Page images
PDF
EPUB

maître; Ceylan, le cap de Bonne-Espérance, eussent consolidé la puissance anglaise aux Deux-Indes. Quel magnifique résultat de la campagne de 1799! Ces avantages étaient certains, et les espérances auxquelles on les sacrifiait étaient-elles au moins probables? En 1799, la coalition avait été victorieuse en Italie, mais battue en Suisse, en Hollande et en Orient, La France venait de changer son gouvernement. A cinq personnes divisées et peu habiles, succédait un homme dont les connaissances et les talens militaires n'étaient pas douteux ; il avait été élevé par l'assentiment de la nation : à son nom seul, la Vendée s'était déjà soumise, les armées de la Russie étaient en marche pour repasser la Vistule; lord Grenville lui-même convenait que quand le premier consul voudrait céder la Belgique, le peuple français en masse s'y opposerait:: ainsi l'objet de la guerre était populaire en France. Les cours de Berlin, de Vienne et de Londres, se trompèrent en 1792; les circonstances étaient si nouvelles ! Mais, en 1800, les hommes d'état d'Angleterre étaient-ils excusables de tomber dans la même erreur. Il était donc probable que la campagne de 1800 serait favorable à la France, que cette puissance reprendrait l'Italie, et que si enfin, contre toute probabilité, le succès de la campagne était douteux, il ne remplirait pas du moins le but que

se proposait le ministère anglais; il lui faudrait donc continuer, pendant plusieurs années, d'immenses subsides; car il ne pouvait espérer d'arracher la Belgique à la France que par la réunion de la Russie et de la Prusse, ou du moins d'une de ces deux puissances à la coalition. Or ce résultat politique ne pouvait pas être obtenu par la campagne de 1800. Il ne fallait donc pas courir les chances de cette campagne.

3o L'intérêt de la république était l'opposé de celui de l'Angleterre ; si elle eût fait la paix dans cette circonstance, elle l'eût faite après une campagne malheureuse, elle eût rétrogradé par l'effet d'une seule campagne, cela eût été un déshonneur et un encouragement aux puissances de se coaliser de nouveau contre elle. Toutes les chances de la campagne de 1800 lui étaient favorables: les armées russes quittaient le théâtre de la guerre; la Vendée pacifiée rendait disponible une nouvelle armée; les factions étaient comprimées dans l'intérieur, et la confiance était entière dans le chef de l'état. La république ne devait faire la paix qu'après avoir rétabli l'équilibre de l'Italie; elle ne pouvait, sans compromettre ses destins, signer une paix moins avantageuse que celle de Campo-Formio.

A cette époque la paix eût perdu la répu

blique, la guerre lui était nécessaire pour maintenir l'énergie et l'unité dans l'état, qui était mal organisé; le peuple eût exigé une grande réduction dans l'impôt et le licenciement d'une partie de l'armée; de sorte qu'après deux ans de paix, la France se fût présentée avec un grand désavantage sur le champ de bataille.

4o Napoléon avait alors besoin de guerre : les campagnes d'Italie, la paix de Campo-Formio, les campagnes d'Egypte, la journée du 18 brumaire, l'opinion unanime du peuple pour l'élever à la suprême magistrature, l'avaient sans doute placé bien haut; mais un traité de paix qui eût dérogé à celui de Campo-Formio, et eût annulé toutes ses créations d'Italie, eût flétri les imaginations, et lui eût ôté ce qui lui était nécessaire pour terminer la révolution et établir un systême définitif et permanent; il le sentait; il attendait, avec impatience, la réponse du cabinet de Londres. Cette réponse le remplit d'une secrète satisfaction: plus les Grenville et les Chatham se complaisaient à outrager la révolution et à montrer ce mépris qui est l'apanage héréditaire de l'oligarchie, plus ils servaient les intérêts secrets de Napoléon, qui dit à son ministre : "Cette réponse ne pouvait

[blocks in formation]

pas nous étre plus favorable." Il pressentait dès lors qu'avec des politiques si passionnés, il n'éprouverait pas d'obstacles à remplir ses hautes destinées. Pitt, si distingué d'ailleurs par ses talens parlementaires et ses connaissances de l'administration intérieure, était dans la plus parfaite ignorance de ce qu'on appelle politique; en général les Anglais n'entendent rien aux affaires du continent, surtout à celles de France.

La gloire de la France a été portée au plus haut point; toute l'Europe lui était soumise, et le ministère anglais a été obligé, peu de mois après s'être permis des déclamations si injurieuses au peuple et à la nation française, de signer la paix d'Amiens. La France reconnue maîtresse de toute l'Italie a fait une paix plus avantageuse que celle de Campo-Formio, puisqu'elle y a gagné le Piémont et la Toscane; et il a fallu que le poignard d'un fanatique fît tomber le commandement de l'armée d'Orient entre les mains d'un homme distingué sous bien des points de vue, mais absolument dépourvu de talent et de génie militaires, pour que l'Egypte ne fût pas à jamais réunie à la France.

Car il n'est pas un militaire anglais, turc ou français, qui ne convienne que l'armée d'Aber

combie eût été battue et détruite si Kléber eût vécu. Déjà la Porte avait montré des dispositions favorables pour faire la paix, indépendamment de l'Egypte. De quel poids un jeune fanatique de vingt-quatre ans, sur la foi d'un passage douteux du Coran, a-t-il pesé dans la balance du monde !

« PreviousContinue »