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Le décret du 7 avril 1860 n'a pu avoir pour effet d'abroger les dispositions des articles 258 et 259 C. Com. et de créer pour les armateurs, en cas de naufrage, l'obligation de payer des frais de rapatriement sur les frets gagnés dans les voyages antérieurs au sinistre (1).

(ADMINISTRATION DE LA MARINE CONTRE MOURAUD).

Nous avons rapporté ci-dessus, p. 42, un jugement du Tribunal de Commerce de Nantes rendu dans le même sens le 29 juillet 1868.

Précédemment et à la date du 27 mai, le même Tribunal avait jugé la question conformément aux mêmes principes.

Le Tribunal,

JUGEMENT.

Vu l'assignation en date du 22 février 1867, par laquelle l'administration de la Marine, agissant pour l'Etat et pour la caisse des gens de mer, appelle devant ce Tribunal Mouraud, négociant à Nantes, armateur du navire le Saint-Julien, pour;

Attendu que le Saint-Julien, dont Mouraud était armateur, après avoir fait, depuis son armement à Nantes, plusieurs voyages dans lesquels des frets ont été gagnés, a fait naufrage en mer le 4 mai 1866;

Que l'équipage a été recueilli par le navire anglais Jane-aBishop, qui l'a ramené sain et sauf en Angleterre ; que l'administration de la Marine a, par l'intermédiaire du consul de France à Liverpool, remboursé à l'armateur du navire anglais une somme de 1,065 fr. qui lui était due pour frais de nourriture de l'équipage du Saint-Julien ;

Attendu que l'administration a déboursé, en outre, une

(1) Voy. dans le même sens ci-dessus, p. 42 et la note.

Il résulte d'une note du journal de jurisprudence de Nantes auquel nous empruntons cette décision, que le Tribunal a rendu le 27 mai six jugements dans ce sens.

somme de 234 fr. 96 c. pour les frais de nourriture, de rapatriement et de conduite de l'équipage; que l'armateur est tenu de rembourser ces dépenses;

S'entendre condamner à payer la somme totale de 1,296 francs 96 c. pour les causes ci-dessus énoncées, avec les intérêts de droit;

Vu les pièces et documents de la cause, et après en avoir délibéré conformément à la loi;

Attendu que les actes du pouvoir exécutif, décrets ou ordonnances ne sont que des règlements d'application et d'exécution des lois et ne peuvent avoir d'autre valeur, ainsi que l'a reconnu la Marine en plaidant, que celle qu'ils tirent de ces lois elles-mêmes;

Que ce n'est donc pas dans le décret du 7 avril 1860 qu'il faut chercher le fondement de la prétention de la Marine, mais dans le Code de Commerce qui est la loi qui règle les rapports des armateurs et des capitaines avec les gens de mer;

Attendu que, si l'on étudie, non pas en les détaillant et d'une manière isolée, mais dans leur liaison et dans leur ensemble les articles 252 à 270 du Code de Commerce, on voit que, lorsque la cessation de services du matelot a lieu par le fait des propriétaires, capitaines ou affréteurs, sans qu'il y ait faute à imputer au matelot, le législateur dispose qu'il sera indemnisé de ses frais de retour et de conduite (articles 252 et 270);

Qu'au contraire, lorsque les services du matelot doivent cesser par suite d'un événement de force majeure qui les rend sans objet, interdiction de commerce, prise, bris ou naufrage total du navire (articles 254 à 258), la loi est muette sur le rapatriement et sur la conduite;

Qu'il suffit de ce simple rapprochement pour démontrer que si, dans les cas où cela semblait ne devoir faire aucun doute, le législateur a tenu cependant à édicter que les frais

de retour et de conduite seraient payés au matelot, et qu'il ne l'ait pas édicté dans les autres, c'est que, dans ces autres cas, il n'entendait pas que le matelot pût recevoir aucune conduite de retour;

Qu'en effet, cette pensée du législateur se dégage clairement des articles 254 et 258; que la force majeure a brisé le contrat entre le navire et le matelot et délié l'un et l'autre de leurs obligations réciproques;

Que le matelot reprend dès lors la libre disposition de sa personne et de ses services, et que, s'il en rend par la suite en sauvant les débris et les effets naufragés, il en est payé à titre particulier, suivant les journées qu'il y a consacrées ( article 261);

Que, lorsque le contrat est ainsi rompu par une force majeure, la pensée de la loi a été si loin d'attribuer au matelot une indemnité quelconque, que, même dans le cas, cependaut bien digne d'intérêt, où il est pris dans le navire et fait esclave (article 266), ses loyers cessent de courir et se règlent, et il ne peut prétendre aucune indemnité pour son retour;

Attendu que cette interprétation et cette autorité du Code de Commerce sont pleinement confirmées par la législation antérieure; qu'en effet, les dispositions du Code dont est cas sont la reproduction textuelle de l'ordonnance de la Marinc de 4681;

Qu'envisageant le cas particulier de naufrage, lorsqu'il est sauvé des débris ou des marchandises, l'ordonnance de 4743, spéciale à la conduite des gens de mer, dispose, dans son article 8, que les frais de retour et de conduite des marins seront payés sur le produit des débris, agrès et apparaux et sur le fret des marchandises sauvées, tant qu'il y aura des fonds de ce produit;

Que Valin commente en ces termes cette disposition :

En cas de naufrage des navires, le produit des débris et du fret des marchandises sauvées sera distribué entre les gens

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de l'équipage, à proportion de ce qui leur sera dû pour leurs loyers et les frais de leur retour, et, en cas d'insuffisance, ils toucheront, par contributions, au sol la livre: c'est le sens de l'article 8;

Et plus loin:

En cas de naufrage, on sent bien qu'il ne lui est pas dû de conduite autrement que sur le produit des débris et du fret, puisqu'il n'a pas même de gages à prétendre contre le propriétaire du navire personnellement et sur ses autres biens;

Que cette disposition de l'ordonnance a été consacrée et textuellement reproduite par l'article 7 de l'arrêté de germinal an XII;

Que, beaucoup plus tard, l'ordonnance royale du 12 mai 1836, qui règle le tarif du rapatriement et de la conduite des matelots, en visant spécialement dans son préambule les articles 4 et 7 de l'arrêté de germinal an XII, affirme encore que ces frais ne sont imputables aux armements que dans la limite prévue par l'ordonnance de 1743;

Qu'il est donc constant aujourd'hui, comme il l'a été de tout temps, d'après la législation ancienne, l'enseignement des auteurs et la pratique invariable du commerce maritime, qu'en cas de rupture du voyage par force majeure, aucune indemnité n'est due au marin pour frais de rapatriement et de conduite, sauf dans le cas spécial du naufrage, lorsque la valeur des débris et le fret des marchandises sauvées sont suffisants pour les payer;

Que les expressions : « marchandises sauvées», ne peuvent s'entendre autrement que des marchandises sauvées du naufrage; car, dans l'article 8 de l'ordonnance de 1743 comme dans les articles 258 et 259 du Code de Commerce, il n'est question de marchandises sauvées que dans l'hypothèse prévue du naufrage ;

Que ces idées de naufrage et de sauvetage sont donc intimement associées, et que ce serait faire une véritable violence

1869. 2 P.

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au langage et à la loi que de vouloir comprendre, dans les marchandises sauvées, toutes les marchandises qui, dans les voyages précédents du navire, sont heureusement arrivées à destination;

Attendu que cette vérité légale, que les armements ne sont tenus des frais de retour et de conduite ainsi que des loyers de la dernière traversée que jusqu'à concurrence du produit des débris du navire et du fret des marchandises sauvées du naufrage, est attestée et démontrée par la Marine ellemême;

Qu'elle reconnaît, en effet, dans la circulaire ministérielle. du 10 avril 1860, qui accompagnait l'envoi à ses fonctionnaires du décret du 7 avril, que, jusqu'à ce jour, les frais de rapatriement et autres n'étaient garantis, en cas de naufrage, que par les débris du navire et le fret des marchandises sauvées, d'où il résultait que le Trésor était trop souvent obligé de subvenir à l'insuffisance des deux produits, mais qu'il n'en sera plus ainsi désormais;

Attendu qu'en présence d'une législation spéciale aussi positive et aussi incontestée sur la matière, il devient inutile. de rechercher si elle est ou non conforme aux principes généraux du droit commun, et s'il est de l'essence du contrat de louage de services que les marins soient rapatriés, quoi qu'il arrive, aux frais des armateurs ;

Que, d'ailleurs, il est impossible de trouver aucun texte qui constitue et définisse les conditions prétendues essentielles du contrat de louage de services;

Qu'il résulte au contraire de l'article 1784 du Code Napoléon, que ce contrat est entièrement déterminé par les conventions des parties;

Que si, par des considérations d'humanité et de bienveillance et dans certaines circonstances particulières d'espèces, il peut être jugé que le maître qui a emmené au loin son serviteur, soit obligé de le rapatrier, il ne s'ensuit pas que cela doive être érigé en règle essentielle et générale ;

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