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Après un affreux carnage, la déroute devint complète. Porus combattit le dernier. Le sort trompa son courage : il voulait mourir; il fut blessé et pris. « Comment veux-tu, lui << dit Alexandre, que je te traite? En roi!» répliqua le fier Indien. Cette noble réponse lui valut la restitution de ses états et l'amitié d'Alexandre.

Après ce triomphe, le héros macédonien satisfit sa curiosité en s'instruisant des lois de ces peuples et de la religion des brachmanes.

Ils ne mangeaient point de chair, ne buvaient que de l'eau, priaient jour et nuit, croyaient à la création et à la fin du monde, à l'immortalité de l'âme et à la métempsycose. L'un deux, Calanus, s'attacha à sa fortune, et le suivit.

Le monde ne suffisait point aux désirs d'Alexandre; mais le terme de la patience des Grecs et des Macédoniens était arrivé; ils refusèrent de le suivre plus loin : tout avait cédé à son courage; son armée seule l'arrêta. En vain il employa tour à tour les prières et les menaces; la révolte devint générale, et d'autant plus difficile à vaincre, qu'on lui opposait, non des armes, mais des larmes.

Tous étaient décidés à résister; aucun n'osait élever la voix enfin un vieux guerrier prit la parole avec une noble hardiesse, et fit un tableau si pathétique des travaux et des fatigues de ses braves compagnons, qui montraient en soupirant leurs nombreues cicatrices, qu'Alexandre, vaincu, obéit au vœu général, et ordonna la retraite.

Il descendit l'Hydaspe, et soutint encore beaucoup de combats avant d'arriver sur le bord de la mer. Aussi impétueux que dans sa première jeunesse, il franchit seul les remparts de la ville des Oxidraques: adossé à un arbre et combattant seul une foule d'ennemis, il tomba percé d'un coup de lance, et allait périr victime de sa témérité, lorsque ses soldats, furieux, enfoncèrent les portes de la ville, et l'arrachèrent à ce péril imminent.

Néarque, d'après ses ordres, ramena la flotte en Perse. Pour

lui, à la tête de son armée, il revint dans la Babylonie par la Gédrosie et la Carmanie. La fatigue et l'intempérie du climat détruisirent les trois quarts de ses troupes.

De retour dans son empire, il imita dans sa marche le triomphe de Bacchus. On avait placé sur des chars des tentes ornées de guirlandes et de fleurs : il y passait les jours et les nuits en festins. Des arbres ployés en berceaux, ombrageaient sa route, couverte de tapis et de branchages. Des tonneaux de vin défoncés étaient placés devant toutes les portes des maisons. Un grand nombre de bacchantes, les cheveux épars, accompagnaient la marche; l'air retentissait de leurs cris et du son des instruments.

Pendant l'absence du roi, les gouverneurs des provinces avaient commis de grands excès: il prouva sa justice, et satisfit le peuple en les punissant. Mais d'un autre côté, livré aux conseils de l'eunuque Bagoas, il fit périr sans jugement le satrape de Posagarde, accusé faussement d'avoir pillé le tombeau de Cyrus. L'Indien Calanus, las de la vie, se brûla dans cette ville on prétendit qu'il avait annoncé la mort prochaine du roi, qui, pour célébrer ses funérailles, donna un grand festin, où quarante convives moururent de leurs excès.

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Ce fut dans ce temps qu'Alexandre épousa Statira, fille de Darius il avait précédemment pris pour femme Barsine, veuve de Memnon, et Roxane, fille d'un satrape. Comme il voulait consolider l'union et la tranquillité des divers peuples soumis à son obéissance, il fit épouser à ses officiers les filles des meilleures familles de Perse.

Il passa en revue trente mille jeunes Persans, armés, disciplinés comme les Macédoniens, et qu'il destinait à remplacer ses vieux soldats. Après avoir rétabli l'ordre dans les provinces, il reprit la route de Babylone.

Harpalus, chargé de ce gouvernement, et qui s'était enrichi par ses exactions, craignit un juste châtiment; il se sauva à Athènes avec cinq mille talents. Antipater exigeait qu'on le

lui livrât. Harpalus offrit à Phocion cinq cents talents pour obtenir son appui il fut refusé avec dédain.

Plusieurs historiens prétendent que Démosthène, qui devait parler contre lui, se laissa séduire par l'offre d'une coupe magnifique et de vingt talents. Un mal de gorge violent lui servit, dit-on, de prétexte pour ne pas monter à la tribune. L'un de ses rivaux le railla sur cet accident soudain, et se servit d'un jeu de mots signifiant que la coupe, et non l'esquinancie, l'empêchait de parler. Démosthène, disent ces historiens, craignant le courroux du peuple, s'exila à Trézène. Pausanias révoque ce fait en doute. La noble résistance de cet orateur contre la puissance de Philippe et d'Alexandre, réfute encore mieux cette fable.

Alexandre voulut envoyer les Macédoniens dans leur patrie: cette faveur leur parut une injure; ils se révoltèrent, et le roi eut besoin de toute sa fermeté et de quelques actes de rigueur pour étouffer la sédition.

Antipater donnait de l'ombrage au roi; il le rappela de Macédoine, et lui préparait peut-être le sort de Parménion jamais pourtant il n'aurait dû lui paraître plus nécessaire de conserver ses anciens amis. Le plus cher de tous, Éphestion, mourut dans ce temps à Ecbatane. La douleur du roi fut excessive comme toutes ses passions, et lorsqu'il revint dans sa capitale, il ordonna des jeux en son honneur, et lui fit faire des funérailles qui surpassèrent en magnificence celles des plus grands monarques. Son catafalque avait cent quatre-vingtquinze pieds de haut; la dépense s'éleva à trente-six millions; et non content d'immortaliser son ami, il lui éleva des temples et voulut le faire adorer comme un dieu.

Aux portes de Babylone, il fut arrêté par les prédictions des Chaldéens, qui lui anonçaient que cette ville serait son tombeau. Les ames les plus fortes ne sont pas toujours à l'abri des faiblesses de la superstition; et c'était un étrange spectacle que de voir le conquérant du monde, troublé par des terreurs, effrayé par des oracles, errer incertain autour de

Babylone, et craignant de s'exposer à la mort qu'il avait tant de fois bravée.

Enfin le désir de jouir des hommages qui l'attendaient dans cette capitale l'emporta sur la crainte. Arrivé dans son palais, il y reçut des ambassadeurs de presque tous les peuples de l'Europe et de l'Asie. Les députés de Corinthe lui offrirent, au nom de cette ville, le droit de bourgeoisie. Cette offre le fit d'abord sourire; mais comme il apprit qu'Hercule seul avait obtenu ce privilége avant lui, il accepta avec joie.

Après s'être quelque temps occupé de l'exécution de ses plans pour l'embellissement de Babylone, il fit des préparatifs pour de nouvelles conquêtes. Ses mémoires, trouvés après sa mort, prouvent qu'il voulait porter ses armes en Italie, en Sicile, dans les murs de Carthage, et jusqu'aux colonnes d'Hercule.

Le succès de Néarque et le souvenir des découvertes des Phéniciens lui avaient même, dit-on, inspiré le désir de faire avec sa flotte, le tour de l'Afrique; mais le sort arrêta tout à coup ses projets en terminant ses jours.

Au milieu d'un grand festin, après avoir vidé plusieurs fois la coupe d'Hercule, qui tenait plusieurs pintes, il perdit connaissance, et fut attaqué par une fièvre dont la violence résista à tout l'art des médecins. Réduit en peu de jours à l'extrémité, il donna son anneau à Perdiccas, et fit défiler devant son lit tous ses vieux soldats.

Leurs gémissements furent la plus éloquente oraison funèbre. On lui demandait à qui il laissait l'empire : « Au plus « digne, répondit-il, et je prévois que vos discordes honore«<ront ma mémoire par d'étranges jeux funèbres. Quand << voulez-vous, lui dirent ses généraux, qu'on vous rende les << honneurs divins? Lorsque vous serez heureux. » Après avoir prononcé ces derniers mots, il mourut, l'an du monde 3683, la première année de la 114 olympiade.

Plusieurs historiens assureut qu'Antipater, rappelé par Alexandre, et craignant sa rigueur, le fit empoisonner par

Cassandre et par Iolas, ses fils. D'autres soutiennent que sa mort fut le fruit naturel de ses excès: pour appuyer leur opinion, ils rapportent que, malgré la chaleur du climat, son corps resta plusieurs jours exposé sans se corrompre.

Les Macédoniens regrettèrent son génie, les Perses sa douceur. Tous frémirent des troubles que devait exciter le partage de sa succession. Sisygambis, plus affligée de sa mort qu'elle ne l'avait été de celle de Darius, refusa toute consolation, et se laissa mourir de faim.

Nul homme ne répandit plus d'éclat sur la terre. Son nom célèbre a traversé les siècles. Sa magnanimité, la force de son courage, l'étendue de son esprit et son extrême audace excitent encore l'admiration. En vain Tite-Live, qui ne voulait pas qu'un Grec eût acquis plus de gloire que les Romains, attribue la plupart de ses succès à la faiblesse et aux fautes de ses ennemis; on ne peut refuser à Alexandre les plus grands talents et une habileté égale à son ambition. L'excès fut le défaut de ses grandes qualités.

Alexandre offre au jugement de l'histoire deux hommes différents et presque opposés: Avant la prise de Babylone, elle peut louer un prince prudent, libéral et tempérant, philosophe, clément, protecteur de l'indépendance des Grecs, et vengeur de leur gloire; mais lorsque, enivré par la fortune, assis sur le trône de Xercès, il se fut revêtu de la robe des Perses, de l'orgueil des satrapes et des vices des courtisanes, elle ne nous montre plus qu'un roi ingrat, qu'un despote sanguinaire, qu'un homme faible et superstitieux, et qu'un insensé dont la ruine du monde n'aurait pu satisfaire la folle ambition.

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