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<< si fiers et que vous poussez jusqu'à la licence, vous l'avez << exclue de la tribune enfin vous vous endormez tandis << que le cours des événements vous entraîne dans les der« niers périls.

<< Examinez la conduite de Philippe avec les autres peuples: «< ce fut à quarante stades d'Olinthe seulement qu'il déclara << nettement sa volonté aux habitants de cette ville. Il faut, « leur dit-il alors, que vous quittiez Olinthe, ou moi la Ma« cédoine. Jusque-là si on l'accusait de méditer leur perte, il << regardait ce soupçon comme une offense, et leur écrivait « pour se justifier. Avant de détruire la Phocide, il y entra «< comme allié et comme ami, accompagné de députés phocéens « qui soutenaient que cette expédition ne serait funeste qu'aux « Thébains. Dernièrement encore il se présentait comme pro«<tecteur de la Thessalie, et s'emparait de la ville de Phères. « Les habitants d'Orée, qu'il a réduits sous son joug, ont cru « qu'il leur envoyait des troupes pour apaiser leurs dissen«sions. >>

L'orateur accumule ensuite les plus forts arguments pour persuader au peuple qu'au lieu de perdre son temps à délibérer sur la Chersonèse et sur Byzance, il doit voler à leur

secours.

« On n'a déjà, dit-il, que trop fait de concessions à Phi« lippe on lui a accordé un droit dont l'apparence seule suf<< fisait autrefois pour soulever toute la Grèce, celui d'envahir « les États et de les asservir.

« Vous, Athéniens, vous fûtes les arbitres de la Grèce pen« dant soixante-treize ans ; les Lacédémoniens jouirent de «< cette suprématie pendant vingt-neuf; et les Thébains, après « la bataille de Leuctres, obtinrent quelque supériorité : ce<< pendant on n'accorda jamais, ni à vous, ni au Thébains, ni << aux Lacédomiens, une pareille domination; loin de la souf«frir, tous les Grecs, ceux même qui n'avaient pas de sujet légitime de plainte contre Athènes, se liguèrent contre vos « ancêtres, quoiqu'ils n'eussent à vous reprocher que votre

« prééminence. Les Lacédémoniens éprouvèrent le même sort « lorsqu'ils tentèrent d'opérer par leur influence quelques <«< changements dans les républiques; et cependant leurs er<«< reurs et nos fautes n'étaient rien en comparaison des entre<< prises que depuis treize ans Philippe forme contre la Grèce. << Sans parler d'Olinthe, de Méthone, d'Apollonide, de trente<< deux villes de Thrace qu'il a tellement détruites qu'à peine «< retrouve-t-on quelques vestiges de leur existence, sans rap« peler la ruine des Phocéens, voilà l'état de la Thessalie! « N'a-t-il pas démantelé ses villes et changé son gouverne« ment? L'Eubée, cette île voisine de Thèbes et d'Athènes, ne « l'a-t-il pas livrée à des tyrans? Quel orgueil dans ses let« tres! Je ne suis en paix, écrit-il, qu'avec ceux qui veulent « m'obéir. Ce qu'il dit, il le fait; et nous, nous le laissons s'a<«< grandir, croyant que le temps qu'il emploie à la destruction « des autres est un temps gagné pour nous! Personne cepen<< dant ne peut ignorer que Philippe, semblable à une fièvre con«<tagieuse, fond sur celui-là même qui paraît le plus éloigné « du péril.

« Si un enfant de la Grèce la ruinait ainsi, on lui reproche«rait de piller de la sorte son patrimoine : que dirons-nous << donc des invasions, des dévastations de Philippe, qui n'est « point Grec, qui n'a rien de commun avec les Grecs, qui n'est « pas même un Barbare illustre, qui n'est en un mot qu'un « misérable Macédonien, sorti d'une contrée d'où, jusqu'à << présent, il ne venait pas même un bon esclave? Eh! voyez << cependant jusqu'où va son insolence! Peu content des villes « qu'il a prises, des honneurs qu'on lui accorde aux jeux py<<thiques qu'il fait présider par ses esclaves, maître des << Thermopyles, protecteur du temple de Delphes, il préside << les amphictyons à notre préjudice, gouverne la Thessalie, « établit des tyrans à Érétrie, dans Orée, enlève Ambracie et << Leucade aux Corinthiens, Naupacte aux Achéens, et menace << aujourd'hui Byzance.

« Quelle est donc, Athéniens, la source de ce désordre?

« comment tous les Grecs, autrefois si jaloux de leur liberté, <«< se montrent-ils à présent si disposés à la servitude? C'est « qu'il existait alors dans le cœur de tous les peuples un sen« timent qui maintenait la liberté et garantissait la victoire. « Ce sentiment, c'était le mépris de l'or, c'était la haine con<< tre ceux qui se laissaient corrompre. On achetait alors ni les « orateurs ni les généraux; on ne vendait ni la concorde qui « doit régner entre les Grecs, ni la défiance qui doit exister << entre les tyrans: de nos jours tout cela se vend comme au « marché.Nous sommes maintenant plus puisants quejamais en « troupes, en vaisseaux, en finances; mais la corruption para<< lyse toutes nos forces, et rend toutes nos ressources inutiles.

«

« Faut-il vous prouver comment se conduisaient nos ancê<«< tres? Je le ferai, non par des paroles, mais en vous rappelant << l'ancienne inscription gravée sur une colonne de bronze; la « Voici : Soit diffamé Arthmius, fils de Pythonax, de Zélie, « et regardé comme ennemi des Athéniens, lui et sa race, « pour avoir apporté de l'or des Perses dans le Péloponèse ; et « que celui-là meure qui est noté d'infamie!

« Punissez donc les traîtres; courez aux armes; secourez « la Chersonèse; donnez l'exemple; avertissez, pressez, ré« veillez la Grèce : voilà ce qui est nécessaire pour votre salut, « et ce qui convient à votre dignité. »

Les Athéniens suivirent ces conseils, et s'armèrent : l'intrigue prévalut encore pour le choix du général; Charès fut chargé de conduire la flotte; mais, comme sa cupidité était connue, toutes les villes lui fermèrent leurs ports.

Phocion le remplaça, et répondit à l'estime publique par de grands succès : il battit les Macédoniens, et força Philippe à lever le siége de Byzance.

Le roi de Macédoine, qui savait reculer comme avancer à propos, trompa de nouveau les Athéniens par des promesses et des démonstrations pacifiques qui les empêchèrent de former contre lui une ligue active et puissante.

Ses négociations durèrent deux ans. Pendant ce temps il

marcha en Scythie et y enleva beaucoup de chevaux, de grains, et de troupeaux.

A son retour, les Triballes lui livrèrent une bataille sanglante. Le roi, entouré et blessé, était au moment d'être pris. Alexandre, son fils, âgé de dix-sept ans, fit des prodiges de valeur pour arriver jusqu'à lui et le délivra.

Après cette expédition, il profita habilement d'une entreprise des Locriens sur les terres des Delphes, pour se faire appeler en Grèce par les Thébains et par les Thessaliens. On avait maltraité à Locres les commissaires des amphictyons; ceux-ci donnèrent à Philippe le titre de généralissime des Grecs, et l'invitèrent à venger la religion.

Il entra rapidement en Phocide, et s'empara d'Élatée. Cette nouvelle répandit l'alarme dans Athènes. Démosthène proposa d'envoyer à tous les peuples des ambassadeurs, et de les appeler au secours de la liberté. Il fut lui-même chargé d'aller à Thèbes.

Philippe nomma pour le combattre un orateur distingué, appelé Python, qui parla avec beaucoup d'adresse aux Thébains, et employa fort habilement tous les moyens de force et de séduction propres à persuader à ce peuple, depuis longtemps jaloux des Athéniens, qu'il devait seconder le roi pour conquérir l'Attique, ou rester au moins neutre dans cette guerre.

Cette lutte mit le comble à la gloire de Démosthène, qui se surpassa dans cette circonstance. Inspiré par la liberté, il démasqua la tyrannie, et démontra que la prise d'Élatée était le présage de la ruine de Thèbes son éloquence l'emporta. Les Thébains, oubliant leur antique haine, entrèrent dans les vues des Athéniens, et acceptèrent leur alliance. Démosthène regardait le succès de cette négociation comme son plus beau triomphe.

Philippe, avant de combattre ouvertement cette ligue, voulut encore essayer la ruse: il proposa la paix aux Athéniens, et fit parler en sa faveur l'oracle de Delphes. Démosthène se moqua de ce stratagème, et dit que la pythie philippisait.

Les Athéniens refusèrent la paix. Le roi entra en Béotie avec vingt-deux mille hommes. L'armée grecque égalait la sienne en nombre et en courage; mais les intrigues de Charès lui firent obtenir le commandement il eut pour collègue Lyziclès, aussi médiocre que lui. Phocion fut exclus. Ainsi la jalousie contre les grands hommes amène la ruine des États.

La bataille eut lieu l'an 3666, dans la plaine de Chéronée. Philippe commandait l'aile droite, et Alexandre l'aile gauche des Macédoniens. Alexandre enfonça d'abord le bataillon sacré des Thébains; mais, pendant ce temps, Lyziclès mit en deroute le centre de l'armée royale. Fier de cet avantage, il le poussa trop loin, et poursuivit les fuyards en criant qu'il ne s'arrêterait qu'aux frontières de la Macédoine. Philippe vit cette faute, et en profita. « Les Athéniens, dit-il, ne savent « pas vaincre. » Alors, sans perdre de temps, il marcha à la tète de sa phalange, prit en queue les Athéniens, les mit en déroute complète, et rejoignit l'aile victorieuse de son fils.

Démosthène, qui avait jusque-là vaillamment combattu, partagea, dit-on, la terreur générale; il jeta ses armes, s'enfuit rapidement, et, se sentant arrêté par un buisson qu'il prenait pour un ennemi, il lui demanda la vie.

Athènes perdit dans cette bataille trois mille hommes, et Thèbes davantage. La renommé de ces deux républiques avait jusqu'alors conservé tant d'éclat, que Philippe, après les avoir vaincues, se livra aux transports de la joie la plus indécente : on le vit sur le champ de bataille insulter les morts, danser et chanter en parodiant le décret que Démosthène avait fait rendre contre lui.

Un prisonnier athénien, Démade, indigné de ces excès, le rappela sévèrement à sa dignité en lui disant qu'il croyait voir Agamemnon jouer le rôle de Thersite. Le roi, loin de s'en offenser, lui donna la liberté, et renvoya les prisonniers athéniens sans rançon. Il conclut ensuite la paix avec Athènes ; mais il ne voulut point pardonner aux Thébains, qui avaient abandonné son alliance.

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