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la beauté, des talens et de l'industrie, ne seraient-ils pas mille fois plus heureux d'être nés dès le principe au sein d'une pauvreté déclarée !

La loi est donc essentiellement injuste dans sa rétroactivité. Elle menace de causer un mal que jamais le Droit d'Aînesse n'a produit, même à l'époque de son institution. Car ne s'établissant que sur des biens usurpés, il a blessé l'équité générale et le droit public, en rendant héréditaires dans des familles particulières, des fiefs et des dignités amovibles et temporaires : mais il n'a fait violence à aucun intérêt particulier; il n'a rien coûté à la famille, il n'a coûté qu'à l'Etat.

§. 14.

Vice de la Loi dans sa trop grande généralité..

Si du moins le droit d'Ainesse n'était rétabli que tel qu'il était dans son origine : entre nobles, pour le partage de biens nobles (1)! il en résulterait encore un mal politique (2`, unelésion constitutionnelle; mais enfin la masse de la nation propriétaire ne serait pas troublée dans ses intérêts civils par une Loi qui n'aura pour les familles non nobles, que des désavantages réels, sans leur offrir aucune des compensations que la même Loi comporte pour les familles nobles et titrées. C'est là que chacun s'écrie point de droit d'Ainesse, ou du moins, gardez-le pour vous et chez vous.

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Ici le projet couvre nécessairement unearrière pensée : car à qui persuadera-t-on que, du sein des idées nobilières qui ont suggéré ce

(1) Telle était notamment la coutume de Paris. Les biens, roturiers se partageaient également entre tous les héritiers. Art. 327. On n'y connaissait pas l'Ainesse bourgeoise.. (2) Hors les cas spécifiés sous le § 7.

projet, on ait voulu sérieusement communiquer le privilége aristocratique à toutes les familles non nobles, imposées à plus de cent écus!

Déjà plusieurs journaux, et surtout le journal des Débats (1) ont remarqué qu'en ce sens « le projet de Loi menacerait la noblesse en >> créant au profit des classes industrieuses et >> commerçantes des moyens de perpétuité qui >> feraient de ces riches sans illustration et sans » titres, des rivaux singulièrement redoutables » pour la classe décorée de titres impuissans, » et souvent dépossédée des héritages pa>> ternels. »

Un anonyme que j'ai déjà cité sous le § 7 fait une autre réflexion moins relevée, mais où il y a plus de positif. « La noblesse, dit-il, à laquelle les préjugés qui la constituent défendent (2) de prendre part au mouvement industriel créateur de la prospérité publique et des fortunes particulières, ne pouvait se soutenir que par des mariages, produit de la vanité (3), qui transportaient les fruits du

(1) No, du 5 février.

(2) A peine de dérogeance.

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(3) C'est aujourd'hui que je m'encanaille, dit le Marquis de Montcalm, en parlant de son mariage avec la riche héritière de la maison Abraham et Ce, dans l'Ecole des Bourgeois, qui en ont toujours ri, et n'en profitent guère.

travail des producteurs dans les mains des dissipateurs; mais cet ordre de choses qui existait depuis deux cents ans, va cesser. Puisque, par votre Loi, vous répandez l'aristocratie dans tous les rangs de la société, croyez-vous qu'elle n'y trouvera pas aussi de la vanité et des prétentions? Croyez-vous que chaque homme ne tienne pas à son nom, et ne le trouve pas aussi bon que celui d'un autre? On fera des aînés, puisque vous y invitez; et les filles des capitalistes étant réduites comme les vôtres à leur légitime,ne vous offriront plus une ressource pour soutenir des fortunes qui ne peuvent long-temps se maintenir, si elles ne sont pas alimentées par les résultats du travail. »

Mais ne nous tenons pas au haut de cette échelle; descendons un peu plus bas, et demandons-nous, si l'on a aussi prétendu maintenir dans leur splendeur actuelle, ces héros de la petite propriété, ces pères de famille payant 300, 320 ou 350 fr. d'impôts, à l'égal de celles des messires, des écuyers et des gentilshommes campagnards, composant ce que l'aristocratie elle-même a nommé la petite noblesse, pour correspondre à ce qu'elle a aussi appelé le bas clergé, et dont plusieurs ne paient aussi que cent écus, ou très-peu de chose avec.

Se fait-on bien une idée de ces aînés de village, qui, exerçant leur privilége rural dans une ferme qu'ils cultivent avec leurs boeufs ou le cheptel d'un propriétaire plus riche qu'eux, s'appelleront fraternellement Claude, Blaise ou Jeannot? noms excellens sans doute et respectables en eux-mêmes, quand ils sont l'équivalent de Marie, de Françoise et de Jeannette; mais ridicules quand on y attachera des idées de privilége et d'aristocratie! et cela dans l'espoir touchant prétexté par les ministres, que l'un des trois du moins sera électeur... et viendra voter avec indépendance pour un candidat qui ne sera point ministériel ?...

Mais voyons la chose dans tout son sérieux. Le projet ne devient pas seulement ridicule, ici il a ses dangers particuliers.

Dans la haute aristocratie, le Droit d'Aînesse est pleinement compensé au profit des cadets et des filles, par la haute protection que leur offre l'aîné. Les cadets d'un Montmorency, d'un Rohan, d'un Damas, d'un Chatelux, peuvent entrer dans l'église, dans la robe ou dans l'armée; ils sont bien sûrs de, n'y pas rester aux derniers grades et d'y trouver indemnité.

Pour la noblesse inférieure, il existe aussi des seconds et des troisièmes rangs, des cures

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