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le conseil des prud'hommes décida que le décret de 1848 n'était plus applicable. (Pic, p. 449. Cauwès, t. 2, no 804.)

Mécontents de cette décision, les syndicats ouvriers se plaignirent à M. Floquet, ministre de l'Intérieur, qui promit de les soutenir dans leur campagne en faveur de la remise en vigueur du décret de 1848. Mais les successeurs de M. Floquet au ministère n'adoptèrent pas ses vues sur ce sujet et déclarèrent qu'il appartenait aux tribunaux et non pas au Gouvernement de résoudre la question de savoir si le décret de 1848 était encore ou non en vigueur.

Ce n'est qu'en 1897 qu'une instance judiciaire fut engagée par les ouvriers de M. Martin, tâcheron, qui avait sous-traité pour 9.500 fr. à M. Loup, entrepreneur de maçonnerie, la maind'œuvre d'un ravalement. M. Loup fournissait les échafaudages et devait donner des acomptes à son tàcheron tous les samedis.

Au moment de l'ouverture du procès devant la 9o chambre correctionnelle, M. Martin restait devoir 2,918 fr. 70 à 15 ouvriers et ceux-ci se portant partie civile les réclamaient à M. Loup comme dommages-intérêts.

Le tribunal correctionnel rendit son jugement le 9 avril 1897. Pour lui il existe deux sortes de marchandage. Un marchandage bon, loyal, utile, comportant, à titre de rémunération légitime, un bénéfice modéré réalisé sur la main-d'oeuvre; ce marchandage n'est pas répréhensible et n'est pas interdit par la législation de 1848 qui réserve au contraire « la question du travail à la tâche. >>

L'autre marchandage, le mauvais, est celui qui comporte << un profit excessif, déloyal, qu'on poursuit par tous les moyens notamment par l'avilissement des salaires » ou une « collusion entre l'entrepreneur et le sous-traitant ou un acte dolosif de l'un ou de l'autre dont le but serait d'entraîner une réduction exagérée du prix du travail et d'exposer les ouvriers aux dangers de l'infidélité ou de l'insolvabilité du marchandeur dans le règlement de leur paye ».

Cette théorie fut adoptée par la Cour de Paris (9 juillet 1897), confirmée et étendue par la Cour de cassation (4 février 1898).

Pour la Cour suprême, non seulement il n'y a pas « d'exploitation » interdite par la loi dans un acte frauduleux aboutissant au profit abusif que le tâcheron tire du travail de l'ouvrier, mais encore, le marchandage étant un délit, il doit s'y rencontrer les trois éléments nécessaires pour qu'un acte devienne délictueux un fait matériel, une intention de nuire et un préjudice pour l'ouvrier; la fraude et le dol sont les éléments substantiels du marchandage réprimé par la loi.

Malgré la haute autorité de la Cour de cassation, la Cour d'Orléans devant laquelle l'affaire avait été renvoyée à la suite d'un vice de procédure, adopta, sur opposition, une théorie toute différente.

Pour la Cour d'Orléans il n'y a qu'un seul genre de marchandage interdit par le législateur de 1848 et, dans le cas de celuici, il n'y a pas lieu de rechercher si le salaire payé aux ouvriers consiste dans un salaire moyen ou avili, le salaire ne dépendant que de la libre disposition des parties. Le marchandage consiste dans le seul fait d'une convention passée entre un tâcheron ouvrier et des ouvriers qu'il emploie sous ses ordres directs, le tâcheron étant payé à l'entreprise, c'est-à-dire à un prix forfaitaire pour une ou plusieurs unités de travail convenues, tandis qu'il paye ses ouvriers à l'heure ou à la journée. Pour que l'entrepreneur soit complice de ce délit, il suffit qu'il sache, en passant son contrat de sous-entreprise, que son tàcheron emploiera pour l'exécuter, des ouvriers travaillant à l'heure ou à la journée; le dol et la fraude ne sont pas nécessaires.

Cette doctrine nouvelle n'a pas séduit la Chambre criminelle de la Cour de cassation qui a persisté dans sa première jurisprudence. (Cass., 16 fév. 1900.)

L'affaire Loup a, depuis, donné lieu à deux arrêts, l'un, de la Cour de Bourges (20 juin 1900), l'autre des Chambres réunies de la Cour suprême (31 janv. 1901).

Aujourd'hui, la jurisprudence est donc assise; elle décide que le contrat de marchandage est licite en lui-même et que seul est réprimé l'abus qui peut être fait du marchandage par un profit abusif du tâcheron.

LIVRE V

Des associations ouvrières.

TITRE PREMIER

Associations internationales.

En 1864, sous le nom d'Association internationale des travailleurs, se fondait à Londres, dans un but économique, une association qui, rapidement détournée de sa voie, devait devenir célèbre par son rôle politique.

Cette association se compose de « sections » groupant des ouvriers de tous les métiers; ces sections réunies forment une ‹ fédération », à la tête de laquelle est placé un « conseil fédéral ». Les fédérations d'un même pays forment une « branche » et l'ensemble des branches constitue l'Association internationale des travailleurs. La direction suprême appartient à un « Conseil général » dont le siège est à Londres.

L'association internationale a aujourd'hui pour objet la préparation de la révolution sociale, l'avènement d'un ordre de choses nouveau ; elle entend, notamment, subordonner le capital au travail et abolir l'hérédité individuelle des capitaux. (André et Guibourg, p. 280.)

La part qu'elle a prise aux événements insurrectionnels de 1871 a engagé le Parlement français à voter la loi d'interdiction et de répression du 14 mars 1872, dont voici le texte :

« Toute association internationale qui, sous quelque dénomination que ce soit et notamment sous celle d'association internationale des travailleurs, aura pour but de provoquer à la suspension du travail, à l'abolition du droit de propriété, de la famille, de la patrie, de la religion ou du libre exercice des cultes, constituera, par le seul fait de son existence et de ses ramifications sur le territoire français, un attentat à la paix publique. (L. 14 mars 1872, art. 1er) (1).

«Tout Français qui, après la promulgation de la présente loi, s'affiliera (2) ou fera acte d'affilié à l'association internationale des travailleurs ou à toute autre association professant les mêmes doctrines et ayant le même but, sera puni d'un emprisonnement de trois mois à deux ans et d'une amende de 50 fr. à 1.000 fr. Il pourra en outre être privé de tous ses droits civiques, civils et de famille, énumérés en l'article 42 du Code pénal, pendant cinq ans au moins et dix ans au plus. L'étranger qui s'affiliera en France ou fera acte d'affilié sera puni des peines édictées. par la présente loi. (M. L., art. 2.)

La peine de l'emprisonnement pourra être élevée à cinq ans et celle de l'amende à 2.000 fr. à l'égard de tous Français ou étrangers qui auront accepté une fonction dans une de ces associations ou qui auront sciemment concouru à son développement, soit en recevant ou en provoquant à son profit des souscriptions, soit en lui procurant des adhésions collectives ou individuelles, soit enfin en propageant ses doctrines, ses statuts

(1) La loi du 29 juillet 1881 sur la presse n'a pas abrogé les dispositions de la loi du 14 mars 1872 (Lyon, 13 mars 1883, Sir. 85, 2, 39). et c'est toujours le tribunal correctionnel et non la Cour d'assises qui est compétente pour connaître des infractions qui y sont prévues.

(2) L'affiliation à l'Internationale résulte suffisamment de l'incorporation volontaire dans les cadres de cette association. (Angers 21 fév. 1873, D. p. 73, 1, 218.) Les peines prononcées par l'article 2 sont applicables au Français qui, s'étant affilié à l'association internationale dans un pays étranger, continue à en faire partie en France. peu importe que dans ce pays l'affiliation ne constitue pas un délit. (Dijon 29 août 1877, D. p. 78, 5, 43.)

ou ses circulaires (1). Ils pourront en outre être renvoyés par les tribunaux correctionnels sous la surveillance de la haute police (2) pour cinq ans au moins et dix ans au plus.

Tout Français auquel aura été fait application du paragraphe précédent restera, pendant le même temps, soumis aux mesures de police applicables aux étrangers conformément aux articles 7 et 8 de la loi du 3 décembre 1849 (3). (M. L., art. 3.)

<< Seront punis d'un à six mois de prison et d'une amende de 50 fr. à 500 fr., ceux qui auront prêté ou loué sciemment un local pour une ou plusieurs réunions d'une partie d'une section quelconque des associations susmentionnées, le tout sans préjudice des peines plus graves applicables, en conformité du Code pénal, aux crimes et délits de toute nature dont auront pu se rendre coupables, soit comme auteurs principaux, soit comme complices, les personnes dont il est fait mention dans la présente loi. (M. L., art. 4.)

«L'article 463 du Code pénal pourra être appliqué quant aux peines de la prison et de l'amende prononcées par les articles qui précèdent. (M. L., art. 5.)

« Les dispositions du Code pénal et celles des lois antérieures auxquelles il n'a pas été dérogé par la présente loi continueront de recevoir leur exécution. (M. L., art. 6.) »

(1) La publication dans un journal de documents exposant les doctrines de l'association internationale des travailleurs ne constitue pas un délit de presse, mais tombe sous l'application de l'article 3 de la loi du 14 mars 1872 lorsqu'elle a été faite dans un but de propagande et avec intention coupable. (Cass. 16 mai 1873, n° 132 et 133, et 21 juin 1873, n° 173.)

(2) Le paragraphe 2 de l'article 3 a été modifié par la loi du 27 mai 1885, article 19, qui a remplacé la surveillance de la haute police par l'interdiction de séjour.

(3) La loi du 3 décembre 1849 permet d'expulser du territoire français tout étranger dont la présence serait considérée comme un danger.

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