Laferrière cst construite. Quand le temps est exceptionnellement clair, la forteresse peut se voir du Cap, rarement toutefois, car les nuages la dérobent presque toujours à la vue. Christophe avait rêvé d'en faire le boulevard de l'Indépendance d'Haïti. Obsédé de cette pensée que la France essayerait de reconquérir l'ile, il avait voulu édifier une place forte qui deviendrait le centre de la résistance, le noyau qui alimenterait la defense sur tous les points et où enfin, dans un suprême danger, les défenseurs de la Patrie pourraient se réfugier, et attendre derriere des remparts inexpugnables l'aurore des jours nouveaux. Rien n'avait été épargné pour que la Citadelle fût digne de sa religieuse destination Christophe sentait qu'il incarnait l'âme de son peuple, et cette croyance le rendait insensible à toute autre considération. Il y prodiguait avec une mystique indifférence et ses trésors et la vie de ses sujets. L'Histoire ne dit le chiffre ni des uns ni des autres : il est évident que de nombreuses créatures humaines, de même que beaucoup d'argent, y furent « épensés. La légende, elle, a prétendu que plus de 20.000 personnes périrent en travaillant à cette nouvelle pyramide. N'écoutons pas aveuglement la légende. Elle n'a vu dans Christophe qu'un tyran barbare et sanguinaire. Pour elle, la Citadelle ne fut qu'un prétexte inventé par lui pour décimer son peuple. On ne voit pas trop le profit qu'il pouvait en tirer. Mais quand c'est la haine et la passion qui exclusivemcnt raisonnent, elles ne peuvent bien juger ni un pays, ni un homn1e, ni un acte. Christophe, plein de sa pensée, fort de la conviction qu'il édifiait le Capitole où, dans un dernier assaut, les Haitiens finalement repousseraient l'envahisseur, les yeux fixés sur son rêve, dut sans doute se montrer inexorable, inébranlable. Il contrôlait, surveillait en personne les travaux. Le plus petit écart, la plus légère

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les batteries du Roi, de la Reine, du Prince royal, des Princesses, etc. Le jour de l'inauguration de la batterie de la Reine, Améthyste, l'aînée des filles de Christophe, donna le signal des salves, en mettant elle-même le feu à une pièce de 36 . .. . Prodigieux spectacle que celui de cette forteresse, juchée à cette hauteur du Bonnet à l'Evéque, quand ses 365 canons tonnaient à la sois, à cette altitude !

C'est à la Citadelle que Christophe fut transporté après sa mort, enveloppé à la hâte dans un hamac par ses serviteurs, et pieusement suivi de sa femme et de ses filles, à pied. Le corps, le temps manquant pour l'ensevelir, fut déposé dans une des salles du château servant de resserre aux ouvriers. Un gros tas de chaux vive s'y trouvait. On l'y enfouit précipitamment. Quand le tas diminua, le cadavre, parfaitement conservé, apparut. Durant de longues années, on put le voir ainsi, couché sur cette couche d'un nouveau genre, et regardant de ses yeux grands ouverts. Enfin, c n 1847, on soupçonna l'indécence de cette conduite. Le corps fut enlevé de son lit de chaux et descendu 1'ans un mausolée élevé sur la place d'armes de la Citadelle. Il dort bien là, le roi Christophe, comme un Pharaon d'Egypte sous sa pyramide ! Du côté nord de la forteresse se trouvent les cachots au fond desquels on ne parvient que par des corridors et des escaliers en ruines. Je n'y ai vu ni les chaines, ni les instruments de torture, avec lesquels on a si longtemps bercé notre imagination. Du reste, les seuls objets qui se trouvent à foison à Laferrière sont ceux destinés à la guerre. Tout décèle à chaque pas la pensée qui a édifié ce monument : tout parle de batailles et d'espérances suprêmes. Rien d'étonnant qu'il y eût des ·achots dans la forteresse. Toute construction de ce