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4 Avril, 1815.

MINISTÈRE DE LA POLICE GÉNÉRALE.

Circulaire à MM. les préfets.

Paris, le 31 Mars, 1815.

Monsieur le préfet, il m'a paru nécessaire de déterminer le but et la nature des relations qui vont s'établir entre vous et moi.

Les principes de la police ont été subvertis; ceux de la morale et de la justice n'ont pas toujours résisté à l'influence des passions. Tous les actes d'un gouvernement né de la trahison ont dû porter l'empreinte de cette origine. Ce n'était pas seulement par des mesures publiques qu'il pouvait filétrir les souvenirs les plus chers à la nation, préparer des vengeances, exciter des haines, briser les résistances de l'opinion, rétablir la domination des priviléges et anéantir la puissance tutélaire des lois ce gouvernement, pour accomplir ses intentions, a mis eu jeu les ressorts sécrets d'une tyrannie subalterne, de toutes les tyrannies la plus insupportable. On l'a vu s'entourer de délateurs, étendre ses recherches sur le passé, pousser ses mystérieuses inquisitions jusqu'au sein des familles, effrayer par des persécutions clandestines, semer les inquiétudes sur toutes les existences, detruire enfin par ses instructions confidentielles l'appareil imposteur de ses promesses et de ses procla

mations.

De pareils moyens blessaient les lois et les mœurs de la France: ils sont incompatibles avec un gouvernement dont les intérêts se confondent avec ceux des citoyens.

Chargée de maintenir l'ordre public, de veiller à la sûreté de l'état et à celle des individus, la police, avec des formes différentes, ne peut avoir d'autre règle que celle de la justice; elle en est le flambeau, mais elle n'en est pas le glaive: l'une prévient ou réprime les délits que l'autre ne peut punir ou ne peut atteindre: toutes deux sont instituées pour assurer l'exécution des lois et non pour les enfreindre; pour garantir la liberté des citoyens et non pour y porter atteinte; pour assurer la sécurité des hommes honnêtes et non pour empoisonner la source des jouissances sociales,

Ainsi, Monsieur, votre surveillance ne doit s'étendre audelà de ce qu'exige la sûreté publique ou particulière, ni s'embarrasser dans les détails minutieux d'une curiosité sans objet. utile, ni gêner le libre exercice des facultés humaines et des droits civils, par un système violent de précautions que les lois n'autorisent pas; ni ne se laisser entraîner par des présomptions vagues et des conjectures hasardées à la poursuite de chimères qui s'évanouissent au milieu de l'effroi qu'elles occasionnent. Votre correspondance, réglée sur les mêmes principes, doit sortir de la routine de ces rapports périodiques, de ces aper

çus superficiels et purement moraux qui, loin d'instruire et d'éclairer l'autorité, répandent autour d'elle les erreurs, les préventions, une sécurité fausse ou de fausses alarmes.

Je ne demande et ne veux connaître que des faits, des faits recueillis avec soin, présentés avec exactitude et simplicité, développés avec tous les détails qui peuvent en faire sentir les conséquences, en indiquer les rapports, en faciliter le rapprochement.

Vous remarquerez toutefois que, resserrée dans d'étroites limites, votre surveillance ne peut juger l'importance des faits qu'elle observe. Tel événement, peu remarquable en appa rence, dans la sphère d'un département, peut avoir un grand intêrét dans l'ordre général, par ses liaisons avec des analogues que vous n'avez pu connaître c'est pourquoi je ne dois rien ignorer de ce qui se passe d'extraordinaire ou selon le cours habituel des choses..

Telle est, Monsieur, la tâche simple et facile qui vous est imposée.

La France, réintégrée dans le jouissance de ses droits politiques, replacée dans toute sa gloire, sous la protection de son empereur, la France n'a plus de voeux à former et plus d'ennemis à craindre. Le gouvernement trouve dans la réuniou de tous les intérêts, dans l'assentiment de toutes les classes, une force réelle à laquelle les ressources artificielles de l'autorité ne peuvent rien ajouter. Il faut abandonner les erremens de cette police d'attaque, qui sans cesse agitée par le soupçon, sans cesse inquiète et turbulente, menace sans garantir et tourmente sans protéger. Il faut se renfermer dans les limites d'une police libérale et positive, de cette police d'observation, qui, calme dans sa marche, mesurée dans ses recherches, active dans ses poursuites, partout présente et toujours protectrice, veille pour le bonheur du peuple, pour les travaux de l'industrie, pour le repos de tous.

Ne cherchez dans le passé que ce qui est honorable et glorieux à la nation, ce qui peut rapprocher les hommes, affaiblir les préventions et réunir tous les Français dans les mêmes idées

et les mêmes sentimens.

J'aime à croire, Monsieur, que je serai puissamment secondé de vos lumières, de votre zèle, de votre patriotisme et de votre dévouement à l'empereur.

Agréez, M. le préfet, l'assurance de ma considération distinguée.

Le ministre de la police générale,

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6 Avril, 1815.

Paris, le 5 Avril.

MINISTÈRE DE LA GUERRE.

Récit des événemens qui ont précédé et accompagné la soumission de Bordeaux.

Le lieutenant-général Clausel partit de Paris le 25 Mars pour aller prendre le commandement supérieur de la lle division militaire.

Jusqu'au-delà d'Angoulême, il a vu par-tout flotter le drapeau tricolore, par-tout régnait le meilleur esprit, les villes et les campagnes manifestaient à l'envi leur joie et leur dévouement à l'empereur.

Arrivé le 27 à Angoulême, il s'y était arrêté 24 heures, pour s'instruire de ce qui se passait à Bordeaux d'où les courriers ne partaient plus, pour transmettre des renseignemens et des ordres aux brigades de gendarmerie qui garnissaient la route qu'il allait tenir.

Elles ignoraient encore la vérité des événemens et agissaient sous l'influence de Bordeaux.

Dès qu'elles furent éclairées, elles envoyèrent demander les ordres du général Clausel et se réunirent à la Grolle pour l'attendre et grossir son escorte.

Le général Clausel arriva le 29 au soir à la Grolle.

Il apprit dans la nuit que 22 gendarmes sous le commandement du chef d'escadron Baylin, avaient été envoyés de Bordeaux sur Angoulême pour éclairer la route et qu'ils étaient arrivés à Monlieu.

Le général Clausel résolut d'aller à eux: il les vit, leur parla; ils se réunirent à lui ainsi que venaient de le faire les gardes nationales de tous les villages environnans.

Le 30, le général Clausel coucha à Cavignac; il y apprit qu'environ 200 volontaires, dits royaux de Bordeaux, occupaient Saint-André-de-Cubsac avec deux pièces de canon.

Pendant son séjour à Angoulême, le général Clausel avait dépêché des courriers aux préfets des départeméns de la Gironde, des Landes et des Basses-Pyrénées pour leur transmettre la connoissance de la vérité et les ordres du gouverne

ment.

L'adjudant-commandant Laval, officier d'une grande intelligence et d'une gradde activité, était parti d'Angoulême, lieu de sa résidence, pour aller porter à la garnison de Blaye la connaissance des événemens et les ordres du général Clausel.

Sorti d'Angoulême le 28 à deux heures du matin, l'adjudantcommandant Laval avait pris des chemins détournés à travers un pays encore soumis à l'influence de Bordeaux, mais dont

les habitans étaient généralement bien disposés, il pénétra à Blaye le 29 à neuf heures du soir.

Les portes lui furent ouvertes au nom de l'empereur; la joie éclata dans le peuple et dans la garnison; les couleurs nationales furent arborées partout le 30 au matin. Pendant la nuit, des officiers intelligens avaient été dépêchés à Bordeaux.

Le colonel Georges du 62e, commandant les troupes de Blaye, avait par toute sa conduite mérité toujours les plus grands éloges, et n'avait pas laissé entrer dans la place celui qu'on avait nommé pour le remplacer.

Cent cinquante hommes de la garnison de Blaye se détachèrent pour venir à Saint-André de Cubsac au-devant du général Clausel.

Déjà les nouvelles de Blaye avaient engagé les volontaires bordelais qui occupaient la rive droite de la Dordogne à se replier sur la rive gauche.

Arrivé à Saint-André-de-Cubsac, le général Clausel y trouva le détachement de la garnison de Blaye.

Il l'envoya à Cubsac, avec l'ordre de s'emparer du pont volant qui se tronvait plus près de la rive gauche que de la rive droite: sur celle-ci étaient les volontaires de Bordeaux, qui voulurent s'opposer aux dispositions ordonnées par le général Clausel, ils tirèrent quelques coups de canon, dont tout le résultat fut d'endommager quelques maisons de Cubsac.

N'ayant pu éviter le commencement d'hostilités, le général Clausel voulut au moins les faire promptement cesser: il invita l'officier commandant la troupe bordelaise à venir lui parler.

Celui-ci, M. de Martignac, lui parut un homme de sens et de mérite, ami de son pays, et qui lui fit connaître que les Bordelais n'avaient pris la résolution désespérée de résister que sur les craintes qu'on avait cherché à leur donner, et les vengeances qu'on leur avait annoncées.

Le général Clausel le désabusa sur tous les points, lui fit connaître les intentions bienfaisantes de l'empereur, lui donna tous les détails des événemens, qu'il ne connaissait que d'une manière imparfaite; M. de Martignac lui promit de les communiquer à ses concitoyens.

Deux pièces d'artillerie venues de Blaye avaient été établies par le général Clausel sur la rive droite de la Dordogne.

Les Bordelais avaient quitté la rive gauche; des dispositions furent faites pour le passage et pour pouvoir traverser promptement l'entre deux mers, et se présenter sur la rive droite de la Garonne en face de Bordeaux.

Bordeaux avait rappelé tous ses détachemens, s'était renforcé de la garnison de Libourne, et avait retenu constamment sa propre garnison dans l'intérieur.

Le général Clausel n'avait que deux canons, trente gendarmes et cent cinquante hommes d'infanterie pour en imposer à Bordeaux et y étouffer les germes de la guerre civile.

Le général Clausel fit publier l'ordre du jour ci-après sous le No. I.

Il avait déjà répandu l'adresse sous le No. II, et la proclamation aux troupes sous le No. III.

Le 1er Avril, la petite troupe du général Clausel avait déjà passé de la rive droite à la rive gauche de la Dordogne; it était au moment de passer de sa personne quaud M. de Martignac vint lui porter la lettre ci-après No. IV, à laquelle il fit la réponse sous le No. V.

Cependant la duchesse d'Angoulême faisait les plus grands efforts pour effectuer dans Bordeaux le soulèvement et la résistance. Le général Clausel, arrivé sur la rive droite de la Garonne, la vit passant en revue les gardes nationales. Il fit arborer à sa vue les couleurs nationales à la Bastide. C'est de là qu'il fut témoin de la fusillade qui s'engagea d'une manière si singulière entre la troupe de volontaires royaux qui garnissaient le quai de Bordeaux; un capitaine y a été tué, plusieurs hommes blessés, M. de Puységur, commandant de la garde nationale, a couru de grands risques, le général Clausel faisait tous les efforts et tous les signes possibles pour mettre fin à ce malheureux tumulte.

A cinq heures du soir le pavillon tricolore fut arboré sur le château Trompette. M. le capitaine Martignac revint assurer le général Clausel, que Mme. d'Angoulême s'était décidée à partir dans la nuit, et qu'une députation de Bordeaux le suivrait pour porter des paroles de soumission.

Le lieutenant de gendarmerie Caffard, avait rejoint le géné ral Clausel avec quelques gendarmes.

Ainsi c'est avec moins de 50 gendarmes, 150 fantassins du 62e, commandés par le chef de bataillon Tourni, et 2 pièces de canon, que le 2 Avril le général Clausel est entré dans Bordeaux.

La veille au soir, Mme. la duchesse d'Angoulême s'était einbarquée au-dessus de Pouillac, pour rejoindre au bas de la rivière quelques bâtimens anglais.

Le calme règne dans Bordeaux.

Le maire Lynch est parti avec Mme. d'Angoulême.

No. I.

GOUVERNEMENT DE LA XIE DIVISION MILITAIRE.
Ordre du Jour.

Le général Clausel s'empresse de donner connaissance de sa nomination, par l'empereur, au gouvernement de la 1le division militaire, aux autorités civiles et militaires, aux troupes, gardes nationales et habitans de cette division.

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