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peuvent se faire avant la saison des pluies et se perdent faute de bras pour les enlever en temps. Qu'on songe que le sieur François Robillart, de Coulogne, occupe seul trois fermes séparées de 240 arpents; Louis Lottin à Oye en exploite deux sur un manoir dispersé de 390 arpents; la ferme de Labbesingue contient 400 arpents; celle de Tournepuis 500; la terre des Calimottes, 1000; le village de Bonningues a un terroir de 1900 arpents de terre et 28 feux seulement dans tout le village en comptant tous les corps de métiers, artisans, fermiers et autres. Est-il possible qu'un propriétaire avec 3 ou 4 domestiques mette son héritage en valeur.

A ces charges si sensibles viennent s'ajouter les corvées et charrois continuels réclamés par les travaux du pays, que la population acquitte gratuitement, sans salaire, sans dédommagement et sans murmures; on a passé plusieurs années à faire le pont à Quatre Branches et le chemin de Landrethun à Guines, celui de Calais à Ardres est à construire en entier, il ne sera pas terminé avant deux ans. Le Calaisis en se surchargeant est arrivé à satisfaire à toutes ces corvées avec 1500 hommes; dans tout autre province le travail aurait été réparti entre 15000 hommes.

Ce serait ruiner définitivement le pays en lui enlevant des bras si nécessaires. La mesure en voie d'exécution est d'ailleurs si impopulaire, que nombre de fermiers, de valets de charrue et des fils de fermiers ont pris le parti de déserter le pays « pour se soustraire au joug qu'ils regardent comme odieux ». Il leur répugne de fournir un contingent de 300 hommes astreints à un service fréquent et suivi, à des revues générales et particulières, à monter des gardes, à fournir des détachements relevés tous les quatre jours, à faire des assemblées en corps suivant l'exigence des cas; soixantedouze d'entre eux d'après l'ordonnance doivent suivre l'école des canons dont l'apprentissage est fort long, et qui sait si une fois enregimentés et instruits on ne les enrôlerait pas pour cinq ans sur le champ des opérations extérieures au Calaisis. Enfin se pose une question d'économies pour l'Etat. MM. de Saint-Martin père et fils qui ont commandé les Garde-Côtes depuis 1735 n'ont jamais servi que pour l'honneur, sans aucune rétribution, ni appointements de l'Etat ou du pays reconquis; de Saint-Martin offre au duc de

Chaulnes de conserver la capitainerie générale du Calaisis sans réclamer de traitement. Les habitants sollicitent le même honneur de servir sans distinctions, exemptions, ni paye selon le règlement de 1716, c'est-à-dire dans les quatre compagnies de cavalerie que l'on a reconnu nécessaires et suffisantes pour assurer une surveillance étendue, en pays plat et déboisé, comme la côte du Calaisis (1).

Une nouvelle guerre avec l'Angleterre était trop prochaine pour que le gouvernement s'arrêtât à ces considérations; le corps de garde de Sangatte fut armé d'une batterie de 4 pièces de 32; le projet du maréchal de Belle Isle était de former avec les détachements de la Garde-Côtes des bataillons habillés et payés par le Roi et dressés comme les troupes réglées dont elles eussent fait au besoin le service. On se contenta cependant de tirer des Garde-Côtes 4 compagnies d'infanterie qui furent exercées à la manoeuvre et au service régulier. On les fit camper à Marck dans le cours de la guerre de 1756 pour les discipliner. Le marquis Duquesne vint par ordre de la cour les passer en revue le 26 juillet. Il parut satisfait de la cavalerie.

Bonafau, lieutenant général de la Garde-Côtes et commandant du bourg de Saint-Pierre, mourut le 25 mars 1757. Le sieur de Basse-Boulogne lui succéda en tous ses grades. Les cadres en 1757 se composent ainsi : Etat-Major, le comte de Saint-Martin, capitaine général; de Basse-Boulogne, major lieutenant général; 4 capitaines d'infanterie, Mollien de Belleterre, Charmont de Bétrancourt, de Saint-Martin fils, Mollien de Sombres, Laidez, capitaine aide-major; 6 capitaines d'infanterie : Hibon de Mervoye, Desmottes, de Milly, De La Motte Costé, Fossecave, le chevalier de Basse-Boulogne. << Outre ces dix compagnies qui sont bien montées et bien armées, il y a encore 16 compagnies de milices de paroisses qui sont obligées de prendre les armes en cas d'alerte sur la côte D (2).

Au printemps de l'année suivante les ordres de la cour prescrivent la reprise des exercices militaires et la levée de 5 compagnies dans les paroisses, par voie du tirage au sort. Ces troupes devront camper sur le bord de la mer du 15

(1) Archives communales de Calais. Série A. A. 17.

(2) Almanach historique et géographique de Picardie. 1758.

mai au 15 juin. Les autres compagnies fourniront la garde de la batterie de Sangatte et du Waldan. La cavalerie détachera une sentinelle toutes les 24 heures comme à l'ordinaire au Blanc-Nez. Le tirage au sort eut lieu le 25 avril. Les compagnies cantonnées au camp de Sangatte avaient pour capitaines Jacomel de Milly, de La Motte-Costé, de BasseBoulogne, fils, Fossevave et Hibon de Mervoye. M. de Basse-Boulogne père commandait tout le détachement. Le 6 juin, le duc de Chaulnes, délégué par la cour passait en revue ces troupes (1). L'année suivante le marquis de Mirabeau arrivait à Calais le 31 mai avec le duc de Chaulnes pour procéder à la même inspection générale (2).

Les compagnies franches, en vertu de l'ordonnance du 15 mai 1758, font un corps militaire organisé sur le même pied que les bataillons d'infanterie française et étrangère. Les officiers y ont mêmes rang et grade que dans les troupes régulières (3). La garde-côtes qui dépendait jusqu'alors du secrétariat de la marine passa à celui de la guerre (ordonnance du 24 février 1759) (4). Les Inspecteurs généraux sont supprimés par l'édit au 1761 et remplacés par des inspecteurs provinciaux. Celui du département de Picardie qui avait Calais dans son ressort était en 1770 M. de La Fontaine, colonel d'infanterie.

(1) Mémoires de Pigault.

(2) Archives communales de Calais A. A. 11.

(3) La misère était grande dans le pays à cause de ces nombreuses levées militaires. Mirabeau raconte qu'il vit à trois ou quatre reprises au cours de son inspection les femmes des matelots se jeter aux pieds du gouverneur. Les malheureuses montraient leurs pauvres petits enfants, pâles et décharnés et demandaient miséricorde (Loménie. Les Mirabeau. Tome I).

(4) « On avait recours aux gardes-côtes pour compléter les équipages de la marine. Le ministère de la guerre à l'époque du maréchal de Belle-Isle s'était fait attribuer par l'ordonnance du 24 février 1759 << tous les détails concernant les milices gardes-côtes, le service, l'établissement et l'entretion des batteries servant à la défense des côtes La marine perdit alors pour ne plus la recouvrer cette partie de la défense nationale qu'elle pensait être à bon droit de revendiquer, car la défense des côtes bien comprise n'est qu'une forme du combat naval. (Lacour Gayet. La marine militaire de France sous le règne de Louis XVI).

A la paix de 1762, la garde-côtes fut réduite à 5 compagnies d'infanterie et 4 de cavalerie qui avaient pour Etat-Major: De Saint Martin, brigadier du Roi, capitaine général; Mollien de Belleterre, major; Hibon de Mervoye, capitaine aide-major. Les compagnies d'infanterie étaient commandées par de Fossecave, Jacomel de Milly, Lenoir, Duflos, Pigault de Beaupré. La cavalerie par Charmont de Bétrancourt, Mollien de Sombres, de Guizelin, de Bienassisse; enfin un capitaine du guet, Pignan, commandant de Gufnes et un aide-major de cavalerie, Hibon (1).

En 1778, les charges d'officiers de l'Etat-major sont vacantes ainsi que celle du capitaine du guet et trois places de capitaines dans les 5 compagnies d'Infanterie. A la tête des deux autres compagnies d'infanterie on trouve Lenoir et Pigault de Beaupré. Les quatre compagnies de cavalerie ont pour capitaines de Charmont de Bétrancourt, Mollien de Sombres, de Guizelin, le Chevalier de Guizelin de Grandmaison. La place de capitaine aide-major est encore occupée par Hibon (2).

<< Enregimenter, discipliner dans la mesure du possible ces bonnes volontés, cet enthousiasme, le faire servir à la défense régulière du littoral sans cesse menacé» (3) ce fut l'œuvre lente de Richelieu et de Colbert, les rénovateurs de la marine, qui n'atteignit pleinement son but qu'à la fin de l'ancien régime, « mais l'apogée est souvent près de la décadence ». Les milices garde-côtes après avoir lutté avec acharnement pendant deux siècles contre les envahissements du pouvoir central qui tendaient de plus en plus à les transformer en véritables soldats durent céder devant les ordonnances de 1778 et 1779.

Des plaintes amères s'élèvent du malheureux Calaisis toujours mis à contribution pour fournir les troupes de couverture. En décembre 1776, il proteste avec énergie contre les levées de matelots qui se succèdent et appauvrissent le commerce

(1) Histoire de Calais par Lefebvre.

(2) Almanach historique et géographique de Picardie pour l'année 1779.

(3) Georges Toudouze. La défense des côtes de Dunkerque à Bayonne.

et l'industrie. Il demande que tout au moins le nombre des appelés soit proportionné à l'effectif des matelots valides de chaque localité. Les ordonnances des 13 décembre 1778 et 3 janvier 1779 sur le recrutement des gardes-côtes et matelots classés aggravent encore la situation. Le pays, plus dépeuplé qu'en 1756, est appelé à donner un effort plus grand qu'alors. La terre manque de bras, les corvées sont plus nombreuses et le service de guet à la mer n'est pas diminué; tous les habitants y concourent à tour de rôle. De plus on prête au duc de Croy, intendant de la province, l'intention de faire construire au printemps prochain cinq corps de garde le long de la côte. Le Calaisis se trouvera dans l'impossibilité de trouver les hommes nécessaires si l'on y ajoute, comme on croit, des batteries aux endroits stratégiques et un service de cavaliers d'ordonnance pour porter les ordres. Cependant,si lourde que soit cette charge, le Calaisis sera obligé de la supporter ; il n'a pas de voisins qui puissent le partager avec lui. Pour conserver l'état de choses ancien, le Calaisis multiplie ses pétitions à de Sartine, ministre de la Marine, au prince de Montbarey, ministre de la guerre, aux secrétaires d'Etat Bertin et Amelot, au duc de Charost, au duc de Croy (10 février 1779).

La nouvelle réorganisation des gardes-côtes était décidée, les récriminations n'eurent aucun succès.

L'ordonnance réglementaire du 20 mars 1779 ordonnait la formation d'une division militarisée comprenant deux détachements de 50 canonniers et 30 matelots chacun et décidait son recrutement par voie de tirage au sort entre tous les paysans des 24 paroisses du Calaisis. Les opérations du tirage au sort eurent lieu à l'hôtel de ville de Calais. Le 18 juin 1781, la revue passée aussi à Calais, réunit sous les ordres de M. de Gromard, chef de division, les troupes encadrées de 2 capitaines, 4 lieutenants, 8 sergents, 16 appointés et 2 tambours.

La levée et le tirage au sort furent effectués avec la plus grande rigueur sur les états des paroisses dressés avec si peu de soin qu'y furent compris les exempts et les infirmes. Des communes furent appelées à fournir les unes le tiers, les autres le quart des habitants aptes à servir. Ces mesures ne sont pas faites pour retenir les paysans dans leur terre; beaucoup témoiguent, de leur intention de s'expatrier

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