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13 Mai, 1815.

MINISTÈRE DE LA JUSTICE.

Paris, le 11 Mai, 1815.

A MM. les procureurs-généraux près les cours impériales. Messieurs, dans un rapport du 7 de ce mois, M. le ministre de la police générale a rendu compte à S. M. l'empereur des manoeuvres pratiquées par les ennemis de la tranquillité publi

que,

Pour arrêter le mal dans sa source, S. M. a rendu, le 9 du courant, un décret dont les dispositious sont entièrement fondées sur les lois existantes, et qui a été inséré au Bulletin, No. 28.

Ce décret rappelle tous les Français qui pourraient audehors ourdir des trames criminelles; il ordonne de poursuivre au-dedans tous auteurs et complices de correspondances ayant pour objet les complots spécifiés par l'art. 77 du code pénal; enfin il tend à réprimer tous actes séditieux d'où pourraient naître des troubles.

Chargés par les lois de provoquer et de diriger les poursuites judiciaires contre tous les excès contraires à l'ordre public, vous devez redoubler de vigilance et de zèle, et déployer même une juste sévérité pour confondre des machinations dont le but serait de compromettre l'existence même de l'état.

La police administrative surveille plutôt qu'elle ne poursuit; ceux qu'elle observe ne sont point encore reconnus coupables; elle leur ôte avec sagesse, et souvent à leur insu, les occasions de le devenir; quelquefois même elle semble disparaître, quand elle s'est bien assurée que le mal ne peut pas franchir certaines limites.

Mais plus elle se montre circonspecte, plus la police judiciaire doit ensuite déployer d'ardeur et d'inflexibilité. Celleci s'attache au crime déjà commis; elle dévoile toutes les circonstances qui le caractérisent; elle en recherche, sans acception de personne, les auteurs et les complices; elle les suit sans relâche jusqu'au dernier asyle où la justice les saisit, et le ministère public ne doit plus les quitter que la vengeance des lois ne soit pleinement satisfaite.

Les crimes dont je vous entretiens, sont de ceux en faveur desquels on tente quelquefois d'émouvoir une imprudente pitié: ce sentiment doit fléchir à l'aspect des conséquences qu'entraînerait leur impunité.

Il faut aussi remarquer, à l'égard de cette nature de délits, que ceux qui trament une conspiration contre l'état, qui entretiennent des intelligences avec ses ennemis, couvrent leurs démarches avec tant de mystère et d'adresse, que souvent chaque fait particulier de leur conduite, pris isolément, n'offre

en apparence rien de répréhensible; de sorte que, pour apprécier toute l'étendue de leurs desseins, il est nécessaire qu'un examen franc et dégagé de subtilités, contemple l'ensemble des faits et des circonstances, et en prononce de bonne foi les résultats.

Enfin, Messieurs, vous emploierez tous vos soins à mettre les tribunaux en garde contre des applications erronées de la loi, dont l'effet laisserait impuuis des délits aussi préjudiciables à la société.

Telles sont les réflexions qu'il est de mon devoir de vous communiquer, à l'occasion du décret important dont l'exécution est confiée en grande partie à votre zèle. Vous en ferez part aux procureurs impériaux et aux juges instructeurs de votre ressort.

La répression des délits est la partie la plus essentielle des attributions du ministère public. Son action s'est, à cet égard, malheureusement ralentie depuis quelque tems: cet engourdissement doit cesser.

L'ordre judiciaire a, dans ce moment, une noble tâche à remplir son énergie peut prévenir de grands désordres. Tandis que la foule de nos guerriers se précipite vers nos frontières pour les garantir d'invasion, l'empereur a droit de compter que la tranquillité intérieure sera maintenue par le courage et la vigilance des magistrats.

Je vous renouvelle, Messieurs, les assurances de mon entière considération.

Le prince archi-chancelier de l'empire, chargé du portefeuille du ministère de la justice,

CAMBACÉRES.

14 Mai, 1815.

Les observations qui suivent sont insérés au bas d'un Discours de Lord Castlereagh à la Chambre des Communes, le 2 Mai, 1815, dans lequel S.S. a introduit plusieurs pièces relatives à la mauvaise foi de Joachim Murat envers les Souverains Allies.

Toutes les pièces citées par lord Castlereagh, et celles de même nature qu'il a réunies dans les documens soumis au parlement sont falsifiées. Ces fabrications sont si odieuses, nous devons même dire si impudentes, qu'on ne saurait concevoir qu'un ministre y ait eu recours pour justifier sa conduite. Nous répugnons à croire que lord Castlereagh ait fait usage de ces pièces, sachant qu'elles étaient fausses. Il faut donc penser qu'il a été pleinement dupe d'une intrigue; mais que dire d'un ministre si facile à abuser dans des matières si graves!

La première lettre citée par lord Castlereagh porte, dit-il,

la date de Nangis, le 17 Février, et a été écrite par l'empereur à la reine de Naples; selon lui cette lettre commence par ces mots: "Votre mari est très-brave sur le champ de bataille, mais il est plus faible qu'une femme et qu'un moine quand il ne voit pas l'ennemi. Il n'a aucun courage moral.”

Ces mots se trouvent textuellement dans une lettre dont nous avons la minute sous les yeux, et qui a été écrite en effet par l'empereur à la reine de Naples, Fontainebleau, le 24 Janvier, 1813.

L'empereur arrivait alors de la campagne de Russie, et avait laissé le roi de Naples à la tête de l'armée; aussi cette lettre commence-t-elle par ces mots, qu'on a eu soin de supprimer. "Le roi a quitté l'armée le 16, votre mari est un fort brave homme, etc., etc." On n'a conservé que le seul passage que nous avons cité plus haut et pour mettre cette lettre, qui se rapportait uniquement aux circonstances d'alors, d'accord avec la date de Nangis, et établir par cette insigne fausseté les conséquences qu'on en a déduites contre les procédés du roi de Naples à l'égard des alliés, on a substitué au reste de son contenu tout ce que nous avons souligné dans la lettre falsifiée, produite par lord Castlereagh.

La seconde lettre est adressée par l'empereur au roi de Naples. On ne lui donne point de date; mais pour suppléer à cette omission, lord Castlereagh suppose qu'il est parlé dans cette lettre des succès obtenus par l'empereur le 10 et le 11, ce qui se rapporterait aux batailles livrées en Champagne le 10 et le 11 Mars, 1814. La lettre telle que la cite lord Castlereagh commence par ces mots: "Je ne vous parle pas de mon mécontentement de votre conduite, etc." Nous avons sous les yeux la minute d'une lettre de l'empereur au roi de Naples, datée de Fontainebleau le 26 Janvier, 1813, commençant ainsi: “ Je ne vous parle point de mon mécontentement de la conduite que vous avez tenue depuis mon départ de l'armée." On a supprimé la dernière moitié de cette phrase qui aurait indiqué la date véritable, et on a substitué au reste de la lettre, relatif aux circonstances qui avaient suivi le départ de l'empereur, après la campagne de Russie, les passages que nous avons soulignés dans la lettre rapportée au discours de lord Castlereagh, et qui tendent au but que les falsificateurs se proposaient.

Lord Castlereagh n'a pas cité dans son discours, mais il a fait distribuer au parlement une autre lettre de l'empereur au roi de Naples. On donne à cette copie imprimée la date du 7 Mars, et comme on y insère des détails qui ne peuvent se rapporter qu'à l'année 1814, c'est donc du 7 Mars, 1814, qu'on prétend qu'elle est datée. On lit dans cette lettre ces mots: "Vous vous êtes entouré d'hommes qui ont en haine la France et qui veulent vous perdre. Je vous ai donné bien

des avertissemens. Tout ce que vous m'écrivez contraste trop avec ce que vous faites, etc." Nous avons encore. sous les yeux la minute d'une autre lettre de l'empereur au roi de Naples; mais cette lettre est datée de Compiègne le 30 Août, 1811; et nous y trouvons littéralement le passage qu'on vient de rapporter. Ainsi, c'est cette lettre qu'on a falsifiée. On n'en a guère conservé que les expressions qui nous ont servi à reconnaître la lettre véritable: or, comment aurait-on pu dire en 1811, comme on le suppose dans la lettre imprimée. "Je verrai par votre manière d'agir à Ancôme si votre cœur est encore français. Continuez à correspondre avec le vice-roi, en prenant garde que vos lettres ne soient interceptées."

Les minutes originales de ces lettres sont entre nos mains. Les originaux autographes ne sont et ne peuvent être qu'à Naples, et ils confirmeront nos assertions, car il n'est pas dou teux qu'ils n'y soient rendus publics. Quelles sont donc les pièces sur lesquelles lord Castlereagh a fait imprimer les documens qu'il publie? Quel sceau d'authenticité leur a été donné? C'est à lui à prouver qu'elles sont vraies. Ce ne serait point à nous à prouver qu'elles sont fausses. Cependant nous en fournissons la preuve.

Nous sommes autorisés à déclarer qu'on montrera à tout Anglais de distinction qui se trouvera à Paris, et qui le demandera:

1o. Les minutes originales des lettres de l'empereur.

2o. Les minutes des mêmes lettres falsifiées et écrites de la main de l'abbé Fleuriel, qui a fait pendant 19 ans les fonctions de secrétaire dans le cabinet du comte de Lille et dans celui du comte de Blacas.

On communiquerait de plus la minute d'une lettre écrite par le comte de Blacas à lord Castlereagh le 4 Mars, 1815, si lord Castlereagh n'en avait pas conservé l'original. On y lit ces propres mots : "J'ai retrouvé encore depuis dans une autre liasse trois minutes de lettres écrites par Napoléon, dont une n'a point de date. J'ai l'honneur de vous en adresser pareillement des copies, et ce ne sont pas les moins intéressantes des pièces qui ont été découvertes dans l'immense quantité de papiers où il a fallu faire des recherches."

Ces copies sont évidemment celles des trois lettres dont nous venons de parier, dont deux portent des dates démontrées fausses, et dont l'autre est effectivement sans date. Nous savons donc parfaitement que c'est le 4 Mars, 1815, que les prétendues copies de ces trois lettres ont été envoyées à lord Castlereagh.

On communiquera également une lettre originale d'un personnage dont lord Castlereagh ne rejetera pas le témoignage. Cette lettre a été écrite le 4 Janvier, 1815, à M. le comte de

Blacas, par lord Wellington. Nous l'imprimons à la suite

de cette note.

Nous avons le droit d'en déduire les faits ci-après, que personne ne peut contester.

Le gouvernement du comte de Lille avait communiqué à l'ambassadeur d'Angleterre les pièces qui se trouvaient à sa disposition, et qui concernaient le roi de Naples; mais alors on ne s'était point encore avisé de les falsifier, et lord Wellington en tire la seule conséquence que les pièces vraies puissent présenter. "Je vous rends les papiers que j'ai lus; ils ne contiennent aucune preuve contre Murat."

Une telle autorité ne nous laisse plus rien à dire. Lord Wellington atteste que les pièces que nous citons sont vraies, puisqu'elles ne contiennent aucune des preuves qu'on cherchait contre le roi de Naples, et que celles qui ont été produites par lord Castlereagh au parlement sont fausses, puisqu'elles inculpent fortement le roi de Naples dans ses rapports avec les alliés, personne ue récusera ce témoignage.

Qu'est-il done arrivé dans l'intervalle du 4 Janvier au 4 Mars, 1813? Le comte de Lille qui n'avait pas cessé d'insister au congrès de Vienne pour que la branche des Bourbons de Sicile remontât sur le trône de Naples, voyait que les puissances qui avaient contracté des traités avec le roi de Naples résistaient ou hésitaient. Il fallait chercher à vaincre leurs scrupules et à justifier la violation qu'on attendait d'elles, en imputant au roi de Naples des violations antérieures. Le cabinet du comte de Lille, où nous avons acquis la certitude qu'on s'étudiait à fabriquer, pour servir les passions de ce gouvernement, des faussetés de tous les genres, composa la fausse correspondance dont il s'agit, et que lord Castlereagh présente au parlement d'Angleterre comme base de la détermination d'où résultera la paix ou la guerre.

Les falsificateurs royaux ne supposaient pas que les archives où ils puisaient redeviendraient archives impériales; que le comte de Blacas, dans une fuite précipitée, abandonnerait celles de son maître et ses papiers les plus secrets, et donnerait ainsi les moyens de mettre au grand jour, non-seulement la basse intrigue que nous dévoilons aujourd'hui, mais taut d'autres qui ont employés tant de tems, et tenu une si grande place dans un règne de quelques mois.

Lettre de lord Wellington.

A Paris, ce 4 Janvier, 1815. M. le comte, je vous rends les papiers que vous m'avez laissés, que j'ai lus. Ils ne continnent aucune preuve contre Murat. Ils démontrent seulement qu'il avait pris un parti à regret, qu'il en ressentait chaque jour de plus en plus, qu'il parlait hautement de ses intentions de ne pas faire de mal à

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