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Au palais de Saint-Cloud, le 3 juin 1806.

Message au Sénat conservateur.

Sénateurs,

Nous chargeons notre cousin l'archichancelier de l'Empire de vous faire connaître qu'adhérant au vœu de Leurs Hautes Puissances, nous avons proclamé le prince Louis-Napoléon, notre bien-aimé frère, roi de Hollande, pour ladite couronne être héréditaire en toute souveraineté, par ordre de primogéniture, dans sa descendance naturelle, légitime et masculine; notre intention étant en même temps que le roi de Hollande et ses descendants conservent la dignité de connétable de l'empire. Notre détermination dans cette circonstance nous a paru conforme aux intérêts de nos peuples. Sous le point de vue militaire, la Hollande possédant toutes les places fortes qui garantissent notre frontière du Nord, il importait à la sûreté de nos États que la garde en fût confiée à des personnes sur l'attachement desquelles nous ne pussions concevoir aucun doute. Sous le point de vue commercial, la Hollande étant située à l'embouchure des grandes rivières qui arrosent une partie considérable de notre territoire, il fallait que nous eussions la garantie que le traité de commerce que nous conclurons avec elle serait fidèlement exécuté, afin de concilier les intérêts de nos manufactures et de notre commerce avec ceux du commerce de ces peuples. Enfin la Hollande est le premier intérêt politique de la France. Une magistrature élective aurait eu l'inconvénient de livrer fréqueniment ce pays aux intrigues de nos ennemis, et chaque élection serait devenue le signal d'une guerre nouvelle.

Le prince Louis, n'étant animé d'aucune ambition personnelle, nous a donné une preuve de l'amour qu'il nous porte, et de son estime pour les peuples de Hollande, en acceptant un trône qui lui impose de si grandes obligations.

Lorsque nous avons accepté le titre de protecteur de la Confédératior. du Rhin, nous n'avons eu en vue que d'établir en

droit ce qui existait de fait depuis plusieurs siècles. En l'acceptant, nous avons contracté la double obligation de garantir le territoire de la Confédération contre les troupes étrangères, et le territoire de chaque confédéré contre les entreprises des autres. Ces observations, toutes conservatrices, plaisent à notre cœur ; elles sont conformes à ces sentiments de bienveillance et d'amitié dont nous n'avons cessé, dans toutes les circonstances, de donner des preuves aux membres de la Confédération. Mais là se bornent nos devoirs envers eux. Nous n'entendons en rien nous arroger la portion de souveraineté qu'exerçait l'empereur d'Allemagne comme suzerain. Le gouvernement des peuples que la Providence nous a confié occupant tous nos moments, nous ne saurions voir croître nos obligations sans en être alarmé. Comme nous ne voulons pas qu'on puisse nous attribuer le bien que les souverains font dans leurs États; nous ne voulons pas non plus qu'on nous impute les maux que la vicissitude des choses humaines peut y introduire. Les affaires intérieures de chaque État ne nous regardent pas. Les princes de la Confédération du Rhin sont des souverains qui n'ont point de suzerain. Nous les avons reconnus comme tels. Les discussions qu'ils pourraient avoir avec leurs sujets ne peuvent donc être portées à un tribunal étranger. La diète est le tribunal politique conservateur de la paix entre les différents souverains qui composent la Confédération. Ayant reconnu tous les autres princes qui formaient le corps germanique comme souverains indépendants, nous ne pouvons reconnaître qui que ce soit comme leur suzerain. Ce ne sont point des rapports de suzeraineté qui nous lient à la confédération, mais des rapports de simple protection. Plus puissant que les princes confédérés, nous voulons jouir de la supériorité de notre puissance, non pour restreindre leurs droits de suzeraineté, mais pour leur en garantir la plénitude.

NAPOLÉON.

GUERRE DE PRUSSE.

La Prusse, après la fuite de ses armées en Champagne, lors de la première coalition, avait joué ce rôle équivoque qui a toujours été le sien. La position de cette puissance, depuis qu'elle a été érigée en royaume, n'a jamais été franche ni bien assise. Les victoires du grand Frédéric lui ont donné un instant l'éclat d'une puissance de premier ordre; elles ne lui ont pas donné ce qui forme les véritables éléments de cette puissance: la richesse du sol, des limites naturelles, une situation géographique qui la protége.

Il en est résulté une grande incertitude dans la conduite politique de la Prusse, combattue entre les souvenirs de cet éclat d'un jour et ce sentiment d'une faiblesse qu'elle ne peut se dissimuler. Elle ne veut pas descendre au rang d'une puissance de second ordre; elle ne peut tenir celui d'un État supérieur que pendant la paix, et lorsque les événements ne la forcent pas d'agir.

De là ces irrésolutions dans le conseil; ces projets à demi exécutés qui ne laissent voir que l'ambition sans l'audace; une avidité timide qui veut et n'ose pas; des engagements pris avec tout le monde et tenus avec personne, un État militaire immense et sans proportion avec les ressources du pays; deux cent mille hommes toujours sous les armes et qu'on ne fait que montrer sans oser sans servir, parce qu'on sait qu'il suffirait d'une seule bataille perdue pour ruiner la monarchie.

La Prusse avait été la première à prendre les armes en 1792 : elle fut la première à les déposer et à s'allier avec la République, malgré le manifeste du duc de Brunswick. Il est vrai que, fidèle à l'esprit de son cabinet, le duc, après avoir écrit ce manifeste, avait prétendu pendant quatorze ans qu'il n'en était pas l'anteur. On avait traité à Bâle. Depuis ce moment la Prusse avait eu la sagesse de garder la neutralité, et elle avait dû à cette sagesse de rester seule à l'abri des maux qui affligeaient le continent.

Elle avait résisté à toutes les offres de l'Angleterre, de la Russie et de l'Autriche. De son côté, l'Empereur avait cherché par tous les moyens à l'attirer dans son alliance. Cette alliance, en effet, lui garantissait la paix sur le continent: elle paralysait l'action de la Russie et de l'Autriche, et permettait à la France de ne s'occuper que de l'Angleterre.

C'est en ce sens que l'Empereur disait dans sa lettre au roi de Prusse, la veille de la bataille d'lena, qu'il n'avait avec lui aucune opposition d'intérêt ni de politique, ce qui était vrai, et cela seul suffirait pour démontrer que, cette fois encore, s'il a fait la guerre, ce n'est pas lui qui

l'a voulu. Il ne cachait pas même au roi de Prusse quel intérêt il atta chait à son alliance.

Il avait été jusqu'à lui offrir le Hanovre, cet objet de l'ardente conVoitise du cabinet de Berlin. Le Hanovre appartenait à la maison régnante d'Angleterre. Il n'y avait rien à ménager avec elle. Le sort de la guerre avait fail tomber cette province entre nos mains; on pouvait donc en disposer.

Cette offre avait jeté le roi de Prusse dans un grand trouble. Comment refuser une acquisition qui donnait enfin des bases solides à la monarchie, qui complétait son territoire, qui en faisait un Etat ferme et assuré?

D'un autre côté, à quel prix l'accepter? A la condition de rompre avec l'Angleterre ; de déserter ce qu'on appelait la cause des rois, de passer pour un transfuge, pour l'allié de la révolution après le manifeste de Brunswick et la guerre de 1792.

La Prusse, depuis le traité de Bâle, était restée neutre, parce que, battue déjà, et craignant de l'être encore, elle se voyait exposée aux premiers coups de la France. Mais, si cette neutralité était dans sa politique, elle n'était pas dans ses sentiments. Elle appartenait par le fait à la coalition. C'était un ennemi timide, mais un ennemi. Ses défaites avaient laissé une secrète irritation dans l'esprit de toutes les classes. Puis cette haine de la révolution; ces préjugés, ces habitudes de l'ancienne Europe si cruellement offensés par elle, et qui faisaient qu'on regardait comme monstrueux tout ce qui se passait alors en France; la jalousie même de nos succès alors qu'on avait cru la victoire si facile : il y avait là un principe d'éloignement, d'antipathies invincibles que rien ne pouvait surmonter. Les mêmes mœurs, les mêmes préjugés, le même système de gouvernement, rendaient ces antipathies communes à la Prusse avec le reste de l'Europe.

On ne faisait pas la guerre à la France pour une question de territoire, pour obtenir une province de plus: on lui faisait la guerre pour la détruire, pour l'effacer comme nation de la famille européenne. Ou croyait que, ce but atteint, tout redeviendrait comme autrefois.

On l'avait mise hors la loi en quelque sorte. On ne se considérait pas comme lié par les traités avec elle. On traitait pour obtenir la vie, en attendant qu'on pût la lui arracher à elle-même; puis, à la première occasion, on disait que c'était elle qui avait violé les traités, et c'était assez pour se croire dégagé.

C'est ainsi que le roi de Prusse avait prodigué les assurances d'amitié à l'Empereur, depuis 1804, et ces promesses, il était disposé à les tenir, jugeant mieux de la situation que sa cour et la plupart de ses ministres, qui, partageant les haines de l'aristocratie européenne, et emportés

par les mêmes passions, ne cessaient de le pousser à la guerre. Il y avait résisté jusqu'ici par bon sens; mais son caractère n'était pas à la hauteur de son sens. C'était un honnête homme faible, à la manière de Louis XVI, dominé par une jeune femme brillante, coquette de caractère, sinon de mœurs. Elle avait de l'imagination et le désir de la célébrité. Il s'était formé autour d'elle une cour dont elle était la divinité. On ne révait que les exploits et les combats; on voulait mourir pour lui plaire; elle était l'âme de tous ces élans qui se tournaient en opposition contre le roi c'était à peine si l'on conservait les formes de respect pour lui. On s'irritait de sa faiblesse, on attaquait son caractère, ou allait jusqu'à douter de son courage. Des jeunes têtes, cet enthousiasme avail fini par gagner jusqu'aux plus vieilles. Le duc de Brunswick lui-même en était à recommencer le manifeste de 92. On insultait ceux qui ne s'associaient pas à toute cette chevalerie, et qui paraissaient douter qu'on pût avoir raison en un quart d'heure de la France et de son chef. En attendant, la reine passait des revues, escortée de ses dames. Elle avait son régiment. Elle s'était fait faire un costume militaire. On sc moquait des Autrichiens et des Russes, qui s'étaient laissé battre : on attribuait à leur lâcheté les victoires faciles de Napoléon. Il n'avait pas encore lutte contre les armées prussiennes. C'est alors qu'on jugerait de sa gloire et de ses prétendus talents. On ne parlait que du grand Frédéric, comme s'il eût été là, et de tirer son épée : on oubliait que cette épée, pour la tirer, il fallait le grand Frederic.

La cour de Prusse, agilée par ces passions diverses, présentait un spectacle étrange. D'un côté, le roi et son gouvernement, amis de la paix par crainte, et désirant toutefois ce qui ne peut s'obtenir que par la guerre, sans vouloir la faire, ni s'allier avec quiconque pouvait leur donner ce qu'ils désiraient, prodiguant à chacun des promesses d'amitié, démenties dans le particulier auprès des autres; allant de la Russie à la France, de la France à l'Autriche et à l'Angleterre, portant partout leurs incertitudes et leurs terreurs, toujours prêts à accepter ce qu'on leur offrait, et retirant la main dès qu'il s'agissait de le prendre; craignant l'un à cause de l'autre, et tout le monde à cause de chacun; de la faiblesse enfin, un mélange d'ambition et de pusillanimité qui amenait le discrédit en faisant supposer la mauvaise foi, et la mauvaise foi impuissante, ce qui est pis. On avait beau protester de sa sincérité, personne n'y croyait plus. Sans avoir la guerre, on n'avait pas les avantages d'une paix qui ne rapportait rien de ce qu'on s'était promis, pas même la tranquillité.

D'un autre côté, une cour vaine, frivole, légère, saisie tout à coup on ne sait de quel vertige, se passionnant pour la guerre comme on se passionne pour une mode ou pour un opéra, formant une coterie assez

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