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C'est une conséquence de l'équilibre qui tend toujours à s'établir entre la production et la consommation.

Les allures de la consommation se modifient, se déplacent. La production doit donc se conformer à ses volontés. Mais la production ne pourra se plier aux besoins de la consommation, qu'autant que le libre exercice de l'offre et de la demande ne sera point troublé.

L'on est pénétré partout de la nécessité de développer tous les genres de production. Cet élan général de tous les efforts de l'homme pour améliorer son existence, doit forcément provoquer la lutte de tous les intérêts, et donner lieu à un échange réciproque de tous les résultats du travail, sous quelque forme qu'ils se révèlent. Cette réciprocité d'échange est la condition absolue de l'équilibre entre la production et la consommation et démontre que la solidarité de toutes les industries est inhérente à notre mécanisme social et qu'elle en est inséparable.

Il faut donc, pour que cette grande solidarité de toutes les industries, puisse fonctionner de la façon la plus utile au bien-être général, qu'elle ne soit contrariée nulle part et qu'elle ne reçoive aucune entrave.

C'est avec regret que je dois signaler aujourd'hui cette fâcheuse loi, qui permet encore à toutes les municipalités de France d'arrêter le cours de la consommation en limitant l'exercice de l'offre et de la demande et par conséquent de paralyser les efforts de la production.

Si le public était éclairé sur ses véritables intérêts, il demanderait immédiatement la révocation de l'art. 30, du titre 1er de la loi des 19-22 juillet 1791.

Car on ne peut pas admettre que l'on approuve en connaissance de cause une loi qui est en contradiction la plus formelle avec les encouragements et la protection que nos sociétés industrielle et agricole et que nos comices dans toutes leurs fêtes de l'agriculture ont pour but d'accorder à la production agricole.

Je rappelle ici le texte de cet article afin que tout le monde puisse se faire une idée des conséquences regrettables qu'il entraîne.

19-22 juillet 1791. Décret relatif à l'organisation d'une police municipale et correctionnelle; rapport de Desmeuniers, art. 30, titre 1er.

La taxe des subsistances ne pourra provisoirement, › avoir lieu dans aucune ville ou commune du royaume » que sur le pain et la viande de boucherie, sans qu'il > soit permis en aucun cas, de l'étendre sur le vin, sur

le blé, les autres grains, ni autre espèce de denrées; et >ce, sous peine de destitution des officiers municipaux. > Tous les autres rapports de Desmeuniers ont été publiés, celui-ci ne l'a jamais été, et l'on n'a jamais pu connaître officiellement les motifs qui ont déterminé le comité à édicter une pareille mesure. Car l'assemblée constituante par un décret des 2-17 mars 1791, venait de proclamer la liberté de toutes les industries, et inaugurait pour la France une ère de progrès qui lui permettait de réaliser en dix années une augmentation de richesses que dix siècles auparavant n'avaient pu lui donner.

Cet art. 30 du décret des 19-22 juillet 1791 est donc en contradiction complète avec le grand principe de la liberté industrielle établi par la constituante.

En vertu de la faculté accordée aux maires de taxer le pain et la viande de boucherie. ils pratiquent la réglementation de diverses manières.

Ainsi dans telle ou telle commune, la qualité du pain et celle de la viande, sont limitées par un prix fixé par l'arrêté municipal. Dans d'autres communes le prix n'est pas déterminé, mais les fournisseurs sont assujettis à tel mode de fabrication ou à tel mode de vente, sans qu'il soit permis d'y déroger.

Sous quelque forme que se présente la réglementation des denrées, elle entrave toujours la liberté de la consommation et arrête l'élan de la production.

Pour le pain et pour la viande, il est parfaitement impossible de déterminer un échantillon, autrement dit un étalon qui spécifie leurs conditions. Puisque les conditions du pain et de la viande ne peuvent être spécifiées par personne, il est matériellement impossible d'en indiquer le prix. Alors la taxe en établissant un prix de vente ne pourra jamais garantir au consommateur la valeur réelle du pain ou de la viande qu'il achète.

Mais comme la taxe a toujours pour but d'arriver au bon marché, ses prix sont naturellement réduits. Or, si

l'on veut forcer le fournisseur à vendre à perte, il fermera son magasin; ou bien si dans l'exécution du règlement on s'en tient seulement au prix sans contrôler la valeur de la marchandise, alors le consommateur sera obligé de s'en rapporter à lui seul pour apprécier les conditions du pain ou de la viande et n'aura aucun avantage.

Au contraire, dans ce cas, on subordonne nécessairement la. qualité du pain ou celle de la viande aux prix restreints fixés par la taxe, et l'on prive le consommateur des qualités dont le prix plus élevé est plus rémunérateur. En somme, au lieu de favoriser la production des bonnes qualités on la paralyse, et l'on force le public à consommer des qualités inférieures qui coûtent toujours relativement plus cher que les bonnes.

Il est donc vraiment déplorable qu'avec cette loi sur la taxe, on permette au public de croire que du moment que le pain et la viande sant taxés, le boulanger ou le boucher pourront les vendre moins cher qu'ils ne leur coûtent, et qu'il dépend uniquement de la volonté des municipalités qu'ils soient chers ou bon

marché.

Cette impossibilité de spécifier les conditions du pain et de la viande rend toute réglementation injuste, impraticable et contraire aux intérêts de tout le monde.

Ce qui a lieu pour la taxe établie par les municipalités se produit également dans toutes les adjudications de fourniture du pain ou de la viande. Les obligations de l'adjudicataire ne peuvent jamais être exactement indiquées; alors l'arbitraire est la seule sanction du marché. Et c'est toujours le consommateur qui en souffre.

La constituante a cédé au mauvais courant de préjugés de l'ancien régime et malheureusement cette faculté de taxer le pain et la viande qu'elle établissait provisoirement s'est perpétuée jusqu'à nos jours au grand préjudice des producteurs et des consommateurs.

Lorsque l'on parcoure les champs de l'agriculture, il est facile d'apprécier d'après les récoltes, le mode de culture qui les produit. De même en parcourant les populations de la France, il est facile de reconnaître d'après qualité du pain et de la viande qu'elles consomment

et d'après leur chiffre de consommation, le régime auquel le pain et la viande sont assujettis.

Dans toutes les villes où la loi de 1791 est appliquée, la consommation est dans un état d'infériorité, soit pour la quantité consommée, soit pour la qualité, et les prix sont relativement plus élevés.

Quelques exemples donneront la preuve de ces différences, car les faits ont une éloquence péremptoire:

Le 1er inars 1865 la liberté de la boucherie a été établie à Angers. Depuis cette époque, une ère nouvelle s'est ouverte pour cette industrie et aujourd'hui il s'est établi un courant de consommation et une augmentation de richesse qui devrait faire réfléchir sérieusement toutes les villes qui ne jouissent pas des mêmes avantages

Et, en effet, si nous consultons, pour Angers, le mouvement des animaux de boucherie à l'abattoir dans cette période de liberté et si nous le comparons à celui qui se produisait auparavant, quelle prodigieuse différence se révèle !

Nous voyons une amélioration dans la qualité de plus de 20% et une augmentation comme quantité au moins de 25 %. Ce qui donne qualité et quantité réunies, une différence de près de 50 % (1).

Ces résultats sont dus au régime de la liberté.

Je ne parle pas des prix ; avec la liberté de l'industrie le prix est toujours le résultat de l'offre et de la demande. Du moment que le consommateur achète, c'est que ses ressources lui permettent de le faire et qu'il peut donner en échange le résultat d'une production quelconque.

Si la consommation augmente, c'est la preuve indiscutable que le consommateur est devenu plus riche par une augmentation de son travail ou de sa production.

Mais comme je le disais tout d'abord, la consomma

(1) La viande de porc n'a jamais été taxée. Le chiffre de sa consommation est toujours à peu près le mème.

Dès l'année de la liberté de la boucherie le chiffre de la consommation de la viande de boucherie s'est augmenté d'une manière sensible. L'ensemble du mouvement de l'abattoir d'Angers était en 1865 de 4,269.328 kil. Ce chiffre s'est accru chaque année et aujourd'hui il est de 5,357,065 kil., ce qui fait une différence de plus d'un quart en plus.

tion se déplace, se modifie. Dans certains moments elle se porte vers le luxe, dans d'autres elle s'attache aux choses de première nécessité, autrement dit au confortable. Et c'est une grand justice à rendre aujourd'hui à cette tendance générale de la population en France. Le chiffre des dépenses improductives a sensiblement diminué. Le vieux proverbe qui avait cours tend à disparaître. Ainsi on dit beaucoup moins aujourd'hui habit de velours et ventre de son. Cette tendance de la population à une nourriture plus confortable portera nécessairement ses fruits. Tout d'abord la santé publique y gagnera et la production agricole en profitant de l'élan stimulé par la consommation fera encore participer toute la société aux nouveaux efforts de son travail.

On a dit que l'importance de la production agricole du pays doit se juger d'après le chiffre de ses exportations, et l'on a tiré des conséquences que l'on attribue à telles ou telles causes politiques.

Ce système d'appréciation repose sur un principe qui n'est nullement conforme à la réalité des faits et puis ensuite il a le grave inconvénient de pouvoir arrêter l'élan de la production en la faisant envisager à un point de vue négatif.

On a dit que la production de la viande est insuffisante en France pour les besoins de la consommation et qu'étant obligés de recourir à l'importation, c'est une preuve du ralentissement de notre travail national intérieur.

Pour être logique, c'est tout le contraire qu'il faudrait dire. Evidemment si la France consomme davantage de viande, c'est que son travail national s'est accru et qu'elle a le moyen de la payer.

Et en effet la consommation intérieure des denrées alimentaires s'est singulièrement augmentée surtout celle de la viande de boucherie.

Plusieurs causes ont empêché la production de la viande dans ces dernières années d'atteindre le chiffre auquel la prodigieuse activité de l'agriculture l'aurait élevé.

Tout d'abord, la guerre de 1870 a produit en France un vide considérable dont les effets se feront sentir

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