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CHAPITRE X.

Construction des flottilles. Voyage du premier consul à Boulogne et dans les départemens du Nord.

PENDAN

ENDANT que les Anglais écumaient les mers, prenaient indistinctement les bâtimens danois, suédois et hollandais; qu'ils saisissaient les fonds que ces derniers avaient à la banque de Londres; qu'au mépris du droit des gens, ils enlevaient de misérables barques de pêcheurs, que dans les guerres les plus violentes on avait toujours respectées, de même que, sur terre, on laisse aux laboureurs les instrumens d'agriculture; pendant qu'ils jetaient quelques bombes inutiles dans Granville, et qu'ils formaient le blocus de l'Elbe, le gouvernement français s'occupait des moyens de mettre les côtes maritimes en sureté, et de venger son pavillon trahi et surpris dans le sein de la paix. Mais il fallait pouvoir atteindre l'ennemi ou dans son île ou sur les mers, et la France n'avait qu'une marine faible, dispersée dans des parages lointains, et dont elle craignait la capture, puisqu'elle n'avait pu l'informer des dangers qui la menaçaient.

On avait cru jusqu'alors qu'on pouvait avec

*

AN 11.

des bateaux plats, aidés d'une flotte, faire une 1803. descente en Angleterre et combattre l'ennemi

dans ses propres foyers. Le département du Loiret, partageant l'indignation dont la France était pénétrée, ouvrit le premier le vœu d'attaquer l'ennemi dans son commerce, par des escadrilles composées de frégates fines voilières, et prit l'arrêté de faire construire, au compte du département une frégate de trente pièces de canon.

Cet exemple d'un sentiment qui était dans tous les cœurs, ne resta point sans imitation. Le 7 prairial, la chambre de commerce de Paris vota à l'unanimité la construction d'un vaisseau de cent vingt, qui porterait le nom de Commerce de Paris. Le 12, le sénat conservateur arrêta qu'il serait pris sur sa dotation la somme nécessaire pour la construction, dans le plus court délai, d'un vaisseau du premier rang. La chambre de commerce de la ville d'Anvers offrit une frégate de quarante-quatre. Ce dévóûment généreux se répandit rapidement dans toute la France; il se fit sentir, je ne dirai point dans chaque administration départementale, mais dans toutes les communes: grandes et petites, elles voulurent toutes concourir au même vou. Cette flamme électrique s'étendit jusque dans les hameaux. L'école polytechnique offrit sa chaloupe canonnière, ses bras, ses talens, et brûlait de par

tager tous les dangers. Les soldats présentèrent avec joie leur solde d'un jour de paie; il AN 11. n'y eut pas jusqu'aux élèves des lycées, des écoles, qui ne partageassent cette noble ardeur de contribuer aux ressources qu'exigeait la construction d'une nouvelle marine. Le gouvernement accepta avec reconnaissance et régularisa ce mouvement général d'une générosité presque inouie. Il fut permis aux départemens, aux communes, de s'imposer par des sols additionnels; et dès ce moment, toutes les rivières, tous les fleuves qui communiquent avec la mer, furent chargés de bois de cons

truction.

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Le zèle était vif, mais l'exécution exigeait du tems. Le premier consul, après avoir donné les ordres qui étaient nécessaires dans les circonstances, voulut voir par lui-même les départemens du Nord, veiller de plus près aux moyens de défense et préparer ceux de l'aggression. Parti le 5 messidor, il visita , par-tout où il passa, les établissemens publics, les manufactures, les canaux; il indiqua les besoins, les ressources, éveilla l'industrie, l'encouragea; par-tout sa présence fit naître l'enthousiasme et l'émotion. A Amiens, il admira la beauté des casimirs, qui surpassent tout ce qui a été fait jusqu'à cette heure, soit en France, soit chez l'étranger; il vit, dans le plus grand détail, la

manufacture de velours de MM. Morgan et 1803. de la Haye; il donna des éloges aux différens cylindres et autres inventions de la fabrique de M. Bonvallet; l'hôtel-de-ville lui offrit tous les produits de l'industrie d'Amiens, Il se rappela que dans cette ville s'étaient éteintes les dernières flammes de la guerre, que l'injustice, l'ambition et la rapacité venaient de rallumer. Il vit se former sous ses yeux une souscription pour l'armement et la construction de plusieurs chaloupes canonnières et autres bateaux.

A Abbeville, il visita la superbe fabrique de draps de Vanrobais, ce superbe établissement qui soutient sa réputation depuis Louis XIV, et qui occupe deux mille individus.

Il rendit justice à l'esprit martial de cette ville de Boulogne, jadis si florissante par ses relations avec l'Angleterre, sa navigation et ses importantes pêcheries. Depuis le premier ventose an 4 jusqu'au premier ventose an 9, cent cinquante corsaires étaient sortis de son port. Ils avaient fait deux cent une prises à l'ennemi, évaluées à près de treize millions et fait dix-neuf cent soixante-sept prisonniers. Leur perte s'était réduite à seize corsaires et sept cent cinquante-cinq hommes d'équipage. C'est auprès de cette ville que le premier consul se propose d'appeler l'élite de ses guerriers.

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Calais, cette première clef de la France, si célèbre par le dévoûment de son maire, et AN 11. Dunkerque, si long-tems opprimé par l'orgueil d'un commissaire anglais, se félicitèrent de voir et d'admirer le héros qui avait humilié et défait tant de fois cette Angleterre dans ses alliés. Sa présence fait espérer que bientôt on pourrait avec lui l'atteindre de plus près.

Le premier consul quitta Dunkerque le 17, suivit la route de Bergues, Cassel, Bailleul, d'Armentières, et se rendit à Lille, que deux sièges ont immortalisé dans les deux siècles. Ces villes étaient parées de draperies, de feuillages, de fleurs, ornées d'arcs de triomphe chargés d'inscriptions, interprètes ingénieux, et fidèles dont les citoyens étaient animés. Il n'y eut pas sur cette route un village, une maison isolée, qui n'eut ses devises, ses guirlandes et ses arcs de verdure. Après avoir visité les différens établissemens que Lille renferme, il se rendit à la bourse, où l'on avait exposé les produits en tout genre de l'industrie du département du Nord. Il parut frappé de la variété des fabriques, de la perfection de plusieurs d'entr'elles, et des productions étonnantes du sol.

Pendant que le premier consul recueillait sur tout son passage les témoignages d'amour d'admiration et de dévoùment, on disait en Angleterre qu'il devait former à Saint-Omer

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