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qu'on leur avait tendus, est-ce un mouvement militaire qui opère ces miracles; ou plutôt n'est-ce point un mouvement national, un mouvement commun à tous les cœurs français, qui confond en un seul sentiment l'amour de la patrie et l'amour du souverain qui saura la défendre? Ce serait donc pour nous rendre une famille qui n'est ni de notre siècle ni de nos mœurs; qui n'a su ni apprécier l'élévation de nos âmes, Bi comprendre l'étendue de nos droits; ce serait pour replacer sur nos têtes le triple joug de la monarchie absolue, du fanatisme et de la féodalité, que l'Europe entière semblerait se livrer encore à un immense soulèvement! On dirait que la France, resserrée dans ses anciennes limites, quand les limites des autres puissances se sont si prodigieusement élargies, que la France libre, riche seulement du grand caractère que lui ont laissé ses révolutions, tient encore trop de place dans la carte du monde.

Oui, si, contre le plus cher des vœux de V. M., les puissances étrangères donnent le signal d'une nouvelle guerre, c'est la France même, c'est la nation tout entière qu'elles veulent atteindre, quand elles prétendent ne s'attaquer qu'à son souverain, quand elles affectent de sépararer la nation de l'empereur. Le contrat de la France avec V. M. est le plus étroit qui jamais ait uni une nation à son prince. Le peuple et le monarque ne peuvent plus avoir que les mêmes amis et les mêmes ennemis. S'agit-il de provocations personnelles de souverain à souverain? ce ne peut être autre chose qu'un duel ordinaire. Que fit François ler dans son emportement contre Charles Quint? Il lui envoya un cartel. Mais distinguer le chef d'une nation de cette nation même, protester que l'on n'en veut qu'à la personne du prince et faire marcher contre lut seul un million d'hommes, c'est trop se jouer de la crédulité des peuples. Le seul, le véritable but que les puissances étrangères puissent se proposer dans l'hypothèse d'une coalition nouvelle serait l'épuisement, l'avilissement de la France, et, pour parvenir à ce but, le plus sûr moyen à leurs yeux serait de lui imposer un gouvernement sans force et sans énergie. Cette politique de leur part n'est pas au reste une politique nouvelle: l'exemple leur en a été donné par de grands maîtres. Ainsi les Romains proscrivaient les Mithridate, les Nicomède, et ne couvraient de leur orgueilleuse protection que les Attalus et les Prusias, qui s'honorant du titre de leurs affranchis, reconnaissaient ne tenir que d'eux leur états et leur couronne! Ainsi la nation française serait assimilée à ces peuples d'Asie, auxquels le caprice de Rome donnait pour rois les princes dont la soumission et la dépendance lui étaient le plus assurées! En ce sens, les efforts que pourraient tenter aujourd'hui les puissances alliées, n'auraient point pour but déterminé de nous ramener encore une dynastie

repoussée par l'opinion publique. Ce ne serait point spéciale, ment les Bourbons qu'on voudrait protéger: dès long-tems leur cause, abandonnée par eux-mêmes, l'a été par l'Europe entière; et cette famille infortunée n'a subi partout que de trop cruels dédains. Peu importerait aux alliés le choix du monarque qu'ils placeraient sur le trône de France, pourvu qu'ils y vissent siéger avec lui la faiblesse et la pussillanimité; cet outrage serait le plus sensible qui pût être fait à l'honneur d'une nation magnanime et généreuse. C'est celui qui a déjà blessé le glus profondément les cœurs français, celui dont le renouvellement serait le plus insupportable.

Lorsque dans les derniers mois de 1813, on publiait à Francfort cette déclaration fameuse, par laquelle on annonçait solennellement que l'on voulait la France grande, heureuse et libre, quel fut le résultat de ces pompeuses assurances ? Dans le même moment on violait la neutralité helvétique. Lorsqu'ensuite sur le sol français, afin de refroidir le patriotisine et de désorganiser l'intérieur, on continuait à promettre à la France une existence et des lois libérales, les effets ne tardèrent pas à montrer quelle confiance on devait à de pareils engagemens. Eclairée par l'expérience, la France a les yeux ouverts: il n'est pas un de ses citoyens qui n'observe et ne juge ce qui se passe autour d'elle; renfermée dans son ancienne frontière, lorsqu'elle ne peut donner d'ombrage aux autres gouvernemens, toute attaque contre son souverain est une tendance à intervenir dans ses affaires intérieures, et ne pourra lui paraître qu'une tentative pour diviser ses forces par la guerre civile et pour consommer sa ruine et son démembre

ment.

Cependant, Sire, jusqu'à ce jour, tout est menace et rien n'est encore hostilité. Votre Majesté ne voudra pas que des incidens qui peuvent tenir aux volontés individuelles de commandans particuliers, ou peu scrupuleux observateurs des ordres de leur cour, ou trop prompts à devancer les intentions qu'ils lui supposent, soient considérés comme des actes procédans de la volonté des puissances, et comme ayant rompu l'état de paix. Aucun acte officiel n'a constaté la détermina tion d'une rupture. Nous sommes réduits à des conjectures vagues, à des bruits peut-être mensongers. Il paraît certain qu'il aurait été signé le 25 Mars un nouvel accord, dans lequel les puissances auraient consacré l'ancienne alliance de Chaumont. Si le but en est défensif, il rentre dans les vues de Votre Majesté elle-même, et la France n'a point à se plaindre: s'il en était autrement, c'est l'indépendance de la nation frauçaise qui serait attaquée, et la France saurait repousser une si odieuse aggression.

Le prince régent d'Angleterre déclare qu'il veut, avant d'agir, s'entendre avec les autres puissances. Toutes ces puissances sont armées, et elles délibèrent. La France exclue de

ces délibérations, dont elle est le principal objet, la France senle délibère, et n'est point armée encore.

Dans des circonstances aussi graves, au milieu de ces incertitudes sur les dispositions effectives des puissances étrangères, dispositions dont les actes extérieurs sont de nature à autoriser de justes alarmes, les sentimens et les voeux, de Votre Majesté pour le maintien de la paix et du traité de Paris ne doivent pas empêcher de légitimes précautions.

Je crois en conséquence devoir appeler l'attention de Votre Majesté et les réflexions de son conseil sur les mesures que doivent dicter à la France la conservation de ses droits, la sûreté de son territoire et la défense de l'honneur national. Le ministre des affaires étrangères.

(Signé)

CAULAINCOURT, duc de VICENCE.

No. I.

Circulaire adressée aux ambassadeurs, ministres et autres agens de France à l'extérieur.

Paris, le 30 Mars, 1815. Monsieur, les vœux de la nation française n'avaient cessé de rappeler le souverain de son choix, le seul prince qui puisse lui garantir la conservation de sa liberté et de son indépendance. L'empereur s'est montré, et le gouvernement royal n'existe plus. A l'aspect du mouvement universel qui emportait vers son monarque légitime, et le peuple et l'armée, la famille des Bourbons a compris qu'il ne restait point d'autre parti pour elle que de se réfugier sur une terre étrangère. Elle a quitté le sol français, sans qu'il ait été tiré un seul coup de fusil, ni versé une goutte de sang pour sa défense. La maison militaire qui l'accompagnait, s'est réunie à Bethune, où elle a déclaré sa soumission aux ordres de l'empereur. Elle a remis ses chevaux et ses armes; plus de la moitié entre dans nos rangs; les autres, en petit nombre, se retirent dans leurs foyers, heureux de trouver un asile dans la générosité de S. M. I. Le calme le plus profond règne dans toute l'étendue de l'empire, Partout un même cri se fait entendre: jamais nation ne présenta le spectacle d'une plus complète unanimité dans l'expression de son bonheur et de sa joie. Ce grand changement n'a été l'ouvrage que de quelques jours. C'est le plus beau triomphe de la confiance d'un monarque dans l'amour de ses peuples; c'est en même temps l'acte le plus extraordinaire de la volonté d'une nation qui connaît ses droits et ses véritables devoirs.

Les fonctions dont vous avait chargé le gouvernement royal sout terminées, et je vais prendre sans délai les ordres de S. M. l'empereur, pour accréditer une nouvelle légation.

Vous devez sur le champ, Monsieur, prendre la cocarde tricolore et la faire prendre aux Français qui sont auprès de vous. Si, au moment de quitter la cour auprès de laquelle vous résidiez, vous avez occasion de voir le ministre des affaires étran

gères, vous lui ferez connaître que l'empereur n'a rien de plus à cœur que le maintien de la paix; que S. M. a renoncé aux projets de grandeur qu'elle pouvait avoir antérieurement conçus, et que le système de son cabinet, comme l'ensemble de la direction des affaires en France, est dans un tout autre principe.

Je ne doute pas, Monsieur, que vous ne regardiez comme un devoir de faire connaître aux Français qui sont auprès de vous la position nouvelle de la France et celle où, d'après nos lois, ils se trouvent placés eux-mêmes.

(Signé)

CAULAINCOURT, duc de Vicence.

No. II.

Lettre autographe de S. M. l'empereur aux souverains. Monsieur mon frère, vous aurez appris, dans le cours du mois dernier, mon retour sur les côtes de France, mon entrée à Paris, et le départ de la famille des Bourbons. La véritable nature de ces événemens doit maintenant être connue de Votre Majesté. Ils sont l'ouvrage d'une irrésistible puissance, l'ouvrage de la volonté unanime d'une grande nation qui connaît ses devoirs et ses droits. La dynastie, que la force avait rendue au peuple français, n'était plus faite pour lui: les Bourbons n'ont voulu s'associer ni à ses sentimens ni à ses mœurs: la France a dû se séparer d'eux. Sa voix appelait un libérateur: l'attente qui m'avait décidé au plus grand des sacrifices avait été trompée. Je suis venu, et du point où j'ai touché le rivage, l'amour de mes peuples m'a porté jusqu'au sein de ma capitale. Le premier besoin de mon cœur est de payer tant d'affection par le maintien d'une honorable tranquillité. Le rétablissement du trône impérial était nécessaire au bonheur des Français. Ma plus douce pensée est de le rendre en même tems utile à l'affermissement du repos de l'Europe. Assez de gloire a illustré tour-à-tour les drapeaux des diverses nations; les vicissitudes du sort ont assez fait succéder de grands revers à de grands succès. Une plus belle arène est aujourd'hui ouverte aux souverains, et je suis le premier à y descendre. Après avoir présenté au monde le spectacle de grands combats, il sera plus doux de ne connaître désormais d'autre rivalité que celle des avantages de la paix, d'autre lutte que la lutte sainte de la félicité des peuples. La France se plaît à proclamer avec franchise ce noble but de tous ses vœux. Jalouse de son indépendance, le principe invariable de sa politique sera le respect le plus absolu pour l'indépendance des autres nations: si tels sont, comme j'en ai l'heureuse confiance, les sentimens personnels de Votre Majesté, le calme général est assuré pour long-tems; et la justice, assise aux confins des divers états, suffira seule pour en garder les frontières.

Je saisis avec empressement, etc. etc, etc.
Paris, le 4 Avril, 1815.

No. III.

Lettre adressée par le ministre des affaires étrangères de France aux ministres des affaires étrangères des principaux cabinets de l'Europe.

Monsieur,

Paris, le 4 Avril, 1815.

L'espoir qui avait porté S. M. l'empereur, mon auguste souverain, au plus magnanime des sacrifices, n'a point été rempli. La France n'a point reçu le prix du dévouement de son monarque: ses espérances ont été douloureusement trompées. Après quelques mois d'une pénible contrainte, ses sentimens, concentrés à regret, viennent de se manifester avec éclat. Par un mouvement universel et spontané, elle a invoqué pour libérateur celui de qui seul elle peut attendre la garantie de ses libertés et de son indépendance. L'empereur a paru, le trône royal est tombé, et la famille des Bourbons a quitté notre territoire sans qu'une goutte de sang ait été versée pour sa défense. C'est sur les bras de ses peuples que S. M. a traversé la France, depuis le point de la côte où elle a d'abord touché le sol, jusqu'au milieu de sa capitale, jusqu'au sein de ce château rempli encore, comme tous les cœurs français, de nos plus chers souvenirs. Aucun obstacle n'a suspendu la marche de S. M.; au moment où elle a remis le pied sur le territoire français,'elle avait déjà ressaisi les rênes de son empire. A peine son premier règue semble-t-il avoir été un moment interrompu. Toutes les passions généreuses, toutes les pensées libérales se sont ralliées autour d'elle: jamais nation ne présenta le spectacle d'une plus solennelle unanimité.

Le bruit de ce grand événement aura, Monsieur, déjà retenti jusqu'à vous. Je suis chargé de vous l'annoncer au nom de l'empereur, et de prier V. Exc. de porter cette déclaration à la connaissance de votre cabinet.

Ce second avénement de l'empereur à la couronne de France est pour lui le plus beau de ses triomphes. S. M. s'honore surtout de le devoir uniquement à l'amour du peuple français, et elle ne forme qu'un désir, c'est de payer tant d'affection, non plus par les trophées d'une trop infructueuse grandeur, mais par tous les avantages d'une heureuse tranquillité. C'est à la durée de la paix que tient l'accomplissement des plus nobles vœux de l'empereur. Disposée à respecter les droits des autres nations, S. M. a la douce confiance que ceux de la nation française sont au-dessus de toute atteinte. La conservation de ce précieux dépôt est le premier comme le plus cher de ses devoirs. Le calme du monde est. pour long-tems assuré, si les autres souverains s'attachent

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