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N° DCXL. - Samedi 23 Octobre 1813.

POÉSIE.

SECOND FRAGMENT DE L'ÉDUCATION DU POÈTE (1);

POÊME IMITÉ DE VIDA.

MON élève (2) inspiré, je l'entends, je le vois,

En cadence déjà module à demi-voix

Les vers harmonieux, les accens poétiques
Qu'il imite avec goût des modèles antiques.
Jeunes présomptueux qui vous flattez si bien,
Qui croyez tout savoir et qui ne savez rien,
Avant que votre nom soit cité dans nos fastes,
Mon pinceau va tracer le plus vrai des contrastes.
Vous n'hésitez jamais, fermes à chaque pas;
Mon élève craintif ne vous ressemble pas :

Il sonde le terrain, le sonde encor, s'avance,

Et ne se pique point d'une folle assurance.

Un coup-d'œil vous suffit, et vous percez les cieux;
Il regrette souvent de n'avoir pas cent yeux.

(1) Voyez le Mercure du 21 août dernier.

(2) Eugène de Bassano, un des élèves du Lycée impérial.

K

/Même sans écouter vous pouvez tout entendre ;
Il écoute, il ne peut cependant vous comprendre.
Pour vos rares esprits il n'est rien d'épineux;

Vous décidez de tout, vous tranchez tous les nouds;
Son œil voit les erreurs de la sotte doctrine
Qui juge dès l'abord avant qu'elle examine.
Des plus sages conseils vous êtes ennemis ;
Toujours avec respect il s'y montre soumis.
Vous allez sans boussole; elle guide sa route;
A vos faits controuvés il oppose le doute;
Sa pensée est active et va de toutes parts;
Sur la nature entière il porte ses regards.
Chez vous, le mauvais goût pêle-mêle rassemble
Des mots tout étonnés de se trouver ensemble;
Chez lui, leur alliance et les plus nobles tours
D'une heureuse clarté font briller le discours.
Fatigués d'exister, plongés dans la mollesse,
Vous tâchez d'en jouir, et vous souffrez sans cesse ;
Jamais l'ennui croissant au milieu des pavots,
Ne dévora son ame étrangère au repos.
L'étude est son plaisir, il en fait ses délices;
Le travail devant lui repousse au loin les víces ;
Il orne son esprit, il se forme le cœur,
Et savoure à longs traits la coupe du bonheur.
Si la raison sévère ose vous contredire,
Soudain chacun de vous et se vante et s'admire ;
Vous blâmez la raison et vous la condamnez.
Mon élève rougit si vous le reprenez,
Vous de qui la vertu, la raison, la science
Marchent à pas comptés près de l'expérience (3).

VALANT.

(3) Je ne parle point d'un entrepreneur d'éducation qui annoncerait dans l'Almanach du Commerce: « que son établissement » est le plus considérable de l'Empire; qu'il y a plus de cinq cents » élèves, etc. J'ai fait, en l'honneur d'un si modeste mentor, ce distique latin:

Sæpè tumet Rector numerosos inter alumnos ;

Maximus Imperii Jupiter ille micat.

(Note de l'auteur.)

LES VEUX D'UN SOLITAIRE

AMOUR, cruel Amour, source de nos malheurs,
Qui du charme des yeux fais le tourment des coeurs,
O toi, qui sur nos sens énervés de mollesse

Répands le doux poison que l'on nomme tendresse.
Garde-toi de porter dans un cœur vertueux
L'ivresse et les transports qui naissent de tes feux?
Telle que sur le lys ou la rose vermeille,
Voltige en se jouant une innocente abeille,
Telle semble accourir Vénus auprès de nous;
Mais loin de l'appeler redoutons son courroux.
Bientôt son souffle impur empoisonne et dévare:
L'hiver, aux tendres fleurs, est moins funeste encore.
Oui, barbare Vénus, c'est par toi, par ton fils,
Que des faibles mortels les cœurs sont avilis ;
Aux célestes lambris tu fais des misérables,
Et rends les Dieux jaloux, cruels, impitoyables.
Les habitans de l'air, les hôtes des forêts,

Et ceux qu'au fond des mers on prend dans les filets,
Homme ou brute à tes lois souscrivent en silence,
Et l'univers entier adore ta puissance.

Moi seul, moi, je prétends me soustraire à tes lois,
Vaincre ton doux regard, résister à ta voix,
Et pour mieux te braver, pour exciter ta rage,
A Minerve en ce jour je porte mon hommage.
O toi, qui du cerveau du souverain des Dieux,
Sortis, et fus la gloire et l'ornement des cieux,
Pur esprit, vrai torrent de force et de lumière,
Je t'invoquerai seule, exauce ma prière !
Je ne demande point dans mes vœux insensés,
Aux dépens de l'honneur des trésors amassés,
Ni d'un rang élevé l'orgueilleuse bassesse;
Mais daigne m'accorder les vertus, la sagesse,
Les arts consolateurs, la paix et la santé,
Et le premier des biens, l'aimable liberté!

TALAIRAT.

ÉGINARD AU TOMBEAU DE SA MIE.

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ROMANCE.

QUE fais-tu là, valeureux chevalier,

» Le corps penché, les yeux noyés de larmes?

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Quel voile épais à recouvert tes armes !
Quelle devise offre ton bouclier !

» Brave Eginard, terreur de l'Infidelle,

> N'entends-tu pas le clairon qui t'appelle?...
» Nous triomphons par-tout, et te voilà!
» Que fais-tu là ?

- » Las! je n'entends qu'un sourd gémissement
>> Qui sort du fond de cette affreuse tombe :
> Le bruit du vent, d'une feuille qui tombe,
→ Remplit mon cœur d'un froid saisissement.
>> Tu connaissais ma noble et tendre amie....
» D'un long sommeil elle s'est endormie !
» Cette beauté, qui parmi nous brilla,

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Repose là !

>> Il n'est pour moi ni gloire, ni bonheur :
» D'un seul désir mon ame est tourmentée....
» N'est plus le tems qu'elle était agitée

» Des feux d'amour et des pensers d'honneur?... > Tout me déplaît, et m'afflige et m'obsède...

» A mes ennuis il est tems que je cède.

>> J'attends la mort, qui trop-tôt l'appela ;

» Je l'attends là !

H. L. S.

CHANSON ÉNIGMATIQUE.

COMBIEN de têtes je dirige
Dans les affaires d'ici bas!
En vain le sage s'en afflige;

La raison me cède le pas.

Les faveurs comme les disgrâces

Sont le fruit de ma volonté ;

C'est moi qui dispense les places

Et qui fais taire l'équité.

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