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qu'on continuat la navigation,ayant pour ressource, en dernier événement, de s'emparer de la croisière française. Elle se composait de deux frégates et d'un brick; mais tout ce qu'on savait de l'attachement des équipages à la gloire nationale, ne permettait pas de douter qu'ils arboreraient le pavillon tricolore et se rangeraient de notre côté. Vers midi, le vent fraîchit un peu A 4 heures après midi, on se trouva à la hauteur de Livourne. Une frégate paraissait à 5 lieues sous le vent, une autre était sur les côtes de Corse, et de loin un bâtiment de guerre venait droit vent arrière à la rencontre dubrick. A 6heurs du soir, le brick que montait l'empereur se croisa avec un brick, qu'ou reconnut être leZéphir monté par le capitaine Audrieux, officier distingué autant par ses talens que par son véritable patriotisme. On proposa d'abord de parler au brick et de lui faire arborer le pavillon tricolore. Cependant l'empereur donna ordre aux soldats de la garde d'ôter leurs bonnets et de se cacher sur le pont, préférant passer à côté du brick sans se laisser reconnaître, et se réservant le parti de le faire changer de pavillon si on était obligé d'y recourir. Les deux bricks passèrent bord à bord. Le lieutenant de vaisseau, Taillade, officier de la marine française, était très-connu du capitaine Andrieux, et dès qu'on fut à portée on parlementa. On demanda au capitaine Andrieux s'il avait des commissions pour Gênes; on se fit quelques honnêtetés, et les deux bricks, allant en sens contraire, furent bientôt hors de vue, sans que le capitaine Andrieux se doutât de ce que portait ce frêle bâtiment!

A

Dans la nuit du 27 au 28, le vent continua de fraîchir. la pointe du jour, on reconnut un bâtiment de 74, qui avait l'air de se diriger ou sur Saint-Florent ou sur la Sardaigne. On ne tarda pas à s'apercevoir que ce bâtiment ne s'occupait du brick.

pas

Le 28, à sept heures du matin, on découvrit les côtes de Noli; à midi, Antibes. A trois heures, le 1er. Mars, on entra dans le Golfe de Juan.

Ce

L'empereur ordonna qu'un capitaine de la garde, avec vingt-cinq honimes, débarquât avant la garnison du brick, pour s'assurer de la batterie de côte, s'il en existait une. capitaine conçut, de son chef, l'idée de faire changer de cocarde au bataillon qui était dans Antibes. Il se jeta imprudemment dans la place; l'officier qui y commandait pour le roi, fit lever les ponts-levis et fermer les portes; sa troupe prit les armes; mais elle eut respect pour ces vieux soldats et pour leur cocarde qu'elle chérissait. Cependant l'opération du capitaine échoua, et ces hommes restèrent prisonniers dans An

tibes.

A cinq heures après midi, le débarquement au golfe Juan était achevé. On établit un bivouac au bord de la mer jusqu'au lever de la lune.

A onze heures du soir, l'empereur se mit à la tête de cette poignée de braves, au sort de laquelle étaient attachées de si grandes destinées. Il se rendit à Cannes; de là à Grasse et par Saint-Vallier, il arriva dans la soirée du 2 au village de Cé néron, ayant fait vingt heures dans cette première journée. Le peuple de Cannes reçut l'empereur avec des sentimens qui furent le premier présage du succès de l'entreprise.

Le 3, l'empereur coucha à Barême; le 4, il dîna à Digne. De Castellane à Digne et dans tout le département des Basses-Alpes, les paysaus instruits de la marche de l'empereur, accouroient de tous côtés sur la route, et manifestaient leurs sentimens avec une énergie qui ne laissait plus de doutes.

Le 3, le général Cambronne, avec une avant-garde de quaraute grenadiers, s'empara du pont et de la forteresse de Sisteron.

Le même jour, l'empereur coucha à Gap, avec dix hommes à cheval et quarante grenadiers.

L'enthousiasme qu'inspirait la présence de l'empereur aux habitans des Basses-Alpes; la haine qu'ils portaient à la noblesse, faisaient assez comprendre quel était le vœu général de la province du Dauphiné.

A deux heures après midi, le 6, l'empereur partit de Gap, et la population de la ville toute entière était sur son passage. A saint-bonnet. les habitans voyant le petit nombre de sa troupe, eurent des craintes et proposèrent à l'empereur de sonner le tocsin pour réunir les villages et l'accompagner en masse. "Non, dit l'empereur; vos sentimens me font connaître que je ne me suis pas trompé. Ils sont pour moi un sûr garant des sentimens de mes soldats. Ceux que je rencontrerai, se rangeront de mon côté, plus ils seront, plus mon succès sera assuré. Restez donc tranquilles chez vous!"

On avait imprimé à Gap plusieurs milliers des proclamations adressées par l'empereur à l'armée et au peuple, et de celles des soldats de la garde à leurs camarades. Ces proclamations se répandirent avec la rapidité de l'éclair dans tout le Dauphiné.

Le même jour, l'empereur vint coucher à Gorp. Les 40 hommes d'avant-garde du général Cambronne allèrent coucher jusqu'à Múre. Ils se rencontrèrent avec l'avant-garde d'une division de 6,000 hommes de troupes de ligne qui venoient de Grenoble pour ́arrêter leur marche. Le général Cambronne voulut parlementer avec les avant-postes. On lui répondit qu'il y avait défense de communiquer. Cependant cette avantgarde de la division de Grenoble recula de 3 lieues et vint prendre position entre les lacs au village de....

L'empereur, instruit de cette circonstance, se porta sur les lieux; il trouva sur la ligne opposée

Un bataillon du 5e de ligne,

Une compagnie de sapeur-,

Une compagnie de mineurs, en tout 7 à 800 hommes. Il envoya son officier d'ordonnance, le chef d'escadron Roul, pour faire connaître à ces troupes la nouvelle de son arrivée; mais cet officier ne pouvait se faire entendre: on lui opposait toujours la défense qui avait été faite de communiquer. L'empereur init pied à terre et alla droit au bataillon, suivi de la garde portant l'arme sous le bras. Il se fit reconnaître et dit, que le premier soldat qui voudrait fuer son empereur le ponvait; le cri unanime de vive l'empereur ! fut leur réponse. Ce brave régiment avait été sous les ordres de l'empereur dès ses premières campagnes d'Italie. La garde et les soldats s'embrassèrent. Les soldats du 5e arrachèrent sur-le-champ leur cocarde et prirent avec enthousiasme et la larme à l'oeil, la cocarde tricolore. Lorsqu'ils furent rangés en bataille, l'empereur leur dit: "Je viens avec une poignée de braves, parce que je compte sur le peuple et sur vous; le trône des Bourbons est illégitime, puisqu'il n'a pas été élevé par la nation ; il est contraire à la volonté nationale, puisqu'il est contraire aux intérêts de notre pays, et qu'il n'existe que dans l'intérêts de quelques familles.-Demandez à vos pères: iuterrogez tous ces habitaus qui arrivent ici des environs; vous apprendrez de leur propre bouche la véritable situation des choses: ils sont menacés du retour des dixmes, des privilèges, des droits féodaux et de tous les abus dont vos succès les avaient délivrés ; n'est-il pas vrai, paysans ?"" Oui, Sire," répondent-ils tous d'un cri unanime," on voulait nous attacher à la terre. Vous venez, comme l'ange du Seigneur, pour nous sauver!"

Les braves du bataillon du 5e demandèrent à marcher des premiers sur la division qui couvrait Grenoble. On se mit en marche au milieu de la foule d'habitans qui s'augmentait à chaque instant. Vizille se distingua par son enthousiasme. "C'est ici qu'est née la révolution, disaient ces braves gens! c'est nous qui les premiers avons osé réclamer les priviléges des hommes; c'est encore ici que ressuscite la liberté française, et que la France recouvre son honneur et son indépendance!"

Quelque fatigué que fût l'empereur, il voulut entrer le soir même dans Grenoble. Entre Vizille et Grenoble, le jeune adjudant major du 7e de ligne, vint annoncer que te colonel Labedoyère, profondément navré du déshonneur qui couvrait la France et déterminé par les plus nobles sentimens, s'était détaché de la division de Grenoble et venait avec le régiment au pas accéléré, à la rencontre de l'empereur. Une demi-heure après, ce brave régiment vint doubler la force des troupes impériales: à neuf heures du soir, l'empereur fit son entrée dans le faubourg de..........

On avait fait rentrer les troupes dans Grenoble et les portes de la ville étaient fermées. Les remparts qui devaient dé.

fendre cette ville étaient couverts par le 3é régiment du génie, composé de 2000 sapeurs, tous vieux soldats couverts d'honovables blessures; par le 4e d'artillerie de ligne, ce même régiment où 25 ans auparavant l'empereur avait été fait capitaine; par les deux autres bataillons du 5e de gue, par le lle de ligne et les fidèles hussards du 4e.

La garde nationale et la population entière de Grenoble était placée derrière la garnison et tous faisaient retentir l'air des cris de vive l'Empereur! On enfonça les portes, et à dix heures du soir l'empereur entra dans Grenoble au milieu d'une armée et d'un peuple animés du plus vif enthousiasme !

Le lendemain, l'empereur fut harangué par la municipalité et par toutes les autorités départementales. Les discours des chefs militaires et ceux des magistrats étaient unanimes. Tous disaient que des princes imposés par une force étrangère u'étaient pas des princes légitimes, et qu'on n'était tenu à aucun engagement envers des princes dont la nation ne voulait pas.

A deux heures l'empereur passa la revue de ces troupes au milieu de la population de tout le département, aux cris: A bas les Bourbons, à bas les ennemis du peuple, vive l'empereur et un gouvernement de notre choix! La garnison de Grenoble, iminédiatement après, se mit en marche forcée pour se porter sur Lyou.

Une remarque qui n'a pas échappé aux observateurs, c'est qu'en uu clin-d'œil ces 6000 hommes se trouvèrent parés de la cocarde nationale, et chacun d'une cocarde vieille et usée, car en quittant leur cocadre tricolore, ils l'avaient cachée au fond de leur sac. Pas une ne fut achetée au petit Grenoble. C'est la même, disaient-ils en passant devant l'Empereur, c'est la même que nous portions à Austerlitz! Celle-ci, disaient d'autres, nous l'avions à Marengo!

Le 9, l'empereur concha à Bourgoin. La foule et l'enthousiasme allaient, s'il était possible, en augmentant. " Il y a long-tems que nous vous attendions, disaient tous ces braves gens à l'empereur. Vous voilà enfin arrivé pour délivrer la France de l'insolence de la noblesse, des prétentions des prêtres et de la honte du joug de l'étranger." De Grenoble à Lyon, la marche de l'empereur ne fnt qu'un triomphe! L'empereur, fatigué, était dans sa calèche, allant toujours au pas, environné d'une foule de paysans chantant des chansons qui exprimaient toute la noblesse des sentimens des braves Dauphinois. "Ah! dit l'empereur, je retrouve ici les sentimens qui, il y a vingt ans, me tireut saluer la France du nom de la grande nation! Oui, vous êtes encore la grande nation, et vous le serez toujours!"

Cependant le comte d'Artois, le duc d'Orléans et plusieurs maréchaux étaient arri, és à Lyon! L'argent avait été pre

digué aux troupes; les promesses aux officiers! on voulait couper le pont de la Guillotière et le pont Morand. L'empereur riait de ces ridicules préparatifs; il ne pouvait avoir de doutes sur les dispositions des Lyonnais: encore moins sur les dispositions des soldats. Cependant, il avait donné ordre au général Bertrand de réunir des bateaux à Mirbel, dans l'intention de passer dans la nuit et d'intercepter les routes de Moulins et de Mâcon au prince qui voulait lui interdire le passage du Rhône. A quatre heures, une reconnoissance du 4e de hussards arriva à la Guillotière et fut accueillie aux cris de vive l'empereur! par cette immense population d'un faubourg qui toujours s'est distingué par son attachement à la patrie. Le passage de Mirbel fut contremandé, et l'empereur se porta au galop sur Lyon à la tête des troupes qui devaient lui en défendre l'entrée.

Le comte d'Artois avait tout fait pour s'assurer les troupes. Il ignorait que rien n'est possible en France quand on y est l'agent de l'étranger, et qu'on n'est pas du côté de l'honneur pational et de la cause du peuple! Passant devant le 13e régiment de dragons, il dit à un brave que des cicatrices et trois chevrons décoraient, allons, camarade, crie donc vive le roi! "Non monsieur, répond ce brave dragon, aucun soldat ne combattra contre son père! Je ne puis vous répondre qu'en criant vive l'empereur! Le comte d'Artois monta en voiture, et quitta Lyon escorté d'un seul gendarme.

A neuf heures du soir, l'empereur traversa la Guillotière presque seul, mais environné d'une immense population.

Le lendemain 11, il passa la revue de toute la division de Lyon, et le brave général Brayer à la tête se mit en marche pour avancer sur la capitale.

Les sentimens que, pendant deux jours, les habitans de cette grande ville et les paysans des environs, témoignèrent à l'empereur, le touchèrent tellement, qu'il ne put leur exprimer ce qu'il sentait, qu'en disant; Lyonnais! je vous aime. C'est pour la seconde fois que les acclamations de cette ville avaient été le présage des nouvelles destinées réservées à la France.

Le 13, à trois heures après midi, l'empereur arriva à Viliefranche, petite ville de quatre mille âmes, qui eu renfermait en ce moment plus de soixante mille. Il s'arrêta à l'Hôtelde-Ville. Un grand nombre de militaires blessés lui furent présentés.

Il entra à Mâcon à sept heures du soir, toujours environné du peuple des cantons voisins. Il témoigna son étonnement aux Mâcounais du peu d'efforts qu'ils avaient faits dans la dernière guerre, pour se défendre contre l'ennemi, et soutenir l'honneur des Bourguignons. "Sire, pourquoi aviez-vous nommé un mauvais maire ?"

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