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les recouvrir par le rapprochement de leur base. D'où la nécessité de pratiquer en terre toutes sortes de greffes indiquées jusqu'à ce jour. L'application de la greffe en écusson indiquée par M. Hortolès, est donc appelée à jouer un grand rôle dans la reproduction des différentes espèces de vignes. Je reviendrai là-dessus dans un article spécial.

Une autre bonne leçon a été celle que M. Du Breuil a faite sur les engrais. Il a eu raison d'insister sur la question des engrais, surtout sur les engrais à lente décomposition. On n'a pas assez l'habitude en Anjou d'amender, de soutenir le terrain des vignobles. Bien des propriétaires exigent que leurs vignes rapportent toujours. Puis, à un moment donné, la récolte manque, alors ils se tirent d'affaire en disant Mes vignes sont usées, et ils les arrachent. Mais si, écoutant en cela les conseils de M. Du Breuil, ils graissaient leurs vignes, comme le fermier qui veut avoir de beau blé, graisse la terre qu'il veut ensemencer, ils ne seraient pas obligés d'arracher leurs vignes, et de dire pour s'excuser qu'elles sont usées. Après ce temps-là, j'ai bien encore parmi mes connaissances quelques propriétaires qui ne recouvrent jamais leurs prairies d'engrais sous prétexte que l'herbe pousse toujours.

N'oublions donc jamais qu'il faut rendre à la terre ce que la récolte lui prend. Dans la culture de la vigne, c'est surtout de la potasse que nous enlevons au sol, bien plus que de l'azote, il faut donc avoir un engrais qui contiendra une quantité de potasse assimilable, et aussi de l'azote, car si la potasse nous donnera des fruits, l'azote nous fera pousser du bois et le vigneron a besoin de bois pour avoir des raisins qui lui donneront du vin. L'un et l'autre sont donc nécessaires.

M. Du Breuil, lorsqu'il a parlé des vignobles du Languedoc, du Bordelais, de la Bourgogne, a raconté des faits du plus grand intérêt, mais pourquoi a-t-il toujours semblé ignorer qu'il y eût des vignes en Anjou? Cependant on lui en a fait voir.

Certainement que tout viticulteur doit connaître de la culture du Midi, du Bordelais et de la Bourgogne, voire même de celle de l'Alsace, mais j'aurais voulu que le

savant professeur nous fit une leçon comparative; et c'est justement ce qui n'a pas été fait.

M. Du Breuil nous a dit et démontré qu'en raison de la rareté des bras à la campagne, il n'y avait plus possibilité de cultiver la vigne autrement qu'à la charrue. Cela est vrai. Le propriétaire qui installerait aujourd'hui un vignoble considérable, avec disposition de culture à bras d'homme, s'exposerait à de grands ennuis. La culture à la charrue est donc la chose du moment.

Votre plantation étant faite, établissez vos ceps pour être dirigés sur fil de fer. Voilà la théorie du professeur. Mais à cela je me permettrai de répondre: Si les bras manquent à la campagne, comment en trouvérez-vous pour cultiver votre vignoble établi sur fil de fer? Voilà une culture qui demande au moins moitié plus de besogne que la culture du pays. De plus, pour établir un hectare. de vigne sur fil de fer, cela coûtera au propriétaire 350 fr., c'est à dire que le prix de revient de la plantation sera augmenté d'un tiers. Je vois déjà diminuer la pièce de cent sous. M. Du Breuil condamne les vignes blanches, il ne veut que des vins rouges de grande consommation, mais il n'a pas nettement défini ce qu'il entendait par vins de grande consommation; il conseille le cépage dit gros gamay de Bourgogne, allié au pineau de Bourgogne : ce n'est certainement pas avec ce cépage que les ducs de Bourgogne avaient répudié de leur pays que nous arriverons à des vins de grande consommation; car, si en Bourgogne ce cépage ne produit rien de bon, ce n'est pas chez nous qu'il fera meilleur. De plus, les sarments sont traînants; il faudra des échalas ou des fils de fer pour les soutenir. Or, dans l'Anjou, les petits gamays du Beaujolais donnent beaucoup et donnent bon; de plus, leurs sarments sont érigés, ils n'ont pas besoin d'être soutenus. Entre un cépage qui donnera toujours mauvais et qui demandera des soins de culture coûteux, et une série de cépages qui donneront un produit bon et qui n'exigeront pas de soins particuliers, je ne crois pas que les viticulteurs doivent hésiter.

N'avons-nous pas encore les Carbenets, l'Aunis, lės Côts qui sont des cépages à sarments érigés et qui ont fait leur preuve sur le sol de l'Anjou? Avec ces cépages-là,

nous produirons des vins de bonne et grande consommation, c'est à dire qui seront recherchés par les marchands de vins ; il suffira pour cela de les faire mieux, et nous y arriverons le jour où le propriétaire consentira à devenir industriel, c'est à dire à se mettre à la tête de ses vendangeurs et à surveiller la vinification. Il est certain que la consommation du vin rouge augmente considérablement, il faut tenir compte de cela et se mettre en mesure de satisfaire le consommateur. Est-ce à dire pour cela qu'il faille détruire notre vignoble blanc et le remplacer par les cépages rouges, comme le conseille M. Du Breuil? oh! ce serait un grand tort et un malheur pour le pays.

Si M. Du Breuil n'aime pas les vins blancs, c'est affaire de tempérament, et tout le monde n'est pas de son avis. Je me permettrai une anecdote à ce propos. Lorsque j'étais étudiant, j'avais à Paris un célèbre médecin pour chef de service. Nous causions, un jour, vins blancs. Je lui parlai de ceux de l'Anjou, il désira les connaître; je m'empressai de lui offrir un panier de vin, récolte de 1864. Il le trouva délicieux. L'année dernière, un de mes amis était malade, je crus devoir lui conseiller d'aller à Paris voir le docteur B. Je lui donnai une lettre de présentation. En lisant ma signature, le vieux maître se tournant courtoisement, lui dit : A-t-il toujours du bon vin de Bonnezeaux. Ils sont bien bons les vins de votre pays!

Je reviens à mon sujet : examinons ce qui se passe dans notre contrée. Cette année, les vins très abondants de qualité médiocre ne se sont pas vendus; mais dans les celliers, il reste beaucoup plus de vins rouges que de vins blancs. Ce sont les vins blancs qui ont fait la réputation du vignoble angevin et qui la feront toujours. Passons à la taille. Pour M. Du Breuil, il n'y a qu'une seule taille de vraie, c'est la taille à long bois, proportionnée à la vigueur du cep bien entendu. J'ai demandé à M. Du Breuil si la taille décrite par lui pouvait s'appliquer à notre pineau de la Loire. Vous pouvez l'appliquer à tous les cépages, m'a-t-il répondu.

Eh bien! admettez que vous formiez vos ceps de pineau d'après le système M. Du Breuil; vous aurez une branche fruitière sur laquelle vous laisserez six yeux, sur chaque

œil, vous ne laisserez qu'un raisin, donc six raisins par cep. Si vous interrogez un vigneron de nos coteaux, et que vous lui demandiez combien il faut de raisins sur les ceps d'un quartier de vigne, pour faire une barrique de vin, il vous répondra six par cep. Le quartier étant le cinquième de l'hectare, vous aurez donc une moyenne de cinq barriques à l'hectare. Or la récolte moyenne des coteaux avec la taille du pays, est de sept barriques à l'hectare. Voilà donc la pièce de cent sous encore rognée. De plus les bourgeons fructifères les meilleurs se développent sur le pineau de la Loire, du premier au quatrième œil, le prolongement de deux yeux en plus, ne gênera-t-il pas l'économie de la production normale?

J'examinerai en finissant le rapport moyen d'un hectare de vignes dans le canton de Thouarcé, dans la condition actuelle de culture, comparativement avec les moyens de culture préconisés par M. Du Breuil, la conclusion sera de voir si nous devons modifier nos habitudes. Je n'ai pas l'intention de présenter un compte de culture détaillé. Voyons grosso modo, ce qu'un hectare de vignes. coûte au propriétaire.

1° Façon complète d'un hectare de vignes plantées et taillées selon la méthode du pays.

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2o J'ai dit que la moyenne de la récolte d'un hectare était de 7 barriques à 10 f. l'une. 3° Pour chaque barrique les frais de vendanges s'élèvent à 5 francs l'une.

90 fr. ))

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D'après le mode de culture avec palissage sur fil de fer, cela coûterait d'abord la façon des vignes, 1° soit. . .

2o Plus l'attachage des ceps, le palissage sur fil de fer, que l'on peut représenter par 25 journées à 2 francs 50 l'une, soit..

3o J'ai démontré que d'après la taille Du Breuil un hectare de vignes ne donnerait que 5 barriques à l'hectare à 10 f. l'une, soit.

4° Frais de vendanges de 5 barriques à 5 francs l'une, soit..

90 fr.

D

62

50

50

D

25

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227 fr. 50

La culture de M. du Breuil ne rapportant que 5 barriques à l'hectare, coûtera donc 32 francs 50 de plus que la culture angevine qui rapporte une moyenne de 7 barriques. Je ne vois donc pas que nous devions modifier, jusqu'à plus ample informé, notre culture et notre taille.

Voilà les quelques observations que j'ai cru devoir vous présenter sur le Cours de M. Du Breuil. Je vous ai signalé ce que je trouvais bon, je vous ai mis én défiance contre ce que je trouvais mauvais; c'est là l'inconvénient des théories. Revenant à mon point de départ, je conclus que le groupe des jeunes vignerons n'était pas absolument prudent en disant : Le premier morceau de vigne que je ferai planter, je le dirigerai d'après la méthode Du Breuil. Et si je ne craignais de vous fatiguer, je vous montrerais qu'un hectare de vignes à Thouarcé rapporte à son propriétaire 513 francs, en tenant compte: 1° de l'intérêt du capital; 2o de l'intérêt des bâtiments d'exploitation et pressoirs; 3° de l'impôt foncier, etc.

Tandis qu'en appliquant à un hectare de vignes cultivé d'après la méthode Du Breuil, les mêmes charges, augmentées de l'installation des fils de fer, et de l'intérêt de l'installation, et des frais du culture qu'elle nécessite, on arrive seulement à un bénéfice net de 166 francs 50.

La différence en faveur de notre culture est donc de 346 francs 50. Je ne vois donc pas que nous devions : 1o Arracher notre vignoble blanc; 2° changer le mode de culture et de taille, employé dans notre pays depuis des siècles. Un grand point en viticulture est de savoir approprier à chaque cépage la culture et la taille qui lui conviennent, et ceci toujours avec une économie bien entendue.

A. BOUCHARD.

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