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27 Mars, 1815.

Paris, le 26 Mars.

Aujourd'hui dimanche 26 Mars, Sa Majesté l'empereur a reçu, avant la messe, au palais des Tuileries, les ministres qui ont été introduits dans le cabinet de Sa Majesté.

Le prince archi-chancelier de l'empire, portant la parole au nom des ministres, a parlé en ces termes :

Sire,

"Les ministres de Votre Majesté viennent vous offrir leurs respectueuses félicitations.

Lorsque tous les cœurs ressentent le besoin de manifester leur admiration et leur joie, nous avons cru devoir consigner nos opinions et l'expression de nos sentimens dans l'adresse que j'ai l'honneur de vous présenter.

"Puisse Votre Majesté accueillir cet hommage de ses fidèles serviteurs, de ses serviteurs si cruellement éprouvés, mais si complettement dédommagés par votre présence, et par toutes les espérances qui s'y trouvent attachées!"

"Sire,

Adresse des ministres de S. M.

"La providence qui vetlle sur nos destinées, a rouvert à V. M. le chemin de ce trône où vous avait porté le choix libre du peuple et la reconnaissance nationale. La patrie relève son front majestueux; elle salue pour la seconde fois, du nom de libérateur, le prince qui détrôna l'anarchie, et dont l'existence peut seule aujourd'hui consolider nos institutions libérales.

"La plus juste des révolutions, celle qui devait rendre à l'homme sa dignité et tous ses droits politiques, a précipité du trône la dynastie des Bourbons; après vingt-cinq ans de troubles et de guerre, tous les efforts de l'étranger n'ont pu réveiller des affections éteintes ou tout-à-fait inconnues à la génération présente: la lutte des intérêts et des préjugés d'un petit nombre contre les lumières du siècle et les intérêts d'une grande nation est enfin terminée.

"Les destins sont accomplis; ce qui seul est légitime, la cause du peuple a triomphé. V. M. est rendue au vœu des Français, elle a ressaisi les rênes de l'état au milieu des bénédictions du peuple et de l'armée.

"La France, Sire, en a pour garans sa volonté et ses plus chers intérêts: elle en a pour garant tout ce qu'a dit V. M. au milieu des populations qui se pressaient sur son passage.

'Les Bourbons n'ont rien su oublier; leurs actions et leur conduite démentaient leurs paroles. V. M. tiendra la sienne, elle ne se souviendra que des services rendus à la patrie; elle prouvera qu'à ses yeux et dans son coeru, quelles qu'aient été les opi

nions diverses et l'exaspération des partis, tous les citoyens sout égaux devant elle, comme ils le sont devant la loi.

"V. M. veut aussi oublier que nous avons été les maîtres des nations qui nous entourent: pensée généreuse qui ajoute une autre gloire à tant de gloire acquise.

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Déjà V. M. a tracé à ses ministres la route qu'ils doivent tenir; déjà elle a fait connaître à tous les peuples, par ses proclamations, les maximes d'après lesquelles elle veut que son empire soit désormais gouverné. Point de guerre au-dehors, si ce n'est pour repousser une injuste aggression; point de réaction au-dedans; point d'actes arbitraires; sûreté des personnes; sûreté des propriétés, libre circulation de la pensée, tels sont les principes que vous avez consacrés.

"Heureux, Sire, ceux qui sont appelés à coopérer à tant d'actes sublimes. De tels bienfaits vous mériteront dans la postérité, c'est-à-dire, lorsque le tems de l'adulation sera passé, le nom de père de la patrie: ils seront garantis à nos enfans par l'auguste héritier que V. M. s'apprête à couronner au champ de Mai."

Signé, Cambacérès, le duc de Gaette, le duc de Bassano, le duc Decrès, le duc d'Otrante, Mollien, Caulaincourt, duc de Vicence; Carnot, le maréchal prince d'Eckmühl.

Réponse de Sa Majesté.

"Les sentimens que vous m'exprimez sont les miens. Tout à la Nation et pour la France! voilà ma dévise.

“Moi et ma famille que ce grand peuple a élevés sur le trône des Français, et qu'il y a maintenus malgré les vicissitudes et les tempêtes politiques, nous ne voulons, nous ne devons et nous ne pouvons jamais réclamer d'autres titres."

S. M. est ensuite passée dans la salle du trône où elle a reçu, environnée de ses ministres et de ses grands-officiers,

Le conseil-d'état

La cour de cassation,

La cour des comptes,

La cour impériale,

Le préfet et le conseil municipal de Paris.

Ces corps ont été introduits dans la salle du trône par S. Exc. le grand-maître des cérémonies, et présentés par S. A. S. le prince archi-chancelier de l'empire.

Le plus ancien président du conseil-d'état, les premiers présidens des cours, et lepréfet de la Seine ont prononcé les discours

suivans:

"Sire,

Adresse du conseil-d'état.

"Les membres de votre conseil-d'état ont pensé, au moment de leur première réunion, qu'il était de leur devoir de professer

solennellement, ies principes qui dirigent leur opinion et les conduite.

"Ils viennent présenter à Votre Majesté, la délibération qu'ils ont prise à l'unanimité, et vous supplier d'agréer l'assurance de leur dévouement, de leur reconnaissance, de leur respect et de leur amour pour votre personne sacrée.”

CONSEIL-D'ÉTAT.

Extraits du registre des délibérations.

(Séance du 25 Mars 1815.)

Le conseil-d'état, en reprenant ses fouctions, croit devoir faire connaître les principes qui font la règle de ses opinions et de sa conduite.

La souveraineté réside dans le peuple, il est la seule source légitime du pouvoir.

En 1789, la nation reconquit ses droits depuis long-tems usurpés on méconnus.

L'assemblée nationale abolit la monarchie féodale, établit une monarchie constitutionnelle et le gouvernement représentatif.

La résistance des Bourbons aux voeux du peuple amena leur chute et leur bannissement du territoire français.

Deux fois le peuple consacra par ses votes la nouvelle forme de gouvernement établie par ses représentans.

En l'an 8, Bonaparte, déjà couronné par la victoire, se trouva porté au gouvernement par l'assentiment national; une constitution créa la magistrature consulaire.

Le sénatus-consulte du 16 Thermidor an 10 nomma Bonaparte consul à vie.

Le sénatus-consulte du 26 floréal an 12 conféra à Napoléon la dignité impériale et la rendit héréditaire dans sa famille.

Ces trois actes solennels furent soumis à l'acceptation du peuple qui les consacra par près de quatre millions de votes.

Ainsi, pendant 22 ans les Bourbons avaient cessé de régner en France; ils y étaient oubliés par leurs contemporains; étran gers à nos lois, à nos institutions, à nos mœurs, à notre gloire, la génération actuelle ne les connaissait que par le souvenir de la guerre étrangère qu'ils avaient suscitée contre la patrie et des dissentions intestines qu'ils y avaient allumées.

En 1814, la France fut envahie par les armées ennemies et la capitale occupée. L'étranger créa un prétendu gouvernement provisoire. Il assembla la minorité des sénateurs et les força contre leur mission et contre leur volonté, à détruire les constitutions existantes, à renverser le trône impérial et à rappeler la famille des Bourbons.

Le sénat, qui n'avait été institué que pour conserver les constitutions de l'empire, reconnut lui-même qu'il n'avait point le pouvoir de les changer. Il décréta que le projet de constitu

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tion qu'il avait préparé serait soumis à l'acceptatiou du peuple, et que Louis-Stanislas-Xavier serait proclamé roi des Français aussitôt qu'il avrait accepté la constitution, et juré de l'observer et de la faire observer.

Non

L'abdication de l'empereur Napoléon ne fut que le résultat de de la situation malheureuse où la France et l'empereur avaient été réduits par les événemens de la guerre, par la trahison et par l'occupation de la capitale; l'abdication n'eut pour objet que d'éviter la guerre civile et l'effusion du sang français. consacré par le vœu du peuple, cet acte ne pouvait détruire le contrat solennel qui s'était formé entre lui et l'empereur, et quand Napoléon aurait pu abdiquer personnellement la couronne, il n'aurait pu sacrifier les droits de son fils appelé à régner après lui.

Cependant un Bourbon fut nommé lieutenant-général du royaume et prit les rênes du gouvernement.

Louis-Stanislas-Xavier arrriva en France; il fit son entrée dans la capitale; il s'empara du trône, d'après l'ordre établi dans l'ancienne monarchie féodale.

Il n'avait point accepté la constitution décrétée par le sénat, il n'avait point juré de l'observer et de la faire observer; elle n'avait point eté envoyée à l'acceptation du peuple; le peuple, subjugué par la présence des armes étrangères, ne pouvait pas même exprimer librement ni valablement son vou.

Sous leur protection, après avoir remercié un prince étranger de l'avoir fait remonter sur le trône, Louis-Stanislas-Xavier data le premier acte de son autorité de la 19e année de son régne, déclarant ainsi que les actes émanés de la volonté du peuple n'étaient que le produit d'une longue révolte: il accorda volontairement, et par le libre exercice de son autorité royale, une charte constinuelle appelée ordonnance de réformation; et pour toute sanction il la lut en présence d'un nouveau corps qu'il venait de créer et d'une réunion de députés qui n'était pas libre, qui ne l'accepta point, dont aucun n'avait caractère pour consentir à ce chaugement et dont les deux cinquièmes n'avoient même plus le caractère de représentans.

Tous ces actes sont donc illégaux. Faits en présence des armées ennemies et sous la domination étrangère, ils ne sont que l'ouvrage de la violence, ils sont essentiellement nuls et attentatoires à l'honneur, à la liberté et aux droits du peuple.

Les adhésions données par des individus et par des fonctionnaires sans mission, n'ont pu ni anéantir, ni suppléer le consentement du peuple exprimé par des votes solennellement provoqués et légalement émis.

Si ces adhésions, ainsi que les sermens, avaient jamais pu même être obligatoires pour ceux qui les ont faits, ils auraieut cessé de l'être dès que le gouvernement qui les a reçus a cessé d'exister.

La conduite des citoyens qui, sous ce gouvernement, out servi l'état, ne peut être blâmée. Ils sont même dignes d'éloges, ceux qui n'ont profité de leur position que pour défendre les intérêts nationaux et s'opposer à l'esprit de réaction et de contre-révolution qui désolait la France.

Les Bourbons eux-mêmes avaient constamment violé leurs promesses; ils favorisèrent les prétentious de la noblesse fidèle, ils ébraulèrent les ventes des biens nationaux de toutes les origines; ils préparèrent le rétablissement des droits féodaux et des dîmes; ils menacèrent toutes les existences nouvelles; ils déclarèrent la guerre à toutes les opinions libérales; ils attaquèrent toutes les institutions que la France avait acquises au prix de son sang, aimant mieux humilier la nation que de s'unir à sa gloire; ils dépouillèrent la légion d'honneur de sa dotation et de ses droits politiques; ils en prodiguèrent la décoration pour l'avilir; ils enlevèrent à l'armée, aux braves, leur solde, leurs grades et leurs honneurs, pour les donner à des émigrés, à des chefs de révolte; ils voulurent enfin régner et opprimer le peuple par l'émigra

tion.

Profondément affectée de son humiliation et de ses malheurs, la France appelait de tous ses vœux son gouvernement national, la dynastie liée à ses nouveaux intérêts, à ses nouvelles institutions.

Lorsque l'empereur approchait de la capitale, les Bourbons ont en vain voulu réparer, par des lois improvisées et des sermens tardifs à leur charte constitutionelle, les outrages faits à la nation et à l'armée. Le tems des illusions était passé, la confiance était aliénée pour jamais. Aucun bras ne s'est armé pour leur défense, la nation et l'armée ont volé au devant de leur libérateur.

L'empereur, en remontant sur le trône où le peuple l'avait élevé, rétablit donc le peuple dans ses droits les plus sacrés. Il ne fait que rappeler à leur exécution les décrets des assemblées représentatives sanctionnés par la nation; il revient régner par le seul principe de légitimité que la France ait reconnu et consacré depuis 25 ans, et auquel toutes les autorités s'étaient liées par des sermeus dont la volonté du peuple aurait pu seule les dégager. L'empereur est appelé à garantir de nouveau par des institutions (et il en a pris l'engagement dans ses proclamations à la nation et à l'armée), tous les principes libéraux, la liberté individuelle et l'égalité des droits, la liberté de la presse et l'abolition de la censure, la liberté des cultes, le vote des contributions et des lois par les représentans de la nation légalement élus, les propriétés nationales de toute origine, l'indépendance et l'inamovibilité des tribunaux, la responsabilité des ministres et de tous les agens du pouvoir.

Pour mieux consacrer les droits et les obligations du peuple

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