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qui se multiplient à mesure que les rapports sociaux s'étendent et grâce auxquels la production sociale atteint des proportions énormes. On cite des faits qui sont miraculeux et qui pouraient étonner autant que que la multiplication des pains. Ce qu'on dit de la fabrication des épingles notammment, est à peine croyable '.

D'où provient la fécondité que la division donne au travail? D'abord l'ouvrier toujours occupé à la même tâche acquiert, par l'habitude, une grande habileté. Cette habileté pratique le conduit quelquefois à inventer des procédés, des mécanismes qui multiplient son action. Qu'étaient Wyat, Lewis, Arkwright, Hargreaves et Crompton? De simples ouvriers employés à la filature du coton. D'un autre côté, n'ayant pas à changer d'occupation, l'ouvrier ne perd pas le temps qu'exige le passage d'une opération à une autre.

En matière d'agriculture, chacun produit ce qui est le plus approprié à la nature de sa propriété; ainsi les denrées gagnent en quantité et en qualité, tandis qu'un sol consacré à des cultures diverses ne donnerait, d'ordinaire, que des produits médiocres et peu abondants. Cette langue de terre qui s'étend entre la Gi

1 Cet exemple est cité par Adam Smith. Dix ouvriers faisant 18 opérations produisaient 48,000 épingles par jour, c'est-à-dire 4,800 chacun. S'ils avaient été obligés de tirer le fil, de le couper, d'aiguiser la pointe, de faire la tête, enfin de suivre toutes les opérations, un ouvrier n'aurait pas produit plus de 20 épingles dans sa journée. J.-B. Say cite des résultats analogues pour la fabrication des cartes. 30 ouvriers peuvent faire, au moyen de la division du travail, 15,500 cartes, c'est-à-dire environ 500 cartes chacun. Un ouvrier, même habile, n'en ferait pas deux s'il devait se livrer successivement à toutes les opérations de la fabrication, opérations qui sont au nombre de 70.

ronde et la mer, et que le monde entier connaît sous le nom de Médoc, ne rapporterait pas la centième partie de ce qu'elle donne, dans les bonnes années, si chaque propriétaire voulait tirer de sa terre sa consommation de blé, de maïs et autres légumes, en même temps que le vin nécessaire à la dépense de sa famille. Au reste, la division du travail est une conséquence inévitable de l'état social; non-seulement elle est utile, elle est aussi nécessaire. Car, c'est précisément l'impuissance ressentie par chacun de se suffire à soi-même qui donne naissance à la société.

La division qui s'opère entre les parties d'un même état s'étend de nation à nation. Chacune se livre à la culture que comporte la nature de son climat, et toutes ces denrées sont ensuite rapprochées par le commerce international.

Aujourd'hui, grâce à cette admirable loi économique, le plus petit bourgeois trouve sur sa table du thé de la Chine, du café de l'île Bourbon, du sucre des Antilles, des oranges de Portugal, des fromages de Hollande, du vin d'Espagne, de la bière d'Angleterre ou de Bavière, des dattes d'Afrique. Il y a loin de cette variété à la simplicité du vieillard que nous dépeint Virgile dans ses Géorgiques :

Seraque revertens

Nocte domum dapibus mensas onerabat inemptis.

Ce n'est pas ici le lieu de demander si le jardinier des bords du Galèse est plus ou moins heureux que le bourgeois de notre temps. Nous n'avons à faire ici ni philosophie, ni poésie. Au point de vue de la ri

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chesse; je n'ai pas besoin de vous dire où est la supé– riorité économique.

Je n'ai jamais entendu faire d'objection à la division de la production agricole; mais on en a élevé beaucoup contre la division du travail, en matière d'industrie manufacturière. Poussée à l'excès, la division fait, dit-on, de l'homme une machine, un engrenage. Quel peut être l'état intellectuel d'un ouvrier qui passe toute sa vie à fabriquer des têtes d'épingles? Même au point de vue de l'abondance des produits, la division extrême a un inconvénient qui compense ses avantages. L'homme condamné à faire continuellement une besogne uniforme perd la fraîcheur au travail que conserve une certaine variété dans les occupations. Ses facultés s'émoussent, son énergie s'affaiblit, et ainsi se perd, au moins en partie, l'avantage de son habileté. Enfin, la division a permis d'employer les femmes et les enfants '; or, c'est un grand mal puisqu'on a, de cette manière, enlevé les femmes à leur ménage et les enfants à l'éducation. C'est la destruction, pour les classes pauvres, de la vie de famille, c'est-à-dire de la plus grande consolation pour les individus, et de la meilleure garantie pour la paix publique.

Il y a du vrai dans ces observations, mais l'exagération y dispute une grande place à la vérité. L'ouvrier est condamné à l'atrophie de l'intelligence par l'uniformité de son travail. Croit-on que son état intel

Dans les fabriques d'aiguilles, ce sont les enfants qui marquent, c'est-àdire qui percent les aiguilles palmées. Dans les filatures, on emploie les enfants pour attacher les fils.

lectuel serait beaucoup plus satisfaisant si, au lieu de passer sa vie à faire des têtes d'épingle, il l'employait à fabriquer des épingles entières? Il le serait beaucoup moins puisqu'en faisant un travail à peu près aussi monotone, il n'atteindrait que de fort maigres résultats. L'ouvrier, dit-on, perd la fraîcheur au travail. Mais cet élément, quelque précieux qu'il soit, n'a pas la puissance des compensations que donne le principe de la division en développant l'habileté et en permettant d'éviter les pertes de temps. Quant à l'emploi des femmes et des enfants, n'a-t-il pas aussi ses avantages à côté de quelques inconvénients? Demandez au père de famille qui, malgré les plus grands efforts, ne gagne pas de quoi nourrir ses enfants, si le supplément de salaire gagné par ses fils est un présent funeste? Au reste, toute attaque contre la division du travail est chose puérile, par la raison bien simple qu'elle est une conséquence forcée de la société et du développement de la civilisation. La division s'étend à mesure que la civilisation se développe, et les objections contre la première sont aussi chimériques que le seraient des objections contre la seconde.

Parmi les causes qui amènent une grande division du travail, il faut placer, en première ligne, l'étendue du marché. Dans les lieux où les consommateurs sont peu nombreux, les ouvriers font plusieurs métiers pour embrasser dans leur industrie le plus grand nombre de consommateurs possible. A la campagne, le même individu est menuisier, vitrier, peintre en bâtiments, tapissier; à Paris et dans les grandes villes, ce sont des industries séparées, parce que le nombre

des consommateurs est assez grand pour alimenter chacune d'elles. La nature de l'industrie concourt au même but, et il est certain que la division du travail se développe d'autant plus que le travail joue un plus grand rôle. En agriculture, la nature entre pour beaucoup dans la production, et le travail n'intervient qu'à la saison des emblavures et au moment de la récolte. Aussi faut-il, pour utiliser les ouvriers dans la période intermédiaire, qu'ils soient aptes à plusieurs travaux. Dans les manufactures, au contraire, le travail étant continu, la spécialisation des ouvriers est le plus profitable système qu'on puisse adopter en tout temps.

La division du travail s'applique aux arts libéraux comme aux travaux de l'industric. Dans nos villages, les médecins traitent toutes les maladies, et joignent souvent à la médecine la pratique chirurgicale. Dans les grandes villes, et surtout à Paris, il y a des médedecins spéciaux, et, en tous cas, il est rare que la pratique médicale ne soit pas séparée de l'art chirurgical. Quoique les avocats soient généralement reconnus aptes à tout plaider et même à tout faire, la spécialité commence à s'introduire au barreau de Paris. Il y en a qui ne plaident qu'aux expropriations pour cause d'utilité publique, et d'autres qui ont la réputation de connaître particulièrement les questions de contrefaçon.

CAPITAL.

Il y a peu de travaux que l'homme puisse faire sans le secours de machines ou d'instruments, A mesure

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