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des deux plantes, celle introduite ou celle indigène, fut envoyée en Europe pour détermination. Effectivement, il est précisément possible que le vrai China-grass puisse avoir été introduit dans l'Inde, longtemps même avant l'époque de ROXBURGH. En tout cas, dans son mémoire sur l'URTICA TENACISSIMA, ROXBURGH maintient que c'est une plante parfaitement distincte de l'URTICA NIVEA, telle que la décrivit LOURIERO. Le mot « Rhea », quoique usité en Assam, est, de façon incertaine, d'origine indienne. L'une des races qui dominent sur la frontière Est de l'Inde, et dans la vallée de Brahmaputra, vint du Siam par les flots successifs de la conquête. Les gens de ce pays n'ont-ils pas pu apporter le Rhea, et son nom, dans le pays de leur adoption? A l'appui partiel de cette supposition, on peut ajouter que, bien que des espèces de Boehmeria se rencontrent à travers toute l'Inde, il se trouve chez les envahisseurs de l'Assam que la fibre est beaucoup employée pour les besoins textiles. Que la B. NIVEA et la B. TENACISSIMA se trouvent ensemble dans certaines parties de l'Inde, de nos jours, cela va sans dire; par conséquent, les échantillons de l'Inde identifiés par les premiers botanistes ont pu être du China-grass, et non du Rhea. En effet, M. A. DE CANDOLLE (Origine des plantes cultivées, p. 146) va jusqu'à douter de l'existence du B. TENACISSIMA Comme plante réellement sauvage dans l'Inde, et le dernier numéro de la Flore de l'Inde anglaise la traite comme plante introduite. Parlant des ouvrages des auteurs sur le Rhea et le China-grass, M. DE CANDOLLE dit : « Nous ne devons pas nous fier aux expressions vagues de la plupart des auteurs » ni ajouter foi «< aux étiquettes attachées aux spécimens des herbiers, puisque fréquemment on n'a fait aucune distinction entre les plants cultivés, acclimatés, ou vraiment sauvages, et que les deux variétés de BEHMERIA NIVEA (URTICA NIVEA Linné, et B. TENACISSIMA Gaud, ou B. CANDICANS Kussk.) ont été confondues ensemble; ces formes semblent être des variétés de la même espèce, parce que des transitions entre elles ont été observées par les botanistes. Il existe aussi une sous-variété, avec des feuilles vertes sur les deux faces, cultivée par les Américains et par M. DE MALARTIE dans le Sud de la France. » Puis, M. DE CANDOLLE en vient à démontrer que, d'accord avec LINNÉ, la BOEHMERIA NIVEA est très probablement une plante cultivée en Chine uniquement, mais que, suivant plusieurs auteurs, c'est une plante sauvage abondante en Cochinchine, à Hong-Kong, aux Iles Philippines et dans l'Archipel Malais. Il ajoute alors : « Les autres variétés n'ont nulle

part été trouvées à l'état sauvage, ce qui suppose la théorie qu'elles sont seulement le résultat de la culture ». Le Rhea sauvage de l'Assam pourrait par conséquent ne pas être du tout le Rhea (Confr. avec VILLEBRUNEA, vol. VI, part. II).

Dans le rapport donné au Vol. I de cet ouvrage, on a attaché une grande importance à ce fait que le Rhea de l'Inde a toujours valu un prix plus bas sur le marché que le China-grass. « Il est à remarquer que le Grass-cloth de Chine serait beaucoup plus fin que le Rhea ; étant bouilli, il perdrait 0,89, tandis que le Rhea, soumis au même traitement, cède 1,51 de son poids. Ces faits et d'autres, en sus de la qualité déclarée supérieure, et par conséquent du prix plus élevé payé pour le China-grass cloth comparativement au Rhea, sembleraient confirmer le soupçon que ces deux fibres peuvent après tout s'obtenir de plantes différentes. Cette remarque est faite purement à titre de suggestion, mais il semble grandement désirable que nous examinions à fond toutes les plantes qu'on rencontre également dans l'Inde, et qui donnent des fibres analogues au Rhea, tout comme d'examiner à nouveau la plante dont on obtient le Grass-cloth de Chine, avant que beaucoup plus d'argent soit dépensé en expériences avec de nouvelles machines » (p. 481).

Il n'y aurait rien de singulier à supposer que, dans le vaste espace de la Chine, possédant comme l'Inde tous les degrés de climat et de sol, tropicaux et tempérés, de montagne et de plaine, il exista plusieurs formes du genre asiatique, Bohmeria. Il y a quarante ans, M. DECAISNE (le Botaniste Français le plus distingué de son temps) cultiva à Paris le China-grass apporté du Céleste Empire par M. LECLANCHER, et ayant soigneusement observé les plantes en végétation arriva à cette conclusion qu'elles représentaient deux espèces faciles à distinguer sans hésitation. Il les désigna des noms d'URTICA NIVEA et d'URTICA UTILIS, la dernière était l'URTICA TENACISSIMA de ROXBURGH, plante des Tropiques, tandis que l'URTICA NIVEA appartient aux climats tempérés. La question du Rhea ou du China-grass, pour quelque temps après l'époque du rapport de M. DECAISNE, se ralentit beaucoup dans la faveur populaire, et quand elle fut de nouveau reprise, les deux plantes furent envisagées comme une seule et même plante. Jusqu'à ce jour, tout au plus ce à quoi les botanistes ont consenti, c'est d'assigner à l'URTICA (BEHMERIA) TENACISSIMA le rang de variété de la B. NIVEA. Comme structure, les différences ne semblent pas être bien grandes, mais la plante des climats tempé

rés (B. NIVEA) est généralement considérée par le vulgaire comme reconnaissable d'avec l'espèce tropicale (B. TENACISSIMA) par les revers blanc d'argent de ses feuilles, au lieu d'être vertes avec des veines blanches 1. Si ce sont là les seules différences, il faut admettre que la position botanique est inattaquable; mais, en se plaçant à un point de vue pratique, il serait fatal d'imposer la culture de la forme tropicale d'une espèce dans une région tempérée, ou d'une tempérée dans une tropicale. Il est vrai, du reste, que ces deux plantes ont montré une faculté suffisante d'adaptation pour permettre à première vue pareille négligence, du moins jusqu'à un certain point. Mais l'expérience des cultivateurs européens est là pour assigner à la B. NIVEA des espaces plus septentrionaux et plus froids, et à la B. TENACISSIMA des régions plus méridionales et plus chaudes sur le sol d'Europe. D'accord avec la plupart des écrivains, la BOEHMERIA NIVEA a été trouvée aussi très bien adaptée à l'Amérique. Dans l'Inde, il semblerait que nous avons négligé ces observations essentiellement pratiques, et il est, par conséquent, probablement sûr de dire qu'une partie de notre insuccès est attribuable à notre négligence à ne pas avoir découvert expérimentalement laquelle ou lesquelles formes de Rhea ou de China-grass étaient adaptables à chaque étendue, avant que la culture, sur de grands espaces, fût entreprise. Lors même que la distinction entre les formes commerciales sus indiquées de Bœhmeria eût été observée, nous nous serions, dans l'Inde, toujours trompés, puisqu'on peut bien soupçonner qu'il existe dans ce pays de nombreuses autres plantes. génériquement désignées comme Rhea, dont les titres à un classement indépendant n'ont jamais été considérés.

DIFFÉRENTS SYSTÈMES DE CULTURE ET DIFFÉRENTES CONDITIONS DE CLIMAT ET DE SOL NÉCESSAIRES AUX DEUX FORMES COMMERCIALES

Parmi les Archives du Gouvernement de l'Inde, il se trouve une correspondance accompagnée d'une copie des « Orties textiles » de M. FAVIER. Un passage tiré de cette utile publication peut être donné ici, puisqu'elle enregistre les résultats des efforts faits en France. pour cultiver les deux formes commerciales de Boehmeria :

1. HOOKER dit : « Weddell distingue sous nom de B. candicans la forme de ce nom (B. NIVEA), et celle de TENACISSIMA à cause d'un aspect plus robuste, de ses feuilles plus grandes, plus longuement pétiolées, et d'une couleur uniforme » Fl. Br.Ind., V, 577). Bulletin du Jardin colonial.

« Production. Les orties textiles cultivées en France ne doivent pas être considérées comme poussant avec la même puissance de végétation qu'elles acquièrent dans les pays tropicaux sous la double influence de la chaleur et de l'humidité. Aussi ces plantes donnentelles seulement deux coupes dans notre pays, la première aux environs du 15 juillet, et la seconde vers la fin d'octobre ou le commencement de novembre. Afin d'obtenir une fibre de qualité uniforme pour les deux coupes, il est nécessaire que les tiges de ces deux coupes parviennent exactement au même degré de maturité. Par conséquent, il est bon de hâter la poussée de la première coupe au moyen des engrais liquides, particulièrement, si le printemps a été froid, en sorte qu'elle puisse être coupée vers le milieu de juillet; cela donnera le temps d'obtenir la seconde coupe dans des conditions satisfaisantes.

D'accord avec les calculs de M. HARDY, ancien directeur du Jardin Botanique près Alger, un champ d'orties textiles, passé un an d'âge, et dont les tiges avaient atteint une hauteur d'environ six pieds, produirait 48.000 livres par acre de tiges vertes avec leurs feuilles. Dans ce poids, il y aurait 20.400 livres de feuilles et 27.600 livres de tiges, qui se réduiraient à 4.900 livres par le séchage et donneraient 1.400 livres de lanières fibreuses. M. HARDY admet que deux coupes semblables peuvent s'obtenir en Algérie, ce qui porterait la production par acre à 9.800 livres de tiges sèches et à 2.800 livres de fibres utilisables. Dans ces conditions, la culture des orties textiles serait extrêmement rémunératrice.

Nous devons reconnaître qu'en France d'aussi fortes récoltes n'ont généralement pas été obtenues. Nous trouvons dans une très intéressante brochure sur la Ramie, publiée en 1877 par M. GONCET DE MAS, le relevé précis des résultats qu'il obtint dans ses essais de la culture de la plante. M. GONCET DE MAS cultive la Ramie dans les environs de Padoue, en des conditions de climat analogue à celles du Midi de la France, et les chiffres qu'il donne paraissent correspondre aux résultats qu'on devait prévoir de la culture des orties textiles dans nos départements méridionaux.

La première année, suivant son propre rapport, il obtint 14.400 livres de tiges vertes par acre en deux coupes, duquel poids une moitié se composait de feuilles. Les 7.200 livres de tiges vertes sans feuilles produisirent 1.440 livres de tiges sèches et 320 livres de filasse.

La 2o année, il récolta 52.600 livres de tiges, compris les feuilles,

c'est-à-dire 26.300 livres de tiges vertes sans feuilles, 5.260 livres de tiges sèches, et 994 livres de filament.

La 3o année, le champ étant à son état définitif, et les plants distancés de trois pieds dans les deux sens, mais réunis par leurs rejetons et leurs racines, il recueillit en deux coupes 64.720 livres de tiges vertes avec leurs feuilles (ce qui correspond à 32.360 livres de tiges sans feuilles, 6.400 1. de tiges sèches et 1.280 1. de filasse).

D'autres agriculteurs ont obtenu, dans le Midi de la France, jusqu'à 1.600 livres de filasse par acre. On peut donc admettre que la Ramie, dans des conditions que nous pouvons considérer comme normales pour notre pays, produira de 1.200 à 1.600 livres de filasse en deux coupes par an, de telle sorte que chaque coupe donnera plus de filasse que la meilleure récolte annuelle de chanvre ou de lin.

Les chiffres que nous venons de citer se rapportent à l'URTICA UTILIS, ou Ramie. M. GONCET DE MAS pense que l'URTICA NIVEA, ou Ortie blanche de Chine, produirait environ un tiers en moins. La chose étant ainsi, la culture de cette ortie serait encore très rémunératrice dans les régions où il n'est pas possible de cultiver la Ramie.

Quant au prix qu'on peut atteindre pour la filasse des Orties textiles, il doit évidemment varier avec sa qualité et son état, mais nous croyons qu'il peut au moins être égal à celui de la filasse du Lin dans les mêmes conditions de préparation et de qualité. La valeur actuelle à Londres de la filasse de China-grass, importée de l'Inde et de Chine, est de 45 à 50 livres sterling à la tonne.

La meilleure forme de B. NIVEA, d'après la plupart des écrivains, est celle connue sous le nom de SANGUINEA, nom que lui donna HASSKARL, à cause de la couleur rouge de ses tiges à maturité. Indubitablement, du reste, il y a plusieurs formes à la fois de B. NIVEA et de B. TENACISSIMA, et le planteur entendu ferait bien de produire et d'expérimenter d'abord sur une petite échelle autant de formes qu'il peut en obtenir, afin de découvrir celle qui produit le maximum de fibre supérieure dans les conditions de sol et de climat particulières à sa terre. En effet, les insuccès de Saharumpur tourneraient vers ce résultat tout à fait plausible d'expériences capables de prouver que, dans ce district aucune forme de Rhea ou de China-grass ne sera jamais susceptible d'atteindre un succès commercial.

(A suivre.)

G. BIGLE DE CARDO.

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