forcer, ou à désavouer ce qu'on écrivait sur un d'entre eux, ou à nommer celui qui était inculpé. Il n'y avait qu'eux qui eussent une action; à cette action, si elle eût réussi, et qu'on eût nommé l'abbé Baudouin, aurait succédé pour lui une nouvelle action qu'il aurait pu faire valoir mais jusque-là, rien ne l'autorisait à se croire accusé, lorsqu'il n'était pas désigné. Ce n'était pas plus lui qu'un autre du même état que lui ; il n'y avait pour lui aucun trait personnel; c'était un portrait qui n'appartenait pas plus à l'un qu'à l'autre, qui pouvait choquer l'amour-propre en général, mais non pas celui des individus. Quelle raison avait-il donc de prétendre que c'était le sien? Il n'était pas nommé "3.

Telle était la défense de l'abbé Sabbatier ; mais elle n'a été ni ne pouvait être accueillie, parcequ'en droit c'est la même chose de nommer quelqu'un, ou de le désigner par des qualités qui moralement ne permettent pas de prendre le change sur sa personne (Loi 6, D. de rebus creditis. Loi 9, §, 9, D. de heredibus instituendis. Loi 34, D. de conditionibus et demonstrationibus). Voici le jugement qui a été rendu par le lieutenant criminel, le 14 juillet 1780;

« Nous, attendu la preuve résultant des » enquêtes et autres pièces du procès, que le » sieur abbé Baudouin a fait rédiger, impri» mer sans permission, et distribuer un écrit » Anonyme, tendant à prouver que le feu » sieur abbé Martin a composé la totalité ou la » meilleure partie du livre des Trois Siècles » de la littérature française, imprimé sous >> le nom du sieur Sabbatier seul.... ; que de » son côté le sieur Sabbatier a, entre autres

réponses audit écrit, fait insérer dans le » Journal de Paris partie d'une lettre à lui » adressée par le redacteur dudit écrit, con» tenant des injures graves contre l'abbé » Baudouin ; injures que le sieur abbé Sabba» tier a non-seulement rendues publiques, » mais qu'il a encore aggravées, en insérant, » dans le commentaire de sa lettre, des réti» cences insidieuses, propres à faire naître

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