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gracieuse de l'empereur de Russie, le Congrès exprimât le voeu 1878 que toutes les mesures nécessaires soient prises pour éviter des désordres, dont les conséquences seraient déplorables. A cet effet, il semblerait indiqué qu'on eût de légitimes égards pour une vaillante population qui s'est montrée fortement opposée au régime nouveau que le Congrès a l'intention de lui imposer. Son Excellence insiste pour que les principes et considérations ethnographiques qui ont amené la haute Assemblée à concilier les intérêts divergents des nationalités de la Turquie d'Europe, ne soient point perdus de vue en ce qui concerne la Turquie d'Asie. Lord Beaconsfield croit qu'il n'y a pas de temps à perdre pour adopter des dispositions propres à les prévenir. Il se borne à indiquer à la haute Assemblée un état de choses auquel l'influence d'une seule Puissance ne saurait porter remède. Son Excellence accepte volontiers la création d'un port franc à Batoum, mais désirerait que le Congrès examinât les détails de cette décision. en se préoccupant de la nécessité de prévenir des conflits: il appartient aux représentants des grandes puissances, toutes intéressées dans la question, de prendre des précautions contre l'éventualité d'un semblable péril.

Le Président, après ce discours, se plaît à reconnaître un progrès considérable vers une entente. L'accord établi entre la Russie et l'Angleterre sur Batoum, érigé par la Russie en port franc, est un résultat de haute valeur. Il est vrai que le Premier Plénipotentiaire de la Grande Bretagne paraît encore préoccupé de certains dangers, qui pourraient menacer la tranquillité des populations de ces contrées et par suite la paix européenne. Mais Son Altesse Sérénissime espère que ces dangers seraient faciles à éviter par des dispositions de détail et peut-être pourrait-on y remédier en les examinant de plus près, si les Plénipotentiaires de la Grande Bretagne voulaient bien donner sur leurs appréhensions des explications plus développées. Les autres Puissances pourraient alors également indiquer les expédients qu'elles auraient en vue. En résumé, le Prince de Bismarck croit que la haute Assemblée se félicite de trouver la distance entre les Représentants de la Russie et l'Angleterre moindre qu'elle ne l'avait redouté et de voir dans ce bon vouloir réciproque un nouveau motif de compter sur une heureuse solution qui sera accueillie avec joie par l'Europe entière.

Le Comte Andrássy a entendu avec satisfaction les déclarations du Prince Gortchacow et il croit que la constitution de Batoum en port franc est un avantage évident pour toutes les puissances européennes. Le Premier Plénipotentiaire d'AutricheHongrie, rappelant des précédents qui ont amené de bons résul

1878 tats, pense avec Lord Salisbury que des entretiens particuliers entre les Représentants des deux puissances plus spécialement interessées pourraient aplanir les difficultés qui s'opposent encore à une entente qu'il appelle des tous ses voeux. Son Excellence déclare accepter d'avance les conclusions des pourparlers qui seraient suivis entre les deux puissances.

M. le Premier Plénipotentiaire de France n'a aucune objection à élever au sujet des déclarations qui ont été faites et se borne a constater l'accord qui semble en voie de s'établir.

Le Comte Corti ne peut que s'associer au nom de l'Italie aux paroles de ces collègues et exprime l'espoir que l'entente ne rencontrera pas de bien grandes difficultés.

Carathéodory Pacha se réserve, s'il y a lieu, de revenir sur cette question lorsqu'il aura pu apprécier plus complètement le caractère et la portée des points que les Plénipotentiaires britanniques ont en vue.

Le Président relit le passage de l'article XIX qui fait l'objet de la discussion: »Prenant en considération etc., l'empereur de Russie consent à remplacer le paiement de la plus grande partie des sommes énumerées dans le paragraphe précédent par les cessions territoriales suivantes. . . ..« Ici se placent les cessions en Europe sur lesquelles le Congrès s'est déjà prononcé, puis viennent les cessions en Asie consignées dans l'alinéa b: »Ardahan, Kars, Batoum, Bayazid et le territoire jusqu'au Saganlough.« Son Altesse Sérénissime rappelle que dès à présent la Russie consent à ne pas comprendre dans les cessions Bayazid et le territoire jusqu'au Saganlough.

Le Comte Schouvaloff dit qu'il serait plus exact de supprimer les mots »jusqu'au Saganlough« et de résumer ainsi les concessions russes qui sont: Bayazid et toute la vallée d'Alachkerd, sous la réserve que la Turquie rendra le territoire de Khoutour à la Perse.

Le Congrès étudie sur la carte, présentée par le Comte Schouvaloff, les lignes exactes des concessions russes. Le Président constate que la constitution de Batoum en port franc est acquise à l'entente, et qu'il en est de même des points que vient d'indiquer le Comte Schouvaloff. Quant au tracé exact de la ligne de frontière, Son Altesse Sérénissime pense que ce travail ne peut être fait par le Congrès et doit être réservé à une commission spéciale compétente.

Lord Salisbury déclare qu'il avait eu des objections sur plusieurs des points de l'article XIX du traité. Son Excellence craignait d'abord que la possession de Batoum ne fût un danger pour la liberté de la mer Noire. La concession gracieuse offerte

aujourd'hui par la Russie, s'il la comprend bien, lui paraît écarter 1878 cette appréhension. En second lieu, l'occupation de Bayazid lui aurait fait redouter que la route commerciale de Perse ne fût intercepté: Son Excellence constate également, qu'en présence de la concession de la vallée d'Alachkerd, ces craintes ne seraient plus justifiées. Il lui reste encore le devoir de rappeler les intérêts d'une vaillante nationalité musulmane qui se refuse à la domination russe. Son Excellence insiste sur les avantages d'entretiens particuliers pour résoudre les dernières difficultés de détail qui subsistent encore.

Le Prince Gortchacow dit qu'il préférerait une discussion en Congrès et qu'il est prêt à répondre sur place aux objections que présenteraient les Plénipotentiaires de la Grande Bretagne.

Le Prince de Bismarck s'associe a la demande de Lord Salisbury qui lui paraît justifiée par les nombreux détails de la question qui ne sauraient être discutés en séance plénière. Il consultera d'ailleurs sur ce point le sentiment du Congrès.

Le Prince Gortchacow expose qu'il y a deux catégories de questions: les premières qui sont techniques et qui ont pour objet la détermination des limites définitives, ne peuvent, en effet être résolues en Congrès et le traité de San Stefano a indiqué par avance qu'elles devront être soumises à une commission spéciale. En ce qui concerne les secondes, Son Altesse Sérénissime remercie Lord Beaconsfield d'avoir répondu avec tant de loyauté à ses observations: M. le Premier Plénipotentiaire d'Angleterre s'est borné au surplus à exprimer ses craintes sur la sécurité des populations. Mais le Prince Gortchacow s'explique moins les objections de Lord Salisbury et prie Son Excellence de vouloir bien déterminer, d'une manière plus précise, les inquiétudes qu'il

a énoncées.

Lord Salisbury dit qu'il a voulu parler de la nationalité des lazes qui n'accepterait pas le gouvernement russe et dont les répugnances pourraient amener dans l'avenir des embarras sérieux.

Une discussion s'engage entre le Prince Gortchacow, Lord Salisbury et Mehemed Ali Pacha sur le chiffre de la population laze du Lazistan, que le Premier Plénipotentiaire de Russie, sur des données qu'il offre de communiquer, affirme ne point s'élever au-dessus de 50.000 âmes, tandis que les Plénipotentiaires d'Angleterre et de Turquie l'estiment à 200.000 individus.

Le Président ayant fait observer que cette question. secondaire n'intéresse pas l'oeuvre de la paix, insiste pour que les Plénipotentiaires de Grande Bretagne et de Russie s'entendent sur ce point et sur les autres objets spéciaux qui les séparent,

1878 dans des entretiens particuliers. Cette procédure est acceptée de part et d'autre, et le Congrès décide d'attendre le résultat de ces explications mutuelles pour reprendre l'examen de l'article XIX.

La haute Assemblée passe à l'article XVI, relatif aux arméniens, et dont il a déja été question dans une séance précédente.

Lord Salisbury a déposé, à ce sujet, une proposition qui a été distribuée aux Plénipotentiaires. Son Excellence demande la suppression des premières lignes de l'article XVI jusqu'au mot »pays« et désirerait ajouter à la fin la phrase suivante:

>> Elle s'entendra ultérieurement avec les six autres puissances signataires sur la portée de cet engagement et les mesures nécessaires pour le mettre en exécution.<«<

Son Excellence ajoute que les intérêts des arméniens doivent être sauvegardés, et que le but de la proposition est de leur donner des espérances d'améliorations immédiates en même temps que de progrès à venir.

Carathéodory Pacha admet que, dans la dernière guerre, les tribus insoumises ont suscité de graves désordres, mais la Porte, dés qu'elle en a été informée, a pris des mesures pour y mettre un terme. La proposition de Lord Salisbury semble se référer à des mesures ultérieures. Carathéodory Pacha voudrait qu'il fût tenu compte à la Porte des dispositions qu'elle a adoptées et qu'on ajoutât au paragraphe les mots suivants: »La Porte communiquera aux six puissances le résultat des mesures qui ont été déjà prises à cet égard.« Cette addition, en même temps qu'elle satisferait le gouvernement ottoman, compléterait le sens du texte présenté par les Plénipotentiaires anglais.

Le Comte Schouvaloff préfère la rédaction de Lord Salisbury. Si la Porte a pris des mesures et qu'elles n'aient pas été mises à exécution, il est inutile de les mentionner.

Le Président fait observer qu'il est, peut-être, difficile de mettre à exécution des mesures répressives parmi des tribus indépendantes, et Son Altesse Serénissime élève des doutes sur l'efficacité pratique de l'article proposé par Lord Salisbury.

Carathéodory Pacha insistant pour l'addition, qu'il a indiquée, Lord Salisbury demande à ajourner la discussion pour apporter quelque modification dans le texte primitif.

La question est remise à une prochaine séance.

Le Congrès passe à la question des détroits.

Lord Salisbury déclare que, si l'acquisition de Batoum avait été maintenue dans des conditions qui menaceraient la liberté de la mer Noire, l'Angleterre n'aurait pas pu s'engager envers

les autres Puissances européennes à s'interdire l'entrée de cette 1878 mer. Mais, Batoum ayant été déclaré port franc et commercial, le gouvernement anglais ne se refusera pas à renouveler les engagements sous les modifications imposées par les décisions déjà prises au Congrès.

Le Prince Gortchacow, on faisant observer que ces dangers n'auraient pu se produire de toute façon, puisque la Russie n'a point de bâtiments dans la mer Noire, est également d'avis que la législation actuelle ne soit pas modifiée.

Il résulte de la discussion qui s'engage entre les Plénipotentiaires de la Grande-Bretagne, de Russie et de France sur le caractère du statu quo ante, que le Congrès entend, par ce terme, l'ordre de choses établi par la déclaration de 1856 et par l'article II du traité de Londres du 13 mars 1871, dont il est donné lecturé.

Le Comte Schouvaloff croit que le Congrès n'a pas à discuter sur ce point les actes de 1853 et 1871. Que demande la Russie? Elle demande uniquement le statu quo ante pour les détroits. Le Marquis de Salisbury fait dépendre le statu quo des conditions de la possession de Batoum par la Russie. Il serait très facile de prouver que Batoum ne constitue de menace pour personne et que la possession de ce port ne nous est nécessaire que pour assurer nos communications avec le grand territoire que la Russie possède déjà sur cette partie du littoral de la mer Noire et pour assurer son commerce. Son Excellence constate que la déclaration de franchise du port a dû écarter les derniers doutes. Ce port deviendra un point important pour le commerce du monde entier; il ne pourrait être une menace pour les détroits, et tout conseille, en conséquence, d'y maintenir le statu quo.

Lord Salisbury comprend que Batoum ne sera qu'un port commercial et, ainsi, accepte en principe le statu quo ante pour les détroits.

A la suite d'une observation de Carathéodory Pacha relative à l'opportunité de déclarer que la Bulgarie n'aura point de forces navales dans la mer Noire, comme conséquence du statu quo ante qui vient d'être admis, il demeure entendu que, la Bulgarie étant principauté tributaire et n'ayant point de pavillon de guerre, aucune disposition nouvelle ne peut être insérée à ce sujet.

Le Président constate l'assentiment unanime de la haute Assemblée au maintien du statu quo ante dans la question des détroits des Dardanelles et du Bosphore.

Le Président donne lecture de l'article XXIV, et le Congrès reconnaît qu'après la déclaration précédente, il n'a pas à discuter la première phrase de cet article relative à l'ouverture des

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