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et de l'Europe pour sa liberté, son indépendance, et pour le suc cès des principes pour lesquels la nation verse son sang et s'épuise en sacrifices depuis vingt-cinq ans. Ce n'est pas devant une assemblée composée de Français, que je croirai convenable de recommander les égards dus à l'empereur Napoléon, et de rappeler les sentimens qu'il doit inspirer dans son malheur. Les représentans de la nation n'oublieront point dans les négociations qui devront s'ouvrir, de stipuler les intérêts de celui qui pendant de longues années a présidé aux destinées de la patrie. Je propose à la chambre de délibérer qu'une commission de cinq membres sera nommée, séance tenante; qu'elle sera chargée de se rendre auprès des puissances alliées pour y traiter des intérêts de la France dans les circonstances et la position nouvelle où elle se trouve, et soutenir ses droits et l'indépendance du peuple français. Je demande que cette commission, nommée aujourdhui, puisse partir demain.

Cet avis paraît obtenir le suffrage unanime de la chambre. On procède à l'appel nominal pour la formation d'une commission exécutive.

M. Flaugergues occupe le fauteuil.

Il donne lecture de deux messages de la chambre des pairs qui annonce avoir adopté les résolutions de celle qui déclare la guerre nationale, et qui, sur l'acte d'abdication de Napoléon, prescrit la formation d'une commission de gouvernement.

Sur l'observation de M. Flaugergues, la chambre arrête qu'il sera fait un message à celle des pairs pour lui annoncer que c'est par erreur que dans l'expédition de cette dernière résolution, il est dit que trois des membres de cette commission seront dans la chambre des représentans. Le texte de la résolution portant que ces trois membres seront nommés par la chambre. L'appel nominal étant terminé, le nombre des votans est reconnu de 511. La majorité absolue de 256 voix.

M. Lanjuinais reprend le fauteuil et proclame le résultat du dépouillement du bulletin.

Le comte Carnot a eu 324 voix, le duc d'Otrante, 293; le général Grenier, 204; le maréchal Macdonal, 137; M. la Fayette père, 142; M. Flaugergues, 46; M. Lambrechts, 42. Je proclame M. le comte Carnot et M. le duc d'Otrante, membres de la commission de gouvernement.

On procède à un second scrutin pour la nomination du troisième membre.

Le président annonce qu'après que ce scrutin sera terminé, la séance sera renvoyée au lendemain 10 heures.

Plusieurs membres demandent que la séance reste perma

nente.

Le président.-Il est fait.
L'appel nominal continue.

Lorsqu'il est terminé, on procède au dépouillement du serutin. Le nombre des votans est reconnu de 504, majorité 253.

M. le président.-M. le général Grenier a réuni 350 suffrages. Je le proclame membre de la commission de gouvernement. La chambre a procédé à la nomination des deux membres du gouvernement.

M. le duc de Vicence et M. le baron Quinette ont été nommés et proclamés par le président.

24 Juin, 1815.

Paris, le 23 Juin.

La commission du gouvernement s'est constituée aujourd'hui sous la présidence de M. le duc d'Otrante; elle tient ses séances au palais des Tuileries.

M.le compte Berlier a été nommé secrétaire-adjoint au ministre secrétaire-d'état,

La commission du gouvernement a, par arrêté de ce jour, nommé M. le maréchal prince d'Essling commandant en chef de la garde nationale de Paris; M. le lieutenant-général comte Andréossy, commandant de la 1ère division militaire; et Mle lieutenant-général comte Drouot, commandant de la garde impériale.

Par un autre arrêté, la commission du gouvernement a chargé provisoirement du portefeuille des affaires étrangères M. le baron Bignon; de celui de l'intérieur, M. le général Carnot de Feulins; et de celui de la police générale, M. le comte Pelet de la Lozère.

24 Juin, 1815.

CHAMBRE DES PAIRS.

Suite de la séance en permanence du 23 Juin.

M. le comte Drouot.-Messieurs, mon service ne m'ayant pas permis de me trouver hier matin à la chambre des pairs, je n'ai pu connaître que par les journaux les discours qui ont été prononcés dans cette séance. J'ai vu avec chagrin ce qui a été dit pour diminuer la gloire de nos armes, exagérer nos désastres et diminuer nos ressources. Mon étonnement a été d'autant plus grand que ces discours étaient prononcés par un géneral distingué qui, par sa grande valeur et ses connaissances militaires, a tant de fois mérité la reconnaissance de la nation. J'ai cru m'apercevoir que l'intention du maréchal avait été mal comprise, que sa pensée avait été mal entendue. L'entretien que j'ai eu ce matin avec lui m'a convaincu que je ne m'étais point trompé.

Je vous prie, Messieurs, de me permettre de vous exposer

en peu de mots, ce qui s'est passé dans cette trop courte et trop malheureuse campagne. Je dirai ce que je pense, ce que je crains, ce que j'espère. Vous pouvez compter sur ma franchise. Mon attachement à l'empereur ne peut-être douteux, mais avant tout et par-dessus tout j'aime ma patrie. Je suis amant enthousiaste de la gloire nationale, et aucune affection ne pourra jamais me faire trahir la vérité.

L'armée française a franchi la frontière le 15 Juin. Elle était composée de plusieurs corps de cavalerie, de six d'infanterie et de la garde impériale. Les six corps d'infanterie étaient commandés,

Le 1er par le comte d'Erlon,
Le 2e par le comte Reille,
Le 3e par le comte Vandamme,
Le 4e par le comte Gérard,
Le 5e par le comte Le Marrois,
Le 6e par le comte de Lobau,

Elle rencontra quelques troupes légères en deçà de la Sambre, les culbuta et leur prit 4 à 500 hommes; elle passa ensuite la rivière.

Le 1er et le 2e corps à Marchiennes-au-Pont.

Le reste de l'armée à Charleroy.

Le бe corps, qui était resté en arrière, n'effectua le passage que le lendemain.

L'armée se porta en avant de Charleroy sur la route de Fleurus. Le corps de Vandamme attaqua, vers quatre heures du soir, une division ennemie qui paraissait forte de 8 à 10 mille hommes infanterie et cavalerie soutenue de quelques pièces de canon, et qui se tenait à cheval sur la route de Fleurus.

Cette division fut enfoncée; les carrés d'infanterie furent culbutés par notre cavalerie; l'un d'eux fut entièrement passé au fil de l'épée.

Dans une des charges de cavalerie, la France perdit mon brave et estimable camarade, le général Letort, aide-decamp de l'empereur. (Ici le général s'interrompt un moment: on remarque quelques larmes tomber de ses yeux.)

Nos avant-postes se portèrent sur Fleurus. Le lendemain matin, l'armée française entra dans la plaine de Fleurus, que vingt-un ans auparavant nous avions illustrée par les plus beaux faits d'arines; l'armée ennemie paraissait en amphithéâtre sur un côteau, derrière les villages de Saint-Amand et de Ligny; la droite paraissait s'étendre peu au-delà de SaintAmand, la gauche se prolongeait sensiblement au-delà de Ligny.

Vers midi, le 5e corps d'infanterie, soutenu par son artillerie, attaque le village et s'empare du bois qui le précédait et pénètre jusqu'aux premières maisons.

par

Bientôt il est ramené vigoureusement, Soutenu de nouvelles batteries, il recommence l'attaque, et après plusieurs tentatives très-opiniâtres, il fiuit par se rendre maître du village, qu'il trouva rempli de morts et de blessés prussiens. Pendant ce tems, le 4e corps attaquait le village de Ligny; il y trouva beaucoup de résitance, mais l'attaque fut dirigée et soutenue avec la plus vive opiniâtreté.

Des batteries occupaient tout l'intervalle des deux villages. pour contre-battre l'artillerie que l'ennemi avait placée en regard sur le penchant du côteau.

Je voyais avec complaisance se prolonger cette canonnade à notre avantage. Les troupes destinées à protéger nos batte ries, étant éloignées et masquées par les sinuosités du terrain, n'éprouvaient aucun dommage. Celles de l'ennemi, au contraire, étant disposées par masses et en amphithéâtre, derrière ces batteries, éprouvaient les plus grands ravages. Il paraît que l'intention de l'empereur était de porter une réserve audelà du ravin et sur la position de l'ennemi, aussitôt serious entièrement maîtres du village de Ligny.

que nous Cette manœuvre isolait entièrement la gauche des Prussiens et la mettait à notre discrétion. Le moment de l'exécuter n'est arrivé qu'entre quatre et cinq heures, lorsque l'empereur fut informé que le maréchal Ney, qui se trouvait loin de notre gauche à la tête du 1er et du 2e corps, avait en tête des forces anglaises très-considérables et avait besoin d'être soutenu. S. M. ordonna que huit bataillons de chasseurs de la vieille-garde une grande partie des réserves de l'artillerie se portassent à la gauche du village de Saint-Amand, au secours des deux lers corps; mais bientôt on reconnut que ce renfort n'était pas nécessaire, et il fut rappelé vers le village de Ligny, par lequel l'armée devait déboucher. Les grenadiers de la garde traversèrent les villages, culbutèrent l'ennemi, et l'armée chantant l'hymne de la victoire, prit position au-delà du ravin, sur le champ qu'elle venait d'illustrer par les plus beaux faits d'armes.

J'ignore quels sont les autres trophées qui illustrèrent cette grande journée, mais ceux que j'ai vus, sont plusieurs drapeaux et vingt-quatre pièces ennemies rassemblées sur le même point.

Dans aucune circonstance, je n'ai vu les troupes françaises combattre avec un plus noble enthousiasme; leur élan, leur valeur, faisaient concevoir les plus grandes espérances. Le lendemain matin, j'ai parcouru le champ de bataille: je l'ai vu couvert de morts et de blessés ennemis. L'empereur fit donner des secours et des consolations à ces derniers. ́ Il laissa sur le terrein des officiers et des troupes chargées spécialement de les recueillir..

Les paysans emportaient les Français blessés avec le plus

grand soin. Ils s'empressaient de leur apporter des secours; mais on était forcé d'employer les menaces pour les obliger d'enlever les Prussiens, auxquels ils paraissaient porter beaucoup de haine.

D'après les rapports des reconnaissances, on apprit qu'après la bataille l'armée ennemie s'était partagée en deux; que les Anglais prenaient la route de Bruxelles, que les Prussiens se dirigeaient vers la Meuse. Maréchal Grouchy, à la tête d'un gros corps de cavalerie et des 3e et 4e corps d'iufanterie, fut chargé de poursuivre ces derniers. L'empereur suivit la route des Anglais avec les 1er, 2e et бe corps et la garde impériale.

Le 1er corps qui était en tête attaqua et culbuta plusieurs fois l'arrière-garde ennemie, et la suivit jusqu'à la nuit qu'elle prit position sur le plateau en arrière du village de MontSaint-Jean; sa droite s'étendant vers le village de Braine, et sa gauche se prolongeant indéfiniment dans la direction de Vavres. Il faisait un tems affreux. Tout le monde était persuade que l'ennemi prenait position pour donner à ses convois et à ses parcs le tems de traverser la forêt de Soignes, et que lui-même exécuterait le même mouvement à la pointe du jour.

Au jour, l'ennemi fut reconnu dans la même position. Il faisait un tems effroyable, qui avait tellement dénaturé les chemins, qu'il était impossible de manoeuvrer avec l'artillerie dans la campagne. Vers neuf heures, le tems s'éleva, le vent sécha un peu la campagne, et l'ordre d'attaquer à midi fut donné par l'empereur.

Fallait-il attaquer l'ennemi en position avec des troupes fatiguées par plusieurs journées de grandes marches, une grande bataille et des combats, on bien fallait-il leur donner le tems de se remettre de leurs fatigues, et laisser l'ennemi se retirer tranquillement sur Bruxelles?

que

Si nous avions été heureux, tous les militaires auraient déclaré c'eût été une faute impardonnable de ne pas poursuivre une armée en retraite, lorsqu'elle n'était plus qu'à quelques lieues de sa capitale, où nous étions appelés par de nombreux partisans.

La fortune a trahi nos efforts, et alors on regarde comme une grande imprudence d'avoir livré bataille. La postérité, plus juste, prononcera.

Le 2e corps commença l'attaque à midi. La division commandée par le prince Jérôme, attaquait le bois qui était placé en avant de la droite de l'ennemi. Il s'avança d'abord, et fut repoussé, et n'en resta entièrement maître qu'après plusieurs heures de combat opiniâtre.

Le ler corps, dont la gauche était appuyée à la grande route, attaquait en même tems les maisons de Mont-Saint

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