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Landsberg, le 18 février 1807.

Soixante-unième bulletin de la grande armée.

La bataille d'Eylau avait d'abord été présentée par plusieurs officiers ennemis comme une victoire. On fut dans cette croyance à Koenigsberg toute la matinée du 9. Bientôt le quartier général et toute l'armée russe arrivèrent. L'alarme alors devint grande. Peu de temps après on entendit des coups de canon, et l'on vit les Français maîtres d'une petite hauteur qui dominait tout le camp russe.

Le général russe a déclaré qu'il voulait défendre la ville; ce qui a augmenté la consternation des habitants, qui disaient : Nous allons éprouver le sort de Lubeck. Il est heureux pour cette ville qu'il ne soit pas entré dans les calculs du général français de forcer l'armée russe dans cette position.

Le nombre des morts dans l'armée russe, en généraux et en officiers, est extrêmement considérable.

Par la bataille d'Eylau, plus de cinq mille blessés russes restés sur le champ de bataille ou dans les ambulances environnantes, sont tombés au pouvoir du vainqueur. Partie sont morts; partie, légèrement blessés, ont augmenté le nombre des prisonniers. Quinze cents prisonniers viennent d'être rendus à l'armée russe. Indépendamment des cinq mille blessés qui sont restés au pouvoir de l'armée française, on calcule que les Russes en ont eu quinze mille.

L'armée vient de prendre ses cantonnements. Les pays d'Elbing, de Liebstad, d'Osterode, sont les plus belles parties de ces contrées. Ce sont eux que l'Empereur a choisis pour établir sa gauche.

Le maréchal Mortier est entré dans la Poméranie suédoise. Stralsund a été bloqué. Il est à regretter que l'ennemi ait mis le feu sans raison au beau faubourg de Kniper. Cet incendie offrait un spectacle horrible. Plus de deux mille individus se trouvent sans maisons et sans asile.

Liebstadt, le 21 février 1807.

Soixante-deuxième bulletin de la grande armée.

La droite de la grande armée a été victorieuse, comme le centre et la gauche. Le général Essen, à la tête de vingt-cinq mille hommes, s'est porté sur Ostrolenka, le 13, par les deux rives de la Narew. Arrivé au village de Flacies Lawowa, il rencontra l'avant-garde du général Savary, commandant le cinquième corps.

Le 16, à la pointe du jour, le général Gazan se porta avec une partie de sa division à l'avant-garde. A neuf heures du matin, il rencontra l'ennemi sur la route de Nowogrod, l'attaqua, le culbuta et le mit en déroute. Mais, au même moment, l'ennemi attaquait Ostrolenka par la rive gauche. Le général Campana, avec une brigade de la division Gazan, et le général Ruffin, avec une brigade de la division du général Oudinot, défendaient cette petite ville.

Le général Savary y envoya le général de division Reille, chef de l'état-major du corps d'armée. L'infanterie russe, sur plusieurs colonnes, voulut emporter la ville. On la laissa avancer jusqu'à la moitié des rues; on marcha à elle au pas de charge; elle fut culbutée trois fois, et laissa les rues couvertes de morts. La perte de l'ennemi fut si grande, qu'il abandonna la ville et prit position derrière les monticules de sable qui la recouvrent.

Les divisions des généraux Suchet et Oudinot avancèrent : à midi, leurs têtes de colonne arrivèrent à Ostrolenka. Le général Savary rangea sa petite armée de la manière suivante :

Le général Oudinot, sur deux lignes, commandait la gauche; le général Suchet le centre; et le général Reille, commandant une brigade de la division Gazan, formait la droite. Il se couvrit de toute son artillerie, et marcha à l'ennemi. L'intrépide général Oudinot se mit à la tête de la cavalerie, fit une charge qui eut du succès, et tailla en pièces les cosaques de l'arrièregarde ennemie. Le feu fut très-vif, l'ennemi ploya de tous côtés, et fut mené battant pendant trois lieues.

Le lendemain, l'ennemi a été poursuivi plusieurs lieues, mais sans qu'on pût reconnaître que sa cavalerie avait battu en retraite tout la nuit. Le général Suwarow et plusieurs autres officiers ennemis ont été tués. L'ennemi a abandonné un grand nombre de blessés. On en avait ramassé douze cents; on en ramassait à chaque instant. Sept pièces de canon et deux drapeaux sont les trophées de la victoire. L'ennemi a laissé treize cent cadavres sur le champ de bataille. De notre côté, nous avons perdu soixante hommes tués et quatre à cinq cents blessés; mais une perte vivement sentie est celle du général de brigade Campana, qui était un officier d'un grand mérite et de grande espérance. Il était né dans le département de Marengo. L'empereur a été très-peiné de sa perte. Le cent-troisième régiment s'est particulièrement distingué dans cette affaire. Parmi les blessés sont le colonel Duhamel, du vingtunième régiment d'infanterie légère, et le colonel d'artillerie Nourrit.

L'empereur a ordonné au cinquième corps de s'arrêter et de prendre ses quartiers d'hiver. Le dégel est affreux. La saison ne permet pas de rien faire de grand : c'est celle du repos. L'ennemi a le premier levé ses quartiers; il s'en repent.

Osterode, le 28 février 1807.

Soixante-troisième bulletin de la grande armée.

Le capitaine des grenadiers à cheval de la garde impériale, Auzouï, blessé à mort à la bataille d'Eylau, était couché sur le champ de bataille. Ses camarades viennent pour l'enlever et le porter à l'ambulance. Il ne recouvre ses esprits que pour leur dire : << Laissez-moi, mes amis. Je meurs content, puisque nous avons la victoire, et que je puis mourir sur le lit d'honneur, environné de canons pris à l'ennemi et des débris de leur défaite. Dites à l'Empereur que je n'ai qu'un regret : c'est que, dans quelques moments, je ne pourrai plus rien pour son service et pour la gloire de notre belle France. A elle mon dernier soupir. » L'effort qu'il fit pour prononcer ces paroles épuisa le peu de forces qui lui restaient.

Tous les rapports que l'on reçoit s'accordent à dire que l'ennemi a perdu à la bataille d'Eylau vingt généraux et neuf cents officiers tués et blessés, et plus de trente mille hommes hors de combat.

Au combat d'Ostrolenka, du 16, deux généraux russes ont été tués et trois blessés.

Sa Majesté a envoyé à Paris les seize drapeaux pris à la bataille d'Eylau. Tous les canons sont déjà dirigés sur Thorn. Sa Majesté a ordonné que ces canons seraient fondus, et qu'il en serait fait une statue en bronze du général d'Hautpoult, commandant de la deuxième division de cuirassiers, dans son costume de cuirassier.

L'armée est concentrée dans ses cantonnements, derrière la Passarge, appuyant sa gauche à Marienwerder, à l'île du Nogat et à Elbing, pays qui fournissent des ressources.

Instruit qu'une division russe s'était portée sur Braunsberg, à la tête de nos cantonnements, l'Empereur a ordonné qu'elle fût attaquée. Le prince de Ponte-Corvo chargea de cette expédition le général Dupont, officier d'un grand mérite.

Le 26, à deux heures après-midi, le général Dupont se présenta devant Braunsberg, attaqua la division ennemie, forte de dix mille hommes, la culbuta à la baïonnette, la chassa de la ville et lui fit repasser la Passarge, lui prit seize pièces de canon, deux drapeaux, et lui fit deux mille prisonniers. Nous avons eu très-peu d'hommes tués.

Du côté de Custadt, le général Léger-Belair se porta au village de Peterswalde, à la pointe du jour du 25, sur l'avis qu'une colonne russe était arrivée dans la nuit à ce village, la culbuta, prit le général baron de Korff qui la commandait, son état-major, plusieurs lieutenants-colonels et officiers, et quatre cents hommes. Cette brigade était composée de dix bataillons, qui avaient tellement souffert qu'ils ne formaient que seize cents hommes présents sous les armes.

L'Empereur a témoigné sa satisfaction au général Savary pour le combat d'Ostrolenka, lui a accordé la grande décoration de la Légion d'honneur, et l'a rappelé près de sa personne. Sa Majesté a donné le commandement du cinquième corps

au maréchal Masséna, le maréchal Lannes continuant à être malade.

A la bataille d'Eylau, le maréchal Augereau, couvert de rhumatismes, était malade et avait à peine connaissance; mais le canon réveille les braves: il revole au galop à la tête de son corps, après s'être fait attacher sur son cheval. Il a été constamment exposé au plus grand feu, et a même été légèrement blessé. L'Empereur vient de l'autoriser à rentrer en France pour y soigner sa santé.

Osterode, le 2 mars 1807.

Soixante-quatrième bulletin de la grande armée.

Après la bataille d'Eylau, l'Empereur a passé tous les jours plusieurs heures sur le champ de bataille: spectacle horrible, mais que le devoir rendait nécessaire. Il a fallu beaucoup de travail pour enterrer tous les morts. On a trouvé un grand nombre de cadavres d'officiers russes avec leurs décorations. Il paraît que parmi eux il y avait un prince Repnin. Quarantehuit heures encore après la bataille, il y avait plus de cinq cents Russes blessés qu'on n'avait pas encore pu emporter. On leur faisait porter de l'eau-de-vie et du pain, et successivement on les a transportés à l'ambulance.

Qu'on se figure sur un espace d'une lieue carrée, neuf ou dix mille cadavres, quatre ou cinq mille chevaux tués, des lignes de sacs russes, des débris de fusils et de sabres, la terre couverte de boulets, d'obus, de munitions, vingt-quatre pièces de canon auprès desquelles on voyait les cadavres des conducteurs tués au moment où ils faisaient des efforts pour les enlever tout cela avait plus de relief sur un fond de neige . Ce spectacle est fait pour inspirer aux princes l'amour de la paix et l'horreur de la guerre.

Les cinq mille blessés que nous avons eus ont été tous évacués sur Thorn et sur nos hôpitaux de la rive gauche de la Vistule, sur des traîneaux. Les chirurgiens ont observé avec étonnement que la fatigue de cette évacuation n'a point nui aux blessés.

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