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Au mois de Février 1746. une Fille de la Campagne d'un tempérament très-vigoureux, àgée d'environ vingtcinq ans, partit à pied de l'HôtelDieu de Paris où elle étoit accouchée la furveille, & vint à la Salpétriere. Elle avoit craint d'être attaquée d'une maladie qui régnoit alors à l'HôtelDieu fur les femmes en couchés & qui en fit périr plufieurs. La fatigue du chemin mit cette perfonne dans un état d'épuisement qui la fit tomber en fincope dès qu'elle fut arrivée & mife au lit. On la réchauffa extérieurement avec des ferviettes chaudes & on parvint par quelques cordiaux à la faire revenir de fa foibleffe. Au bout d'une heure, elle retomba dans le même état ; & on la crut morte. La Şœur du Dortoir m'envoya dire qu'il y avoit dans fon emploi un fujet dont je pouvois difpofer pour mes Leçons d'Anatomie & de Chirurgie. Mes

Elèves ne manquérent point d'enle ver ce fujet, qui enveloppé d'un drap simple, avoit déja passé deux heures dans une Cour, expofe fur un bran card, aux injures de la faifon. Ils transportérent ce corps dans l'Amphithéâtre fans l'examiner. Le lendemain matin avant la vifite des malades, un jeune Chirurgien me dit qu'il avoit entendu des fons plaintifs dans l'Amphithéâtre, comme fi quelqu'un y eut pouffé des fanglots & des profonds foupirs; & que la frayeur l'avoit em pêché de fe lever & de venir m'en avertir. J'allai promptement examiner le fujet; je vis avec douleur que cette pauvre fille, qui alors étoit véritablement morte, avoit fait des efforts pour le débarraffer du drap qui l'enveloppoit: elle avoit une jambe par terre hors du brancard & un bras appuyé fur la barre du tréteau d'une table à difféquer à côté de laquelle le brancard étoit

pofé. Je me rappelle ici les fentimens d'horreur, & de compaffion dont je fus agité dans cet inftant. Je doute qu'il y ait un fpectacle plus trifte & plus touchant que celui-là. Je l'ai vû moi-même ; je ne fuis point du parti des incrédules à qui M. Bruhier fait les reproches les plus vifs fur le peu d'impreffion que ces exemples ont produite fur leur efprit. *» Quai

de plus capable, dit-il, de réveiller » l'attention des Puiffances Eccléfiaf »tique & Séculiere ! Mais le Prélat, mais le Magiftrat, peuple en cette partie, croyent avoit fait de leur jugement tout l'ufage convenable, quand ils ont affaiffonné d'un ton

*Ces faits fuffifent pour établir la poffibifité des récidives, & pour autorifer le projet d'un Réglement contre la précipitation des Enterremens. Je l'ai déja dit, les vues de Mon feur Bruhier font très louables; je prétends feulement que de la vérité de ces faits il ne réfulte pas que les marques de la mort foient incertaines

d'admiration, un en vérité il l'a » échappé belle! Ce n'eft pourtant

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» rien moins, continue M. Bruhier, que de pareilles exclamations qu'on » a droit d'attendre de ceux qui font chargés de veiller à la fureté »blique ».

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Le respect dû à la Magiftrature & aux Puiffances Eccléfiaftiques ne m'empêcheroit pas de penser ainfi, parce que la raison ne peut être affervie à aucune Puisfance, & qu'elle ne connoît d'autre autorité que celle de l'évidence. Mais il me paroît que le Prélat & le Magiftrat ne font point peuple en cette partie. Le peuple est difpofé à tout croire fans examen : il est souvent la duppe des fuppofitions les plus extravagantes; car il n'y en a point aufquelles la crédulité & l'ignorance ne puiffent donner quelque poids. Les lumiéres des Magistrats les garantiffent de ces travers,Ils ont fenti

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vraisemblablement que le fistême que l'on foutient n'étoit pas appuyé fut des témoignages affez décififs. La plupart des faits cités par M. Bruhier ne forment que des allégations fur des ouir-diré. Une hiftoire a été racontée par un particulier inconnu ; toute l'autenticité d'une autre eft qu'elle est notoire dans le quartier. Celles qui font le mieux conftatées n'ont pas été obfervées avec le foin & l'exactitude néceffaires pour juger s'il n'y a pas eu de l'ignorance ou du manque d'attention de la part de quelqu'un. Toutes ces perfonnes mifes dans la bierre ont été réputées mortés, par des affiftans fans nom, des Domestiques, des Quidams, &c. qui n'avoient ni le difcernement ni la capacité requise pour prononcer fur les fimptômes qui caractérisent l'état réel d'un malade.

Quand le défaut d'intelligence de

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