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forts en les divisant. Le maréchal Soult, qui commandait la treizième division militaire, c'est-à-dire une partie de la Bretagne, se laissa entraîner le premier aux séductions de l'Église et de la cour; il avait d'ailleurs sa victoire de Toulouse à expier vis-à-vis de la restauration, à laquelle il n'avait fait qu'une soumission tardive, quoique absolue. On fit agir auprès de lui l'action secrète du confessionnal, et en même temps on le flatta de l'espoir d'un portefeuille de ministre. Il était ambitieux et dévot: il n'hésita pas à donner le déplorable spectacle d'une grande palinodie, en se faisant l'agent officiel de la Vendée royaliste et en prenant sous ses auspices le projet du monument de Quiberon. L'érection de ce monument devait être une insulte à la république française, et le maréchal Soult, naguère républicain, se chargea de rendre cette insulte plus éclatante il proposa, il encouragea luimême une souscription destinée à élever un monument à la mémoire des émigrés morts à Quiberon; lui-même il rédigea l'étrange programme de cette fondation religieuse et perpétuelle en l'honneur des défenseurs du trône et de l'autel; il adressa une proclamation aux Bretons et aux Vendéens, pour les inviter à soutenir avec lui l'éclat de la bannière des lis et à être fidèles à cette devise: le roi et l'honneur. Douze jours après l'insertion de cette pièce au Moniteur, le maréchal Soult en reçut le prix: il fut nommé ministre de la guerre, à la place du général Dupont, qui n'avait point encore assez désorganisé l'armée pour la rendre royaliste. On nomma aussi un nouveau ministre de la marine, et le comte Beugnot succéda au baron Malouet qui venait de mourir. Le maréchal Soult, pour donner des témoignages d'amour et de dévouement à l'auguste famille des Bourbons (ce sont les termes de sa fameuse proclamation), poursuivit l'œuvre royaliste et dévote de son prédécesseur : il brisa la carrière des officiers qui conservaient la religion de leur premier serment et de leur premier drapeau; il persécuta le bonapartisme dans l'armée, où les sociétés secrètes commencèrent à se former, ici pour rappeler l'empereur, là pour résister à la royauté et pour rétablir la république. Ces sociétés secrètes, instituées à l'instar de celles des carbonari d'Italie, furent d'abord silencieuses et inactives: elles ne firent sentir leur présence que par la propagande de leurs idées, encore vagues et contradictoires. Le ministre de la guerre comprenait bien que les soldats et les officiers de l'empereur entretenaient une conspiration latente contre le trône et l'autel de la monarchie; ce fut pour attaquer en face cette conspiration du souvenir et de l'admiration, qu'il fit traduire devant un conseil de guerre le général Exelmans, accusé d'espionnage, d'offense envers

TOME V.

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Louis XVIII et de correspondance avec l'ennemi, pour avoir écrit une lettre au roi de Naples, Joachim Murat, dont il avait été l'aide de camp et dont il restait l'ami. Exelmans fut acquitté; mais le maréchal Soult s'autorisa de cette honteuse affaire pour défendre, par ordonnance, à tout officier général ou particulier, jouissant d'un traitement militaire, de séjourner à Paris sans permission spéciale du ministre. D'un autre côté, Soult, qui se piquait d'être bon catholique, voulut que son exemple eût des imitateurs sous la bannière des lis; non-seulement il assista aux bénédictions de drapeaux, aux messes et aux sermons des Tuileries, aux processions et aux cérémonies religieuses, mais encore il mit la confession à l'ordre du jour de l'armée et ne délivra des brevets d'officier que sur la recommandation des aumôniers. Ce fut un ridicule de plus infligé à la restauration.

Cependant le congrès de Vienne, qui devait changer la carte d'Europe et asseoir sur des bases solides la paix des rois, s'était ouvert le 3 novembre: la France n'avait rien à espérer d'utile ou d'avantageux pour elle dans ce congrès composé de ses ennemis; mais ceux-ci avaient voulu la rendre spectatrice et par conséquent approbatrice du partage des États européens qu'elle venait de perdre en perdant son empereur. Quant à elle, on lui avait laissé ce qu'on ne pouvait lui enlever de territoire et de prépondérance dans le traité du 30 mai. Elle fut donc représentée à Vienne par l'auteur des spoliations et de l'abaissement qu'elle avait subis alors à Paris : le prince de Talleyrand alla au congrès pour jouir du triomphe de sa politique; il était accompagné de Labesnardière, cet habile diplomate qui avait mis la main aux plus heureuses négociations de Napoléon: Louis XVIII, comme s'il ne se fiait pas à la récente fidélité de son Machiavel boiteux, l'avait fait surveiller par trois royalistes éprouvés, Dalberg, La Tour du Pin et Alexis de Noailles. Les quatre grandes puissances alliées, l'Angleterre, l'Autriche, la Prusse et la Russie, avaient admis la France comme témoin et caution du partage de territoires et de sujets qu'elles allaient faire entre elles, en partie à ses dépens et avec les bénéfices de ses conquêtes. Les plénipotentiaires des États secondaires de l'Europe, la Suède, le Danemark, la Hollande, le Wurtemberg, la Bavière, la Saxe, la Suisse, l'Espagne, le Portugal, la Sardaigne, la Sicile, Naples, Rome, etc., étaient là pour ramasser les miettes qui tomberaient de la table des quatre puissances. Le congrès s'ouvrit le 3 novembre, et aussitôt commença entre les parties intéressées une lutte d'adresse, de ruse, d'intrigue et de mensonge. On vit apparaître alors le véritable but de la coalition européenne contre l'empereur: la Russie vou

lait avoir la Pologne; l'Autriche, la Haute-Italie; la Prusse, la Saxe; l'Angleterre, les Pays-Bas et la Hollande. Quant à la France, qui n'avait rien à attendre dans cette distribution d'âmes (on avait décidé, après de longues discussions, qu'on diviserait par âmes et non par lieues carrées les pays à partager), elle ne resta pourtant pas inactive dans les conférences du congrès. Labesnardière, qui semblait inspirer la politique de l'empire, parvint à faire agir dans ce sens le prince de Bénévent et à détacher de la Russie et de la Prusse l'Angleterre et l'Autriche qui, le 3 janvier 1815, signèrent avec la France un traité particulier pour s'opposer à l'agrandissement de ces deux puissances. Ainsi se trouva paralysée l'œuvre du congrès de Vienne. Mais à la suite de ce traité, que lord Castlereagh et le prince de Metternich avaient consenti dans la crainte de voir la Russie et la Prusse prendre trop de prépondérance dans les affaires de l'Europe centrale, Talleyrand essaya en vain de faire triompher le principe de la légitimité monarchique de droit divin: il demandait à l'Autriche et à l'Angleterre de rétablir sur le trône de Naples Ferdinand, roi des Deux-Siciles, et de réunir leurs armes à celles de la France pour expulser Murat comme un usurpateur; l'Autriche et l'Angleterre avaient garanti à Murat sa souveraineté et sa couronne, lorsque Murat eut la faiblesse d'abandonner la cause de Napoléon et de se déclarer contre lui; l'Autriche et l'Angleterre refusèrent nettement d'épouser les intérêts des Bourbons des deux-Siciles, et en même temps, elles se montrèrent déterminées à empêcher les hostilités de recommencer entre la France et Murat. Celui-ci, qu'on peut supposer avoir été dès lors d'intelligence avec le prisonnier de l'île d'Elbe, avait manifesté l'intention de venir attaquer Louis XVIII dans son propre royaume, en se mettant à la tête de trente mille hommes, et Louis XVIII, de son côté, n'était pas éloigné d'envoyer une armée française à Naples pour y opérer la restauration de Ferdinand. L'Autriche, pour arrêter ce conflit qui pouvait rallumer la guerre générale, n'eut qu'à faire dire à Naples et à Paris qu'elle ne souffrirait pas qu'un soldat français ou napolitain passât les Alpes.

Cependant Talleyrand espérait vaincre les scrupules de l'Autriche, en continuant à se faire le défenseur de la légitimité des rois. C'était là le dogme fondamental que les écrivains à gage de la restauration travaillaient à donner pour appui au gouvernement contitutionnel de la France. Il existait une intime solidarité entre l'autorité religieuse et le pouvoir politique. Celui-ci avait cru se fortifier en résumant son principe et son système dans ces deux mots : Dieu et le roi. Louis XVIII

avait cédé enfin à l'influence dominatrice du comte d'Artois et du parti dévot; il n'était ni aveugle ni converti, mais il soumettait son scepticisme philosophique à l'épreuve des événements; car il ne pensait. pas que cette épreuve pût être, dans aucun cas, fatale à la monarchie. Le vicomte de Chateaubriand, qu'on regardait comme l'oracle de la royauté, venait de proclamer en ces termes son opinion, que personne à la cour n'avait garde de contredire « Le roi est fort, très-fort; aucune puissance humaine ne pourrait aujourd'hui ébranler son trône. >> On agissait donc comme si cette royauté de huit mois n'avait rien à craindre, sous l'égide de la religion ou plutôt du cagotisme. Le parti prêtre, dont le comte d'Artois était le chef et qui avait son siége au pavillon Marsan, dans l'aumônerie de la duchesse d'Angoulême, continuait, malgré les promesses solennelles de la charte, à poursuivre la révolution de 89 dans ses actes et dans ses auteurs. A chaque instant, on entendait sortir des chaires, des sacristies et des officines de la presse royaliste un concert d'injures et de menaces contre les détenteurs de biens nationaux et contre les régicides. On appelait ainsi les conventionnels qui avaient voté la mort de Louis XVI, et ce surnom les désignait d'avance à la proscription. Ce fut dans ce but qu'on imagina la cérémonie du 21 janvier. Louis XVI et MarieAntoinette, après leur exécution, avaient été inhumés dans un coin de l'ancien cimetière de la Madeleine: on ne devait guère présumer que leurs corps, recouverts de chaux vive, eussent laissé des vestiges reconnaissables. On fit pourtant des fouilles à l'endroit supposé où cette double inhumation avait eu lieu, et l'on découvrit quelques ossements, qui furent transportés dans les caveaux vides de Saint-Denis avec toute la pompe des obsèques royales, le jour même anniversaire de la mort de Louis XVI. Peu de jours auparavant, comme pour protester contre l'esprit de cette cérémonie funèbre, à laquelle le peuple de Paris ne s'associa point, ce peuple ému et indigné avait fait cortége au cercueil d'une actrice célèbre du Théâtre-Français, mademoiselle Raucourt, que le curé de Saint-Roch refusait de recevoir dans son église on enfonça les portes de Saint-Roch, le cercueil fut transporté par cent bras au milieu du choeur, et un prêtre se trouva là, par bonheur, pour dire les prières des morts et pour calmer ainsi l'irritation de la foule, qui commençait à se soulever contre l'intervention de la force armée. On prétendit que Louis XVIII avait envoyé ce prêtre, et le pavillon Marsan, les Suisses. Il y avait dans la population, à Paris comme dans la province, un mécontentement général, une anxiété croissante. Le voyage officiel que le comte d'Artois avait fait dans

les départements du Midi, durant les derniers mois de 1814, fut, grâce aux actives manœuvres de ses partisans, une sorte d'ovation continue qui excita, dit-on, la jalousie et même la défiance de son frère l'antagonisme faillit se ranimer entre eux comme à l'époque des états généraux de 89; mais tout ce fracas d'enthousiasme, d'amour et de dévouement des royalistes couvrait à peine les murmures de la nation, qui avait honte de retomber sous le joug de l'aristocratie et du clergé.

Ces murmures, Napoléon les avait entendus dans son exil de l'île d'Elbe, et ses regards, comme sa pensée, ne cessaient de se tourner vers la France. Dans cette petite île où la coalition de l'Europe l'oubliait, tandis que le gouvernement des Bourbons retenait les arrérages de la modique pension que lui avait assignée le traité de Fontainebleau, il laissait ce gouvernement se détruire et s'annihiler luimême par ses actes impolitiques et ses tendances antinationales. Il suivait avec joie dans les journaux ultra-royalistes les progrès de cette réaction impatiente qui s'attaquait sans cesse à un passé glorieux et regretté. Voilà comment il conspirait, seul à Porto-Ferrajo, dans un salon délabré où apparaissaient de loin en loin quelques visiteurs français et étrangers que l'admiration amenait auprès de lui. L'empereur a expliqué cette conspiration de son génie, en disant à son retour de l'île d'Elbe: « Je suis venu, sans intelligences, sans concert, sans préparation aucune, tenant en main les journaux de Paris et les discours de M. Ferrand. » Il avait seulement les vœux et les espérances de la majeure partie de la population, de celle qui avait été mêlée à ses victoires et à la prospérité de son règne; il savait aussi qu'un grand nombre de ses officiers et de ses compagnons d'armes ne demandaient qu'à verser son sang pour lui. Quatre généraux, Lefebvre, Desnouettes, d'Erlon et les deux frères Lallemand s'étaient réunis, vers la fin de janvier, pour aviser aux moyens de replacer l'empereur sur le trône; Maret, duc de Bassano, avait été averti de ces pourparlers de complot militaire, et quelques autres bonapartistes, comme on les appelait avec dédain, commençaient à préparer des plans d'insurrection. Il y avait aussi, dans l'armée, sous prétexte de francmaçonnerie, des associations secrètes chez lesquelles le nom de Napoléon servait de mot de ralliement. Mais tout cela était encore vague, confus et morcelé ; la police, qui sentait monter et s'étendre sourdement une sorte d'émotion napoléonienne, en cherchait inutilement la source et les propagateurs; ce n'étaient pas quelques brochures, quelques chansons, quelques épigramme, quelques caricatures, qui pou

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