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subjugua ses courtisans; sa fermeté rétablit la discipline; quelques actes de rigueur réprimèrent les séditions; son habileté trouva des ressources ignorées. Respecté des officiers qu'il éclairait, adoré des soldats qu'il appelait ses camarades, et qu'il précédait dans les dangers, il donna bientôt à son armée l'apparence et la force de cette armée thébaine dans les rangs de laquelle il avait été nourri.

Le bataillon sacré de Thèbes fut le modèle sur lequel il forma cette fameuse phalange macédonienne qui subjugua la Grèce, conquit l'Asie et fit chanceler le colosse romain.

Elle avait mille hommes de front sur seize de profondeur; ses soldats portaient des piques nommées sarisses, longues de vingt et un pieds. Ce corps d'élite, parfaitement exercé, impénétrable à toute attaque, protégeait les retraites, décidait les victoires, et renversait tout ce qui se trouvait sur son passage. Le seul inconvénient de cette masse était de ne pouvoir manœuvrer que dans les plaines vastes et unies, et d'être inutile dans les pays coupés.

Philippe, avec une incroyable activité, chassa les Illyriens, força les Thraces à lui livrer Pausanias, et défit le corps athénien qui protégeait Argée.

Aussi adroit que vaillant, il renvoya généreusement à Athènes les prisonniers qu'il avait faits, et négocia avec la république en témoignant le plus vif désir d'obtenir son amitié.

Les Macédoniens, fiers des succès de Philippe, déposèrent le jeune Amyntas, son neveu, et lui donnèrent la couronne.

Aussi actif en administration qu'à la guerre, Philippe établit le plus grand ordre dans l'État : il grossit ses troupes, augmenta ses revenus, embellit sa capitale par des monuments, fit régner la paix par la justice, introduisit dans le royaume les sciences, les lettres, les arts, attira par sa générosité dans sa cour des philosophes célèbres, d'illustres étrangers, envoya partout des ambassadeurs, en reçut de toutes les contrées, et se mit bientôt en état d'étendre au loin

la puissance d'un pays qu'il avait sauvé d'une ruine presque inévitable, et qui, par le pouvoir de son génie, sortait de la plus profonde nuit pour jeter tout à coup l'éclat le plus vif et le plus inattendu.

Dans le même temps, pour rehausser sa gloire, le sort lui préparait un rival digne de lui: ce rival n'était point un roi puissant, un guerrier fameux; c'était le célèbre orateur Démosthène. Il prouva, par tous les obstacles qu'il parvint à opposer au génie de Philippe, que la parole vaut souvent une armée, et que l'éloquence a ses foudres comme la guerre.

Il avait deux ans de moins que le roi de Macédoine : son père possédait des forges dont le revenu assurait l'indépendance de son fils. Le jeune Démosthène avait étudié aux écoles de Platon et d'Isocrate le succès éclatant d'un discours de Callimaque excita son enthousiasme et fit naître sa passion pour un art où il devait surpasser ses rivaux et ses maîtres. Mais la nature favorisa plus son esprit que son organe il bégayait et ne pouvait prononcer certaines lettres qu'avec la plus grande difficulté que ne peut une volonté ferme ! elle renverse toutes les barrières qui cherchent à l'arrêter.

Démosthène fut accueilli par des huées la première fois qu'il parut à la tribune. Indigné de cet affront, mais non découragé, il jura de vaincre la nature, et il y parvint s'exerçant à parler à haute voix avec des cailloux dans la bouche, sur le bord de la mer, au bruit des vagues irritées, il s'accoutumait ainsi à braver les murmures et l'agitation des flots du peuple.

L'irritabilité de ses nerfs lui donnait dans les épaules un mouvement convulsif désagréable, et contraire à la dignité qui doit accompagner l'orateur pour triompher de cette habitude, il parlait dans une tribune étroite, au-dessus de laquelle était suspendue une pique dont la pointe arrêtait le mouvement involontaire qu'il voulait réprimer.

Loin d'imiter l'imprudence et la négligence de ses rivaux

qui se fiaient à leur talent pour improviser, et croyant qu'on ne peut soigner avec trop de respect ce qu'on doit dire devant une assemblée imposante, et sur les affaires qui intéressent l'État, il s'enfermait souvent dans une retraite souterraine pour y préparer, composer et corriger ses harangues; il se rasait même à moitié la tête, afin d'ètre dans l'impossibilité de sortir.

Aussi l'orateur Démade prétendait que les discours de Démosthène sentaient l'huile, pour faire allusion à la lampe qui éclairait son travail.

L'éloquence de cet homme célèbre, qui lui donna un si grand empire sur ses concitoyens, était grave, impétueuse, sévère, véhémente: ce fut toujours par des reproches, et non par des flatteries, qu'il domina le peuple. Il lui rappelait sa gloire passée, sa corruption présente, donnait des éloges piquants aux talents, à l'activité de l'ennemi, et savait réveiller à propos les Athéniens de leur mollesse par des apostrophes foudroyantes.

Tantôt il invoquait les dieux pour secourir sa malheureuse patrie contre les dangers d'une destruction prochaine; tantôt, pour enflammer les courages, il évoquait les mânes des héros de Salamine, de Marathon et de Platée. Mais ce qui donna surtout la plus grande force à ses paroles, ce fut un amour brûlant pour sa patrie, que rien ne pouvait endormir, effrayer ni corrompre.

Au moment où Démosthène voyait avec inquiétude les progrès rapides de la puissance de Philippe, Athènes fut alarmée par la nouvelle des préparatifs immenses que faisait le roi de Perse pour quelque entreprise dont on ignorait l'objet. Les Athéniens croyaient qu'il projetait une invasion en Grèce, et voulaient la prévenir en l'attaquant. Démosthène, qui voyait un danger plus certain du côté de la Macédoine, persuada à ses concitoyens de se contenter d'armer une flotte, et d'éviter vec soin toute démarche imprudente qui pourrait irriter la

Perse.

Sparte commençait alors à se relever de ses défaites, et à menacer les Thébains privés de leurs illustres généraux. Démosthène persuada aux Athéniens que, malgré leur alliance avec Lacédémone, ils ne devaient pas souffrir qu'elle s'emparât de Mégalopolis. Athènes suivit ses conseils, et envoya trois mille hommes au secours de cette ville, afin de tenir la balance égale entre les Spartiates et les Thébains.

La puissance de Philippe augmentait alors comme son audace. Après avoir défait en bataille rangée les Illyriens, il prit Amphipolis, colonie athénienne : comme il ne voulait pas encore inspirer trop d'ombrage aux Athéniens, il déclara cette ville indépendante; mais il eut soin d'y laisser des hommes adroits et dévoués, qui engagèrent peu de temps après les habitants à se donner à lui.

Encouragé par ce succès, il poussa plus hardiment ses entreprises, réduisit sous son joug les Péoniens, et s'empara même de Potidée, d'où il renvoya une garnison athénienne.

Démosthène, qui le suivait d'un œil inquiet, s'efforçait alors vainement de rendre ses compatriotes sensibles à cette injure; l'habile Philippe trouvait moyen d'endormir leur défiance en flattant leur amour-propre; il leur faisait de magnifiques promesses, et recherchait leur alliance en même temps qu'il attaquait leurs alliés.

Ses artifices réussirent si parfaitement auprès des différents peuples de la Grèce, que, loin de s'opposer à ses progrès, ils le rendaient l'arbitre de leurs querelles. Une de ses plus importantes opérations fut la prise de Cnide la conquête de ce pays lui donna des mines d'or, dont il tirait annuellement trois millions, somme qui dépassait les revenus d'Athènes.

Cette nouvelle source de richesse augmenta ses troupes, lui valut partout des espions et des amis, et lui ouvrit l'entrée de beaucoup de villes aussi disait-il qu'il ne regardait aucune forteresse comme imprenable, dès qu'il y pouvait faire monter un mulet chargé d'argent.

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Au lieu de traverser ses desseins, Athènes et Thèbes s'occupaient de leurs propres différends, et alimentaient par leurs secours la discorde excitée alors dans l'île d'Eubée par deux factions opposées.

Cette guerre de peu d'importance fut terminée par l'arrivée d'une flotte athénienne : elle débarqua des troupes dans cette ile, et en chassa les Thébains.

Ce fut l'an 3648, trois cent cinquante-six ans avant JésusChrist, que la reine Olympias, femme de Philippe, devint mère d'Alexandre le Grand.

Il naquit le même jour où l'insensé Érostrate mit le feu au temple d'Éphèse pour immortaliser son nom. On méprisa la folie d'Erostrate qui ne brûla qu'un temple, on admire celle d'Alexandre qui incendia le monde.

Au moment où Philippe reçut la nouvelle de la naissance de son fils, ses dépêches lui apprirent qu'il avait gagné le prix aux jeux olympiques, et que Parménion, l'un de ses généraux, venait de remporter une grande victoire sur les Illyriens. Il écrivit en ces termes au fameux philosophe de Stagyre, Aristote : : « Je vous apprends que j'ai un fils. Je remercie les << dieux moins de me l'avoir donné que de l'avoir fait naître « de votre vivant. J'espère que par vos soins j'aurai un suc«< cesseur digne de moi. »>

En 3649, la Grèce vit éclater une guerre religieuse, d'abord partielle et depuis nationale: on l'appela la guerre sacrée; elle dura dix ans.

Les Phocéens avaient labouré un champ appartenant au temple d'Apollon; on les accusa de sacrilége : les amphictyons les condamnèrent à une forte amende. Philomèle, chef des Phocéens, s'opposa à l'exécution de l'arrêt s'appuyant sur la foi d'un vers d'Homère, il soutint que le temple de Delphes dépendait de la Phocide, et devait être sous la surveillance de son gouvernement.

Courant aux armes avec ses concitoyens, il battit d'abord les habitants de Locres, entra ensuite dans le temple, déchira

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