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L'état de la question étant changé pour le gouvernement anglais, il jugea qu'il était tems de simplifier le but de la guerre. Il modifia en conséquence le traité par l'addition d'un ar ticle explicatif (Pièce No. 4) portant que l'Angleterre n'entendait pas poursuivre la guerre uniquement dans l'intention d'imposer à la France un gouvernement particulier. Plusieurs motifs sans doute ont pu déterminer le ministère à cette modification; mais le premier de ces motifs est de présenter à la France la personne de V. M. comme séparée de la cause du peuple français. L'Europe sait dès long-tems de quel genre d'intérêt les Bourbons ont à remercier l'Angleterre. Aujourd'hui cette puissance renonce à un déguisement inutile, lorsqu'elle trouve dans ce changement une arme de plus contre V. M. Que lui importe en effet la maison par laquelle la France sera gouvernée, pourvu que cette maison consente à se placer dans sa dépendance? C'est l'honneur de la France, ce sont ses libertés, ses intérêts, ses droits, que le gouvernement anglais attaque et veut atteindre. Si l'article explicatif pouvait être entendu dans un autre sens, s'il pouvait être regardé comme un gage véritable des égards de la cour de Londres pour l'indépendance des peuples, de quel droit cette cour viendrait-elle se placer entre le peuple français et son souverain?

A les

Ce plan d'attaque, imaginé par le ministère britannique, a paru aux cabinets des autres puissances une invention capable de soulever la nation française contre V. M.: dans cette idée, l'article explicatif est devenu pour elles un dogme commun, ou du moins une profession de foi commune. entendre, elles ne prétendent en aucune manière gêner la France dans le choix de son gouvernement; et pour gage de leur sincérité, elles nous en offrent la déclaration solennelle, revêtue même de la signature des plénipotentiaires de Louis XVIII! Elles semblent croire que l'artificieuse distinction qu'elles établissent entre V. M. et la nation française est un de ces traits acérés dont les blessures sont sans remède. C'est cette insignifiante subtilité, ce sophisme banal qui fait maintenant le fond de tous les discours du ministère britannique, le fond de tous les actes du congrès et tous les actes particuliers des diverses cours. Votre Majesté le retrouvera dans plusieurs pièces que j'ai l'honneur de lui soumettre, savoir: 1o. Une lettre du Vicomte Clancarty au Vicomte Castlereagh, datée de Vienne le 6. Mai. (Pièce N°. 5) ;

2o. Une note de M. de Metternich, datée du 9 (Pièce N°. 6);

Et 3°. Une nouvelle déclaration des puissances, en date du 12 du même mois. (Pièce N°. 7).

La lettre du vicomte Clancarty à lord Castlereagh, dont il est ici question, doit son origine à l'une des démarches que j'ai

encore tentées auprès des divers gouvernemens, malgré le peu de succès des premières. Toute relation étant suspendue avec l'Allemagne, et nos courriers se trouvant arrêtés aux frontières, Votre Majesté, plus occupée du véritable intérêt des peuples, qu'attentive aux procédés inusités des princes, m'a permis d'essayer d'autres voies pour ouvrir des rapports avec les minis tres des affaires étrangères de plusieurs souverains. Une nouvelle lettre que j'ai adressée le 16 Avril au prince de Metternich a été arrêtée à Lintz, envoyée à Vienne, et communiquée par le cabinet autrichien aux ministres des autres puissances. Je joins ici cette lettre (Pièce No. 8), dans laqnelle, fidèle interprète des sentimens de Votre Majesté, j'exprimais avec un entier abandon tous les vœux de son âme pour le maintien de la paix et pour le retour de Sa Majesté l'impératrice et du prince impérial. C'est sur cette nouvelle tentative de ma part que roule la dépêche adressée par lord Clancarty à son gouvernement. Dans cette dépêche, comme dans tout ce qui est sorti récemment des cabinets alliés, on ne retrouve encore, à travers de longues circonlocutions, que ces vaines allégations déjà tant de fois répétées, et qui ont pour unique but d'établir que les droits et l'indépendance des peuples sont compromis par le fait seul du retour de V. M. Quels sont donc les monarques irréprochables qui montrent aujourd'hui tant de sollicitude pour les droits et l'indépendance des peuples, lorsque ces droits sacrés n'ont à redouter aucune atteinte ?

Ne sont-ce pas les mêmes princes qui, après avoir appelé toutes les nations aux armes, sous le prétexte de les délivrer du joug de la France, les ont accablées du poids d'une domination plus odieuse que celle qu'ils avaient prétendu détruire?

Ne sont-ce pas les mêmes princes qui, au 31 Mars, lorsqu'il existait encore une armée nationale, tendirent un piége à la nation française, par la promesse de respecter en elle le droit de se donner une constitution, pour lui imposer un gouverne ment sous lequel, au lieu de cette constitution, elle n'eut que la charte qu'il plut à ce gouvernement de lui octroyer?

Ne sont-ce pas les mêmes princes qui, trompant l'espoir qu'ils avaient donné aux Génois du récouvrement d'une existence nationale, ont fait de cette ancienne république une province du roi de Sardaigne?

Ne sont-ce pas les mêmes princes qui, secondés dans leurs efforts contre la France par les états germaniques, ont tenté, pour les récompenser de leurs sacrifices, de les dépouiller de tous les droits de souveraineté que leur assure la bulle d'Or, que leur garantit la paix de Westphalie, et qu'ils ont conservés même dans cette confédération du Rhin, que l'on a représentée comme si oppressive pour eux ?

Ne sont-ce pas enfin ces princes qui, après avoir à Leipsick

tiré tant d'avantages de la défection des troupes saxonnes, ont voulu, pour mettre le comble à la déloyauté de leur politique effacer la Saxe du nombre des nations, et faire descendre du trône le plus vertueux des monarques? Les ministres des affaires étrangères d'Angleterre et d'Autriche n'ont-ils pas, par des notes du 10 et du 22 Octobre, signé la spoliation totale du Nestor des souverains? Et si l'indignation publique a cette fois limité l'injustice, ne lui ont-ils pas cependant enlevé près de la moitié de ses Etats?

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La note du prince de Metternich, du 9 Mai, ne renferme que l'adhésion particulière du cabinet autrichien à l'interprétation donnée au traité du 25 Mars, par l'article explicatif de l'Angleterre.

Quant à la déclaration du 12 du même mois, comme elle est l'ouvrage commun des puissances alliées, il semblerait qu'elle dût ajouter quelque poids à leur première déclaration. La raison s'étonne d'y chercher en vain des motifs qui soient de nature à servir de base à ses conclusions. Tout se réduit à dire que le titre de V. M. à régner sur la France n'est pas légal, parce qu'il ne plaît pas aux puissances de le reconnaître pour tel: en annonçant que l'on respecte la volonté de la France, on se réserve le droit de protester contre l'usage qu'elle en peut faire. Certes, ce droit de protester contre les actes d'une nation serait légitime le jour où l'usage qu'elle ferait de sa liberté attaquerait les droits des autres peuples; mais lorsque qu'immobile dans le cercle qu'on a tracé autour d'elle la nation française ne s'occupe que de ses lois et de ses intérêts domestiques, à quel titre les puissances se croient-elles autorisées à la frapper de l'anathème d'une protestation meurtrière, pour l'application de laquelle ur million d'hommes doit être mis en mouvement?

Pour appuyer les efforts des puissances continentales, la trésorerie de Londres se dispose à salarier les combattans; jamais à aucune époque le gouvernement anglais ne se soumit à des engagemens aussi onéreux. Indépendamment des sommes exorbitantes qu'il se charge de payer aux puissances, indépendamment de l'obligation qu'il contracte de tenir sur pied 50,000 hommes de troupes anglaises, il fournit les fonds nécessaires pour l'entretien séparé de 100,000 hommes de troupes russes et allemandes; ensorte que son contingent doit être considéré comme s'élevant à 150,000 hommes. Seulement dans la manière de le fournir, on retrouve cet usage réprouvé depuis long-tems par l'opinion publique, si déshonorant pour les cabinets mais trop souvent renouvelé par eux, de vendre à l'Angleterre le sang des peuples, et de mettre dans une horrible balance es hommes du continent et les guinées de l'Angleterre. La communication des divers traités de subsides a été faite aux chambres le 22 Mai; elle avait été précédée

d'un message du prince-régent du prince-régent en date du 21, que je joins ici. (Pièce, No. 9.).

V. M. remarquera que ce message est conçu dans le même esprit, et presque dans les mêmes termes que celui du 5 Avril, dernier. On y répète encore que ce sont les événemens qui ont eu lieu récemment en France, en contravention aux traités conclus à Paris, qui motivent des préparatifs d'agression, comme si les traités qui tracent des démarcations de territoire pouvaient prescrire d'autre devoir aux nations que celui de rester dans les limites qui leur sont assignées; comme si les traités conclus à Paris en 1814 avaient pu, imposer au peuple français l'obligation de conserver à jamais la forme de gouvernement qu'il avait à cette époque. Si par le traité du 30 Mai, la France avait subi de pareilles conditions, la France alors eût été asservie, et les suites de cet asservissement, qui aurait porté sur son administration intérieure, n'auraient eu rien d'obligatoire pour elle; mais lorsque même il n'existe aucune stipulation de cette espèce, comment la France, usant d'une faculté qui est sans rapport de dépen'dance et d'analogie avec le droit public, a-t-elle pu enfreindre un traité qui par sa nature et son objet, est renfermé dans les limites de ce droit? La Pologne a offert un exemple éclatant des suites d'une intervention étrangère dans les affaires intérieures d'une nation, et l'on en connaît trop le déplorable dénouement."

Les feintes inquiétudes des alliés sur les suites du retour de V. M., leur zèle apparent pour la défense des nations dont ils sont les seuls oppresseurs, né sauraient tromper la véritable opinion publique. Il est trop évidemment démontré que leur union contre nous a un tout autre principe; qu'elle a un principe, non de résistance, mais d'invasion, et que l'affectation à prévoir des dangers qui n'existent pas, n'est qu'un voile pour couvrir des projets réels d'envahissement.

Il existe, on n'en peut douter, des vues secrètes, des vues hostiles contre l'intégrité de notre territoire, vues habilement déguisées sans doute, mais qui n'ont pu cependant échapper à une juste prévoyance. On sait maintenant, et la correspondance des plénipotentiaires du gouvernement royal au congrès en renferme la preuve, on sait que les cabinets des puissances alliées, au milieu de leurs démêlés pour la démarcation de leurs territoires respectifs, se sont reproché d'avoir signé la paix de Paris. Il semblait qu'ils regrettassent de n'avoir pas pris dans l'Alsace et la Lorraine les bases du règlement de leurs limites en Gallicie. Ce regret des cabinets se transformait pour eux en espoir, et c'est cet espoir qui les a portés à suspendre tout arrangement définitif. La désorganisation intérieure de la France, la dissolution de son armée, son état de dépérissement qu'aggravaient chaque jour les mesures detructives du ministère royal, présentaient le territoire français

comme une proie qui devait, dans un tems plus ou moins prochain, fournir à toutes les prétentions de riches moyens d'accommodement. Le retour de Votre Majesté vient tromper ce calcul. Le projet est déjoué pour jamais, s'il n'est consommé à l'instant même. C'est là le vrai motif qui porte à en précipiter l'exécution. Il serait dérisoire de vouloir persuader que les alliés n'ont d'autre intention que de combattre un principe, un système, un homme, lorsque cet homme, ce principe, ce système sont circonscrits dans un espace limité, au-delà duquel ils ne songent point à s'étendre; on ne fait point marcher d'innombrables armées contre un péril idéal, coutre une chance à venir, mais pour porter des coups actuels, pour créer des chances prochaines dans lesquelles une ambition illimitée puisse trouver à se satisfaire.

L'une des publications les plus extraordinaires que les circonstances ont fait naître est la proclamation du roi de Prusse (Pièce No. 10.) Cette pièce a blessé les cœurs français par le côté le plus sensible. On croirait entendre encore les outrageantes menaces du duc de Brunswick. Vingt années de triomphes n'avaient pas produit en France le degré d'ivresse auquel une année de succès a porté l'orgueil de quelques gouvernemens. Pourquoi' rappeler que les drapeaux prussiens, mêlés aux étendards de l'Europe entière, ont flotté à Paris, quand V. M. ne, veut plus se souvenir qu'une injuste aggression l'a forcé de planter les drapeaux français à Berlin? La question est bien établie entre les étrangers et nous: c'est pour marcher au cœur de l'empire français que le roi de Prusse appelle ses peuples aux armes, tandis que V. M. borne tous ses vœux et attache toute sa gloire à la défense de nos frontières.

Un manifeste de la cour de Madrid, en date du 2 du mois de Mai (Pièce No. 11), présente aussi un trait remarquable. L'état présent des choses n'offrant point à cette cour de juste sujet de plainte, elle va chercher des griefs contre nous jusques dans les premières années de notre révolution. La véritable politique des deux pays ne pouvant que chercher à unir de nouveau leurs intérêts, la France ne doit voir qu'avec peine cette puissance se ranger du côté de nos ennemis,

L'animosité de plusieurs puissances, la rivalité des mesures violentes qu'elles s'empressent d'adopter ne sont pas cependant sans exception.

Au premier rang de ses amis la France peut compter une nation appelée à un grand rôle dans la politique générale, surtout dans la politique maritime, les Américains qui, après une honorable guerre, sont sortis de la lutte par une honorable paix. Le peu de rapports qu'ils ont eu avec le gouvernement royal pendant sa courte existence a suffi pour les convaincre qu'ils n'avaient rien à en attendre; dans leurs discussions avec l'Angleterre, ils l'ont vu favoriser, à leur détriment,

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