Page images
PDF
EPUB

CHAPITRE V.

Situation des différentes puissances au com-
mencement de l'an II et dans le cours de
Tan 10. Médiation de la France et de la
Russie pour l'affaire des indemnités.

LE traité de Lunéville avait opéré le rétablissement absolu de la paix entre la France et l'Allemagne. Il y avait été stipulé que la cession consentie par l'empire au profit de la république, serait supportée collectivement par la fédération germanique, en admettant toutefois la distinction des princes laïcs héréditaires, et des ecclésiastiques usufruitiers. Plus d'une année s'était écoulée, sans qu'on eût seulement rien entamé pour la répartition des dédommagemens.

Cette inexécution d'une des conditions du traité laissait l'Allemagne dans un état pénible d'incertitude, et pouvait encore compromettre le repos de l'Europe. Le premier consul et l'empereur de Russie se déterminèrent, d'un commun accord, à intervenir dans les affaires d'Allemagne, pour effectuer par leur médiation ce qu'on aurait vainement attendu des délibérations intérieures du corps germanique. Les deux gouvernemens s'appliquèrent donc

AN 10.

à examiner avec un soin scrupuleux la ques1802. tion des indemnités sous tous ses rapports. La

France et la Russie étant d'intelligence, on fut bientôt d'accord sur tous les points. Un plan général d'indemnisation, arrêté à Paris entre les plénipotentiaires respectifs, reçut l'approbation du premier consul et celle de l'empereur. Il fut convenu que ce plan serait présenté à la diète de l'empire, sous la forme d'une déclaration qui serait faite simultanément par des ministres extraordinaires nommés à cet effet.

Dans l'exécution d'un systême dont le but principal était de consolider la paix de l'Europe, on s'était sur-tout appliqué à diminuer les chances de guerre. C'est pourquoi on avait pris soin d'éluder tout contact entre la France et la maison d'Autriche, dont le voisinage avait donné lieu à des guerres plus fréquentes. Ce même principe avait aussi décidé à placer les indemnités de la Prusse hors de contact avec la France et la Batavie. La maison palatine en recevait une organisation plus forte pour la défense; la Prusse continuait d'être, dans le systême germanique, la basse essentielle d'un contrepoids nécessaire, pendant que, de cet arrangement, l'Autriche retirait l'avantage inappréciable de voir toutes ses possessions

concentrées.

Le réglement des indemnités secondaires fut aussi proposé d'après des convenances géné

rales et particulières. La maison de Bade paraissait, à la vérité, plus avantagée que les autres; mais on avait jugé nécessaire de fortifier le cercle de Souabe, qui se trouve intermédiaire entre la France et les grands Etats germaniques. La sécularisation avait été prise pour base des dédommagemens. Cependant la France et la Russie avaient reconnu la possibilité de conserver dans l'empire un électeur ecclésiastique; et pour lui assurer un sort convenable, on lui laissait le titre et les fonctions d'archi-chancelier.

D'après la médiation de la France et de la Russie, on offrait aux délibérations de la diète impériale un plan général d'indemnisation, rédigé d'après les calculs de la plus rigoureuse impartialité, tant pour compenser les pertes reconnues, que pour conserver entre les principales maisons d'Allemagne l'équilibre qui subsistait avant la guerre.

Après avoir énoncé dans leur déclaration les objets d'échange, le premier consul et l'empereur Alexandre proposaient que l'archi-chancelier de l'empire fût transféré au siège de Ratisbonne, et que le titre électoral fût accordé au margrave de Bade, au duc de Wirtemberg et au prince de Hesse-Cassel. L'intérêt de l'AIlemagne, la consolidation de la paix et la tranquillité de l'Europe exigeaient que tout ce qui concernait le réglement des indemnités germa

AN 10

niques fût terminé dans l'espace de deux mois. 1802. C'est dans le cours de thermidor que cette déclaration fut remise à la diète de Ratisbonne, dans ce tems même que les journaux anglais, et sur-tout ceux attachés au ministère, provoquaient toute espèce de fureurs et de haines contre le premier consul. Quelque tems après, l'Autriche, la Prusse et d'autres puissances se conformèrent à cette déclaration; mais l'Angleterre retardait, autant qu'elle le pouvait, l'entière exécution du plan des indemnités.

la

La dignité du consulat à vie, donnée par reconnaissance du peuple français au pacificateur de l'Europe, qu'il avait vaincue, ajoutait de nouveaux fermens de jalousie, de haine à ceux que le traité de paix n'avait fait que comprimer. De nouvelles circonstances ne servirent qu'à leur donner plus de force. La Ligurie venait de consolider sa constitution, sous les auspices du premier consul. Elle l'avait prié de nommer lui-même, pour la première fois, les membres du sénat.

Dans la lettre du premier consul au sénat de la république ligurienne, en date du II thermidor: « De grandes puissances, est-il dit, conserveront peut-être du ressentiment de votre conduite; mais le peuple français considérera toujours votre cause comme la sienne. Dites à vos concitoyens, qu'en nommant celui qui le premier doit occuper la place de doge,

je ne le fais que pour adhérer à leur vou; et que, dans la circonstance actuelle, c'est la AN 10. plus grande marque d'intérêt que je puisse leur donner. >>

La régence d'Alger, tout inhospitalières que soient ses mœurs, semblable aux lions qui rugissent dans les déserts, adoucit pour un moment sa barbarie, au nom du vainqueur de l'Egypte.

Le 7 nivose de l'an 10, un traité définitif assurait à la France tous les avantages stipulés par les traités anciens ; et par des stipulations nouvelles, ce traité garantissait mieux et plus explicitement la liberté du commerce et de la navigation à Alger. La paix générale était conclue, et le commerce commençait à reprendre ses routes accoutumées; mais bientôt on apprit que des armemens d'Alger parcouraient la Méditerranée, désolaient le commerce français, et infestaient les côtes. Ils conduisirent à Alger des transports sortis de Toulon, et destinés pour S.t-Domingue. Ils arrêtèrent un bâtiment napolitain dans les mers, et presque sur les rivages de France. Un rais algérien avait osé, dans la rade de Tunis, faire subir un traitement infame à un capitaine de commerce français.

Les barques de la compagnie du Corail qui, aux termes du traité, allaient pour se livrer à la pêche, étaient violemment repoussées des côtes. Le chargé des affaires de France de

« PreviousContinue »