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lonaise contre toutes les forces de l'empire russe : deux principes rivaux étaient en présence d'un côté, l'absolutisme d'un souverain; de l'autre, l'indépendance d'un peuple.

Avant que la nouvelle de la révolution polonaise parvînt à Paris, les esprits y étaient préoccupés particulièrement de la question belge; la réunion de la France à la Belgique avait les sympathies du pays, et plusieurs fois, à la tribune de la chambre des députés, elle fut chaleureusement réclamée par les orateurs les plus populaires de la gauche. Louis-Philippe ne la désirait pas moins, depuis qu'il entrevoyait la possibilité de faire monter un de ses fils sur le trône de la Belgique; mais il pressentait, de la part de l'Angleterre, une opposition d'autant plus vive, que lord Wellington avait demandé que les traités de 1815 fussent maintenus à l'égard du territoire belge, qu'ils annexaient au royaume des Pays-Bas. Ces traités de 1815, que le roi des Français avait promis secrètement aux grandes puissances de respecter autant que possible, étaient souvent discutés dans le conseil des ministres les uns eussent voulu les déchirer, et la crainte d'une guerre générale ne suffisait pas pour arrêter ce sentiment patriotique; les autres insistaient hautement sur la nécessité de n'y pas porter la main, sous peine de mettre l'Europe en feu. Le roi ne se prononçait pas. Ce n'était pas le seul sujet de débats, de contradictions et d'antagonisme qui existait dans le sein du cabinet, composé des différentes nuances de l'opinion libérale. Ces débats devenaient chaque jour plus irritants et moins conciliables; les contradictions naissaient à chaque pas, l'antagonisme prenait le caractère le plus hostile. Ce ministère de coalition ne pouvait avoir une longue durée; les tiraillements continuels, qu'il éprouvait à chaque séance du conseil, communiquaient à toute l'administration un ébranlement et un désordre inévitables. Enfin, le roi ne s'opposa plus à la séparation des membres hétérogènes de ce cabinet qui s'était scindé en deux partis, comme la chambre elle-même, celui de la résistance et celui du mouvement. Le parti de la résistance, quoiqu'il eût les préférences marquées de Louis-Philippe, céda le pouvoir ou parti du mouvement. On prétendit que cette division était née d'un conflit entre le ministre de l'intérieur et le préfet de la Seine: celui-ci, appuyé par Dupont de l'Eure dans le conseil et par Lafayette vis-à-vis du public, l'emporta sur son supérieur. Guizot ne voulut pas souffrir que l'autorité reçût un échec entre ses mains : il envoya sa démission au roi. Trois autres ministres à portefeuilles, de Broglie, Molé et Louis, ainsi que trois ministres sans portefeuille, Casimir Périer, Dupin aîné et Bignon, s'associèrent

à la politique de résistance, que personnifiait Guizot, et se retirèrent avec lui. Dupont de l'Eure et Laffitte, restés maîtres de la position, recomposèrent le ministère, avec l'intention de le rapprocher de l'extrême gauche; Dupont de l'Eure gardait le département de la justice; Sébastiani, celui de la marine; Gérard, celui de la guerre; Lafitte, nommé président du conseil, se réserva les finances; il donna le portefeuille de l'instruction publique et des cultes à Mérilhou; le portefeuille de l'intérieur, au comte de Montalivet; le portefeuille des affaires étrangères, au maréchal Maison. Ce ministère, créé le 2 novembre, manquait sans doute d'équilibre et d'harmonie ; car, dix jours après, il fut encore remanié par suite de la retraite du général Gérard et du maréchal Maison. Sébastiani passa de la marine aux affaires étrangères; le comte d'Argout prit la marine à sa place, et le maréchal Soult devint ministre de la guerre. Ces modifications ministérielles n'eurent pas lieu sans produire une vive secousse dans la chambre des députés (5 novembre), où l'on vit se former à la fois deux oppositions, celle de l'extrême gauche, républicaine ou ultralibérale, et celle de la gauche, constitutionnelle. Le chef de cette dernière opposition, Guizot, expliqua en ces termes sa sortie du ministère «Nous avons voulu continuer la révolution telle qu'elle était dans son origine; nous avons voulu rester fidèle à cette espèce de conciliation et de modération, à ce ménagement de tous les intérêts, à ce balancement impartial entre le passé et le présent, qui avaient présidé à nos premiers actes. » D'après cette déclaration et d'autres du même genre, on devait supposer que le nouveau ministère allait satisfaire le parti du mouvement, et cependant ce parti manifestait ses défiances et ses inquiétudes par l'organe de Mauguin et du général Lamarque, qui semblait avoir hérité du talent oratoire et de la popularité du général Foy. Benjamin Constant eut le chagrin de ne pouvoir se réunir ouvertement à ses amis; il prévoyait déjà l'avortement ou plutôt l'aplatissement de la révolution de juillet; il gémissait d'être réduit désormais à la neutralité et à l'impuissance, par les services particuliers qu'il avait reçus de la bienveillance intéressée du roi; il cherchait encore à se faire illusion et à couvrir sa défection d'un masque de bonne foi: «J'ai toujours pensé, dit-il dans un discours qui fut comme son dernier soupir, que la république était impossible dans l'état des esprits, dans l'état industriel, mercantile, militaire, géographique de la France. » Ce n'était point assez d'avoir, de sa main républicaine, imprimé un stigmate d'impossibilité à la république; il lui porta un coup plus terrible, en déclarant que

les hommes généreux et irréprochables, qui avaient été séduits par le côté généreux de la république, voulaient comme lui « la meilleure des républiques, un gouvernement constitutionnel sous un roi patriote, sous un roi sincère, sous un roi courageux, qui les défendrait, qui défendrait l'intégrité du sol et la gloire de la France; sous un roi constitutionnel qui respectera et élargira nos libertés. » Benjamin Constant ne se consola pas d'avoir parlé ainsi; morne et accablé, il ne prit plus aucune part aux travaux de la chambre; il se disait que sa carrière politique était close désormais par un démenti solennel donné à ses convictions, à sa vie entière : une amère tristesse acheva de détruire les fragiles restes d'une santé délabrée; l'agonie morale ne tarda pas à déterminer l'agonie physique; dans les premiers jours de décembre, on apprit tout à coup qu'il était malade d'épuisement, selon les médecins; il mourut le 8, en se reprochant d'avoir coopéré à la meilleure des républiques. « Les mourants ne lisent que trop dans l'avenir!» dit-il douloureusement. La perte de cet éloquent orateur, de cet habile écrivain, de ce grand citoyen, fut profondément sentie dans toutes les classes de la population parisienne: on avait résolu de lui décerner spontanément les honneurs du Panthéon, que la révolution de juillet rouvrait aux grands hommes, mais on se borna, en attendant que la patrie reconnaissante eût été décrétée par une loi, à porter son buste dans le temple futur des gloires de la France, tandis que soixante mille citoyens en deuil accompagnaient au cimetière de l'Est le cercueil qui renfermait la première victime de la monarchie de 1830.

Cette mort d'un illustre défenseur de la liberté fit plus de bruit que celles du roi de Naples, François Ier (8 novembre), et du pape Pie VIII (30 novembre), qui sortirent du monde politique sans y causer la moindre secousse. On commençait à prévoir le jour peu éloigné où la révolution de juillet mentirait à toutes ses promesses. Le ministère, qui s'était formé si laborieusement avec une pensée de mouvement ou de progrès, n'avait pas une base solide dans la majorité de la chambre élective; vainement, sa création, menaçante pour le parti de la résistance, avait-elle eu son contre-coup à Londres, en faisant tomber le ministère tory de Wellington, et surgir un ministère wigh sous la présidence de lord Grey, le parti de la résistance semblait grandir et se fortifier dans la chambre des députés : deux des ministres français démissionnaires, Casimir Périer et Dupin aîné, avaient été élus, le premier, président, le second, vice-président de cette chambre. On ne croyait donc pas que le ministère, qui avait la pré

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