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paraissent vouloir combattre. Par quelque prétexte que l'on veuille justifier une marche aussi inouïe, la conduite de V. M. en est la plus éclatante réfutation. Les faits parlent, ils sont simples, précis, incontestables, et sur l'exposé seul que je vais faire de ces faits, les conseils de V. M, les conseils de tous les souverains de l'Europe, les gouvernemens et les peuples peuvent également juger ce grand procès.

Depuis quelques jours, Sire, j'éprouvais le besoin d'appeler vos méditations sur les préparatifs des divers gouvernemens étrangers; mais les germes de troubles qui se sont développés un moment sur quelques points de nos provinces méridionales compliquaient notre situation: peut-être le sentiment si naturel qui nous porte à vouloir, avant tout, la répression de tout principe de dissention intérieure, m'eût-il empêché, malgré moi, de considérer sous un jour assez sérieux les dispositions comminatoires qui se font remarquer au-dehors. La rapide dispersion des enBemies de notre repos domestique m'affranchit de tout ménagement de cette nature. La nation française a le droit d'attendre la vérité de la part de sou gouvernement, et jamais son gouvernement ne put avoir, autant qu'aujourd'hui, la volonté comme l'intérêt de lui dire la vérité toute entière.

Vous avez, Sire,repris votre couronne le ter du mois de Mars. Il est des événemens tellement au-dessus des calculs de la raison humaine, qu'ils échappent à la prévoyance des rois et à la sagacité de leurs ministres. Sur le premier bruit de votre arrivée aux rives de la Provence, les monarques assemblés à Vienne ne voyaient encore le souverain de l'ile d'Elbe, quand déjà V. M. régnait de nouveau sur l'empire français. Ce n'est que dans le château des Tuileries que V. M. a pu apprendre l'existence de leur déclaration du 13. Les signataires de cet acte inexplicable avaient déjà compris d'eux-mêmes que V. M. était dispensée d'y répondre.

Cependant, toutes les proclamations, toutes les paroles de Votre Majesté attestaient hautement la sincérité de ses vœux pour le maintien de la paix. J'ai dû prévenir les agens politiques français, employés à l'extérieur par le gouvernement royal, que leurs fonctions étaient terminées, et leur mander que V. M. se proposait d'accréditer incessamment de nouvelles legations. Dans son désir de ne laisser aucun doute sur ses sentimens veritables, V. M. n'a ordonné d'enjoindre à ces agens de s'en rendre les interprètes auprès des divers cabinets. J'ai rempli cet ordre, en écrivant le 30 Mars aux ambassadeurs, ministres et autres agens, la lettre ci-jointe sous le No. 1. Non cont.nte de ceite première démarche, V. M. a voulu, dans cette circonstance extraordinaire, donner à la manifestation de ses dispositions paćifiques, un caractère encore plus authentique et plus solennel; il kui a paru qu'elle ne pouvait en consacrer l'expression avec plus

d'éclat qu'en la consignant elle-même dans une lettre aux souverains étrangers. Elle m'a en même tems prescrit de faire à leurs ministres une déclaration semblable.

Ces deux lettres, dont je joins ici copie sous les Nos: 2 et 3, expédiées le 5 de ce mois, sont un monument qui doit déposer à jamais de la loyauté et de la droiture des vues de V. M. Impériale.

Tandis que les momens de V. M. étaient ainsi marqués, et, pour ainsi dire, remplis par une seule pensée, quelle a été la conduite des diverses puissances?

Les

De tous tems les nations se sont plus à favoriser les communications de leurs gouvernemens entre eux; et les cabinets euxmêmes se sont attachés à rendre ces communications faciles. Pendant la paix, l'objet de ces relations est de prolonger sa durée; pendant la guerre, il tend au rétablissement de la paix : dans l'une et l'autre circonstance, elles sont un bienfait pour l'humanité. Il était réservé à l'époque actuelle de voir une société de monarques s'interdire simultanément tout rapport avec un grand état, et fermer l'accès à ses amicales assurances. courriers expédiés de Paris le 30 Mars pour différentes cours, n'ont pu arriver à leur destination. L'un n'a pu dépasser Strasbourg, et le général autrichien qui commande à Kehl, s'est refusé à lui ouvrir un passage, même avec la condition de le faire accompagner d'une escorte. Un autre, expédié pour l'Italie, a été obligé de revenir de Turin sans avoir pu remplir l'objet de sa mission. Un troisième, destiné pour Berlin et le Nord, a été arrêté à Mayence et mal traité par le commandant prussien. Ses dépêches ont été saisies par le général autrichien qui commande en chef dans cette place.

Je joins ici sous les Nos. 5 et 6 (A ct B), les pièces relatives aux refus de passage que ces courriers ont éprouvé dans leurs diverses directions.

J'apprends déjà que parmi les courriers expédiés le 5 de ce mois, ceux qui étaient destinés pour l'Allemagne et pour l'Italie n'ont pu dépasser les frontières. Je n'ai aucune nouvelle de ceux qui ont été expédiés pour le nord et pour l'Angleterre.

Lorsqu'une barrière presque impénétrable s'élève ainsi entre le ministère français et ses agens au-dehors, entre le cabinet de V. M. et celui des autres souverains, ce n'est plus, Sire, que par les actes publics des gouvernemens étrangers qu'il est permis à votre ministère de juger leurs intentions.

Angleterre.

La constitution de l'Angleterre soumet le monarque à des obligations fixes envers la nation qu'il gouverne. Ne pouvant agir sans son concours, il est obligé de lui faire part, sinon de ses résolutions formelles, du moins de ses résolutions probables. Le message adressé au parlement le 5 de ce mois par le prince-ré

gent, n'est pas propre à inspirer aux amis de la paix une confiance bien étendue. J'ai l'honneur de mettre cette pièce sous les yeux de V. M. (No. 7.)

Une première remarque doit péniblement affecter les hommes qui connaissent les droits des peuples, et qui attachent du prix à les voir respectés par les rois. Le seul motif allégué par le prince-régent pour justifier les mesures qu'il annonce l'intention d'adopter, est qu'il s'est passé en France des événemens contraires aux engagemens pris par les puissances alliées entre elles, et ce souverain d'une nation libre semble ne pas même faire attention à la volonté du grand peuple chez lequel ont eu lieu ces événemens! Il semble qu'en 1815 l'Angleterre et ses princes ne se souviennent plus de 1688! Il semble que les puissances alliées, parce qu'elles ont eu un avantage momentané sur le peuple français, aient pu, sur l'acte intérieur qui intéresse le plus toute son existence, stipuler irrévocablement, pour lui et sans lui, au mépris du plus sacré de ses droits!

Le prince-régent déclare qu'il donne des ordres pour augmen ter les forces britanniques, tant sur terre que sur mer. Ainsi la nation française, dont il tient si peu de compte, doit être de tous côtés sur ses gardes: elle peut craindre une agression continentale, et en même tems elle doit surveiller toute l'étendue de ses côtes contre la possibilité d'un débarquement. C'est, dit le prince-régent, pour rendre la sûreté de l'Europe permanente qu'il réclame les secours de la nation anglaise. Et comment a-t-il besoin de pareils secours, quand cette sûreté n'est pas menacée ?

Au reste les rapports des deux pays n'ont point éprouvé d'altération remarquable. Sur quelques points, des faits particuliers prouvent que les Anglais mettent du soin à entretenir toutes les relations rétablies par la paix. Sur d'autres, des circonstances différentes porteraient à une croyance contraire. Des lettres de Rochefort du 7 de ce mois (No. 8 et 9) font mention de quelques incidens qui seraient d'un augure peu favorable s'ils venaient à être constatés, et s'ils ne s'expliquaient pas d'une manière satisfaisante; mais nos informations actuelles n'offrent point encore un caractère qui doive faire attacher à ces incidens une grande importance.

En Autriche, en Russie, en Prusse, dans toutes les parties de l'Allemagne, et en Italie, partout enfiu on voit un armement général.

Autriche,

A Vienne, le rappel de la landwehr, dernièrement licenciée, l'ouverture d'un nouvel emprunt, la progression chaque jour croissante du discrédit du papier monnaie, tout annonce l'intention ou la crainte de la guerre.

De fortes colonnes autrichiennes sont en marche pour aller renforcer les corps nombreux déjà rassemblés en Italie. On

peut douter si elles sont destinées à des opérations aggressives où si elles n'ont d'autre mission que de maintenir dans l'obéissance le Piémont, Gênes et les autres parties du territoire italien, dont les intérêts froissés peuvent faire craindre le mécoutente

ment.

Naples.

Au milieu de cet ébranlement de l'Autriche vers l'Italie, le roi de Naples n'a pu rester immobile. Ce prince, dont les alliés avaient précédemment invoqué les secours, dont ils avaient reconnu la légitimité et garanti l'existence, n'a pas pu ignorer que leur politique, modifiée depuis par des circonstances différentes, aurait mis son trône en danger si, trop habile pour s'abandonner à leurs promesses, il n'avait su s'affermir sur de meilleurs fondemens. La prudence lui a prescrit de faire quelques pas en avant pour observer les événemens de plus près, et le besoin de couvrir son royaume l'a obligé de prendre des positions militaires dans les états romains.

Prusse.

Les mouvemens de la Prusse n'ont pas moins d'activité : partout les cadres se remplissent et se complettent: les officiers réformés sont obligés de se rendre à leurs corps; pour accélérer leur marche, on leur accorde la franchise de la poste, et ce sacrifice, léger en apparence, mais fait par un gouvernement calculateur, n'est pas une faible preuve de l'intérêt qu'il met à la ra-' pidité de ses préparatifs.

Sardaigne.

Dès les premiers momens du retour de V. M., un commandant de troupes anglaises, de concert avec le gouverneur du comté de Nice, s'est emparé de la place de Monaco. (Pièces No. 10 et 11.) D'après les anciens traités, renouvelés par celui de Paris, la France seule a le droit de mettre garnison dans cette place: l'époque où cette occupation a eu lieu indique assez que le commandant des troupes anglaises ne s'y est porté que de lui-même, et qu'il n'avait pu avoir sur ce point d'instructions préalables de son gouvernement. La France doit demander satisfaction sur cette affaire aux cours de Londres et de Turin. Elle doit exiger l'évacuation de Monaco et sa rémise à une gar nison française conformément aux traités; mais V. M. jugera sans doute que cette affaire ne peut-être qu'un sujet d'explication, attendu que la détermination du gouverneur sarde et celle surtout du commandant anglais ont été accidentelles, et un effet subit de l'inquiétude occasionnée par des mouvemens extraordinaires.

Espagne.

Les nouvelles d'Espagne et une lettre officielle de M. de Laval du 28 Mars, No. 12, apprennent qu'une armée doit se portér sur

la ligne des Pyrénées.

La forcé de cette armée sera nécesairement subordonnée à la situation intérieure de cette monarchie ; et son mouvement ultérieur, aux déterminations des autres états. La France remarquera que ces ordres ont été donnés sur la demande de M. le duc et de Mme. la duchesse d'Angoulême. Ainsi en 1815, comme en 1793, ce sont des princes nés Français qui appellent l'étranger sur notre territoire.

Pays-Bas.

Les rassemblemens de troupes de diverses nations qui out eu lieu dans le nouveau royaume des Pays-Bas et les nombreux débarquemens de troupes anglaises sont connus de V. M. Un fait particulier se joint encore aux doutes que ces rassemblemens peuvent faire naître sur les dispositions du souverain de ce pays. Je viens d'ètre informé (Nos. 13 et 14) qu'un convoi de 120 hommes et de 12 officiers, prisonniers français revenant de Russie, a été arrêté par ses ordres du côté de Tirlemont. En me réservant de prendre à cet égard des informations exactes et demander au besoin le redressement d'un tel procédé, je me borne aujourd'hui à en rendre compte à V. M., vu la gravité qu'il reçoit de son rapport avec les autres circonstances qui se développent autour de nous. Sur tous les points de l'Europe à-la-fois, on se dispose, on s'arme, on marche, ou bien on est prêt à marcher.

Et ces grands armemens, contre qui sont-ils dirigés ? Sire, c'est V. M. que l'on nomme, mais c'est la France que l'on menace, La paix la moins favorable que les puissances aient jamais osé vous offrir est celle dont aujourd'hui V. M. se contente. Quelles raisons auraient-elles de ne plus vouloir maintenant ce qu'elles stipulaient à Chaumont, ce qu'elles ont signé à Paris? Ce n'est done point au monarque, c'est à la nation française c'est à l'indépendance du peuple, c'est à tout ce que nous avons de plus eher, à tout ce que nous avons acquis par vingt-cinq années de souffrances et de gloire, à nos libertés, à nos institutions, que des passions ennemies veulent faire la guerre: une partie de la famille des Bourbons et quelques hommes, qui depuis long-temps ont cessé d'être Français, cherchent à soulever encore les nations de l'Allemagne et du Nord, daus l'espoir de rentrer une seconde fois par la force des armes sur un sol qui les désavoue et ne veut plus les recevoir. Le même appel a retenti un moment dans quelques contrées du Midi, et c'est à des troupes espagnoles qu'on redemande la couronne de France: c'est une famille redevenue solitaire et privée qui va implorer ainsi l'assistance de l'étranger. Où sont les fonctionnaires publics, les troupes de ligne, les gardes nationales, les simples habitans qui aient accompagné sa fuite au-delà de nos frontières ! Vouloir rétablir encore une fois les Bourbous, ce serait déclarer la guerre à toute la population française. Lorsque Votre Majesté est entrée à Paris avec une escoite de quelques hommes; lorsque Bordeaux, Toulouse, Marseille et tout le Midi se dégagent, en un jour, des piéges

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