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offert un temple à sa fortune; ils fermèrent leurs portes à son malheur.

Depuis la bataille d'Ipsus, Cassandre possédait paisiblement la Macédoine, et dominait dans la Grèce. Pour rendre ses droits plus respectables aux yeux des Macédoniens, il s'était marié avec Thessalonice, sœur d'Alexandre le Grand : favorisé par le destin, il n'eut plus d'ennemis que ses remords. On le haïssait, on le méprisait; mais on lui obéit. Un trône acquis par tant de crimes ne devait pas être solide. Cassandre mourut. Il laissait trois fils, nommés Philippe, Antipater el Alexandre. Philippe survécut peu à son père; ses deux autres frères se disputèrent la couronne. La reine Thessalonice voulut vainement les rapprocher; ils coururent aux armes. Antipater, irrité des reproches de sa mère, l'assassina. Ce meurtre révolta la plus grande partie de ses sujets. Pyrrhus, roi d'Épire, prit le parti d'Alexandre et entra en Macédoine. Antipater périt; la vie d'Alexandre fut de courte durée : de sorte qu'il ne resta sur la terre aucun rejeton de la famille du conquérant de l'Asie.

La mort de Cassandre laissait à la Grèce quelque espoir de liberté ; l'active ambition de Démétrius ne lui permit pas d'en jouir ce prince détrôné se réconcilia avec Séleucus, obtint d'assez grandes possessions en Asie, leva des troupes, arma des vaisseaux, revint en Grèce, entra dans l'Attique et s'empara d'Athènes. Le peuple s'attendait à une juste vengeance; la terreur régnait dans la ville; elle fut au comble lorsque tous les citoyens, rassemblés par les ordres du roi au théàtre, se virent environnés d'une foule de soldats armés. Démétrius, satisfait d'avoir puni leur bassesse et leur ingratitude par quelques heures d'effroi, leur pardonna.

Il partit ensuite pour se rendre maître du Péloponèse. Les Spartiates lui résistèrent; il les battit, et défit complétement le roi Archidamus, près de Lacédémone. Le courage des habitants et les nouvelles qu'il reçut des troubles de Macédoine l'empêchèrent de prendre cette ville. En s'éloignant, il traversa

la Grèce, entra dans les états d'Alexandre pour le soutenir contre Antipater; mais il trouva que Pyrrhus l'avait déjà prévenu. Alexandre, vainqueur de son frère, céda plusieurs villes au roi d'Épire pour reconnaître ses services, et acheva la conquête de son royaume sous la protection de Démétrius. N'ayant plus besoin de secours, il voulut se délivrer d'un protecteur dont il redoutait la domination. Démétrius, informé de ses complots, le tua et se déclara roi de Macédoine. Cet accroissement de puissance excita la jalousie de Lysimaque : il rassembla une armée pour entrer en Macédoine, et Pyrrhus même, n'ayant pu amener Démétrius à aucun accommodement, s'arma contre lui.

Nous avons vu précédemment que le roi d'Épire avait sauvé la vie de Démétrius dans la bataille d'Ipsus: mais l'ambition des princes écoute rarement la voix de l'amitié et de la reconnaissance; sous le nom de gloire, l'intérêt prend trop souvent chez eux la place de toutes les vertus.

Le sort avait destiné Pyrrhus aux aventures les plus romanesques; les orages de sa vie commencèrent avec sa naissance. Il était à la mamelle lorsqu'un usurpateur détrôna son père Éacide échappé au poignard des rebelles, on le porta en Illyrie chez, le roi Glaucias. Ce monarque, craignant la vengeance de Cassandre, roi de Macédoine, voulait lui livrer cette innocente victime; mais le jeune enfant, saisissant sa robe avec ses mains, le toucha par son sourire et par ses caresses. Le roi le prit sous sa protection, l'éleva, et, lorsqu'il fut grand, un parti de sujets fidèles le rappela en Épire. Il y rentra et monta sur le trône.

Quelques années après, étant allé en Illyrie pour assister aux noces d'un fils de Glaucias, ses sujets se révoltèrent de nouveau, et donnèrent le sceptre à Neoptolème, son grandoncle. Pyrrhus, dépouillé de sa puissance, se rendit en Asie; ce fut le premier théâtre de sa gloire: il fit des prodiges de valeur à la bataille d'Ipsus. Après cette fatale journée, il alla en Égypte sa renommée, son esprit, sa douceur, lui conci

lièrent l'amitié du roi et de la reine Bérénice. Cette princesse lui fit épouser Antigone, sa fille. Ptolémée lui donna une flotte et des subsides: avec ces secours il rentra en Épire, battit les rebelles, et conclut avec Néoptolème un traité, en vertu duquel ils devaient régner conjointement. Leur bonne intelligence dura peu; le perfide Néoptolème corrompit quelques officiers de Pyrrhus, et les décida à l'empoisonner. Antigone découvrit le complot et en avertit son époux, Pyrrhus, dissimulant son ressentiment pour assurer sa vengeance, invita Neoptolème à un festin, le fit assassiner, et resta seul maître de l'Épire.

Quelque temps après il porta ses armes en Macédoine, comme nous l'avons dit précédemment 1. Alexandre et Antipater étant morts, il déclara la guerre à ce mème Démétrius, époux de sa sœur Déidamie, et dont il avait sauvé la vie au péril de ses jours.

Tandis qu'il entrait dans la Macédoine, Démétrius, par une autre route, pénétra dans l'Épire et la livra au pillage. Pyrrhus cependant rencontra une seconde armée macédonienne, commandée par Pantauchus, qui passait pour un des plus braves et des plus habiles généraux de la Grèce. La bataille fut sanglante et longtemps douteuse : au milieu de la mêlée Pantauchus, défiant le roi d'Épire, le cherchait et l'appelait partout à grands cris. Pyrrhus, volant à sa rencontre, le combattit avec intrépidité, reçut une légère blessure, et renversa son ennemi. Sa défaite entraîna la déroute des Macédoniens. Cette victoire accrut beaucoup la renommée de Pyrrhus; on disait qu'il ressemblait à Alexandre par son génie, par sa figure et par son audace, tandis que les autres rois n'imitaient ce héros que par leur luxe, leur garde et leur orgueil.

Ce jeune guerrier se faisait adorer des soldats en leur attribuant modestement sa gloire. Ayant su qu'ils le surnommaient l'aigle de l'Épire, il leur dit : « Si je suis un aigle, vous êtes << mes ailes; car ce sont vos armes qui m'ont élevé si haut. >> An du monde 3711. - Avant Jésus-Christ 293.

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Sa douceur égalait son courage. On lui amena un jour quelques jeunes officiers qui, dans un festin, s'étaient permis des propos outrageants contre lui leur ayant demandé s'ils avaient réellement proféré ces paroles indiscrètes : « Oui, « seigneur, répondit l'un d'eux, et nous en aurions bien dit << davantage si le vin ne nous eût manqué. » Il rit de cette saillie, et leur pardonna.

Satisfait de son triomphe et des avantages que lui offrait Démétrius, Pyrrhus conclut une trève avec lui. La paix en aurait été la suite; mais Démétrius lui fit une nouvelle injure. Le roi d'Épire venait d'épouser Lanassa, fille d'Agathocle, tyran de Syracuse; elle lui avait apporté en dot l'île de Corfou. Cette princesse, mécontente des procédés de Pyrrhus, qui lui préférait d'autres femmes, se retira à Corfou, et entretint des intelligences secrètes avec Démétrius : celui-ci l'enleva et la prit pour femme. Pyrrhus, irrité, entra de nouveau dans la Macédoine, que Lysimaque attaquait d'un autre côté. Démétrius s'avança pour le combattre; mais toute son armée se révolta et passa dans le parti de Pyrrhus. Abandonné par ses troupes, entouré d'ennemis, Démétrius, pour la seconde fois dépouillé de ses états, se sauva sous l'habit d'un pâtre, et chercha une nouvelle fortune en Asie. Séleucus et Ptolémée lui cédèrent la Phénicie et la Cilicie: mais l'inconstant Démétrius, s'éloignant encore de ces riches provinces pour tenter d'inutiles conquêtes, succomba enfin sous les armes de Séleucus: ses troupes furent mises en déroute; après avoir erré quelque temps au milieu des montagnes, il se vit obligé de se rendre à discrétion, et Séleucus le retint dans un château, où la débauche termina ses jours.

Pyrrhus, vainqueur, n'avait pas voulu laisser au parti de Démétrius le temps de se relever; après avoir partagé la Macédoine entre lui et Lysimaque, il se rendit à Athènes, qui lui ouvrit ses portes.

Les Athéniens lui décernèrent de grands honneurs; et, en reconnaissance de leur bon accueil, il leur donna le sage

conseil de ne jamais laisser entrer dans leur ville aucun roi, pas même lui.

De retour en Macédoine, il trouva ce pays en fermentation. Les Macédoniens se trouvaient humiliés d'obéir à un roid'Épire, autrefois vassal de leurs souverains. Lysimaque, profitant de ces dispositions, souleva toute la nation, et força Pyrrhus de rentrer dans son royaume. Quelques villes qui lui furent cédées le décidèrent à conclure la paix.

Le génie de ce prince était trop ardent pour se tenir longtemps renfermé dans les étroites limites d'un si petit royaume. Le sort lui offrit bientôt une occasion de porter ses armes en Italie plus frappé de la gloire que des dangers de l'entreprise, il s'y précipita sans hésiter. Les habitants de Tarente, alors en guerre avec les Romains, ainsi que les Lucaniens et les Samnites, appelèrent le roi d'Épire à leur secours, et il résolut de remplir leur vou.

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Un de ses favoris, Cynéas, ministre habile et sage, s'opposant vainement à ce projet, en montrait toutes les difficultés, et demandait quel avantage on pourrait retirer d'une guerre si dangereuse dans un pays si éloigné. « Comment! lui dit << Pyrrhus, vous ne voyez pas que, les Romains étant une << fois vaincus, rien ne pourra nous résister, et que nous << serons maîtres de l'Italie ? Eh bien! répondit Cynéas, «< après avoir conquis l'Italie, que ferez-vous? — La Sicile est « divisée, reprit le roi, il sera facile de s'en emparer. << Sera-ce le terme de la guerre? Non, nous passerons en << Afrique Carthage résistait à peine à Agathocle; elle nous << offrira une victoire facile. Je vois, seigneur, qu'avec tant «< de puissance vous pourrez revenir vous emparer de la Ma« cédoine et de toute la Grèce. Mais que ferons-nous ensuite? Alors, mon cher Cynéas, nous nous reposerons, et nous « passerons nos jours en festins et en plaisirs. Eh! que ne «< commencez-vous donc par là? dit Cynéas: pourquoi mar«< cher à travers tant de périls, faire tant de malheureux, ré<< pandre tant de sang pour courir, par de si longs et de si

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