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puissante pour entraîner tout; allant même jusqu'à la révolte et organisant l'émeute dans l'armée pour contrarier l'action du gouvernement et le déterminer à en finir avec la révolution, et étouffer, comme on disait, le jacobinisme trop longtemps victorieux.

Le malheureux roi, cependant, étourdi de ces cris, essayait de lutter. Au moment de la guerre contre la Russie et l'Autriche, en 1805, il avait déclaré comme de coutume qu'il resterait neutre. Ii négociait même avec la France, lorsque tout à coup l'empereur de Russie arrive à Berlin, sous le prétexte d'une visite d'amitié à son frère de Prusse. Que cette circonstance fût imprévue ou qu'elle eût été préparée à l'insu du roi de Prusse par le parti de la guerre, c'est ce qu'on ne saurait dire. Si ce n'était qu'une combinaison, on ne saurait nier non plus qu'elle eût été très-habilement imaginée. Elle produisit l'effet qu'on en attendait. A la vue de l'empereur de Russie, une sorte d'ivresse éclata à la cour de Berlin. 11 y fut accueilli comme un héros : c'était dire au roi ce qu'on pensait de sa prudence. La reine était à la tête de toutes ces ovations. Le roi ne résistait plus; il était vaincu. Ces événements étaient trop forts pour lui. Entraîné, dominé, il se jeta dans les bras de l'empereur de Russie: un traité fut signé à Potsdam, tandis qu'un autre allait être signé à Paris avec l'empereur Napoléon. La plus vive amitié paraissait régner entre les deux souverains: ce n'étaient que des transports, des effusions, des embrassements en présence de l'armée, et aux acclamations de la cour et de tout ce qui marchait à sa suite. Ce n'était pas assez d'avoir conclu l'alliance, on voulut encore lui donner de la solennité par une sorte de fanstamagorie qui peint le genre d'enthousiasme dont on était animé. On descendit la nuit dans le caveau qui renferme les restes du grand Frédéric, et là, à la lueur des flambeaux, les deux souverains, les bras étendus sur le cercueil, puis se tenant encore embrassés, renouvelèrent ces serments qui ne sauvaient pas Austerlitz à la Russie et qui préparaient léna à la Prusse.

Tandis qu'on s'exaltait ainsi, en effet, Napoléon était au cœur de l'Allemagne. I battait les armées autrichiennes; il les détruisait : il courait sur les Russes et les écrasait un mois plus tard à Austerlitz.

La nouvelle de la capitulation d'Ulm et des désastres de l'armée autrichienne, arrivée à Berlin, y produisit l'effet d'un coup de foudre. Le bruit cessa tout à coup; on ne disait plus rien; les épées rentraient dans le fourreau comme par enchantement. C'eût été le moment de les tirer cependant, car les Russes allaient se trouver seuls devant l'Empereur. L'heure était venue de secourir ses nouveaux amis, et de prouver que ce n'était pas en vain qu'on avait invoqué les mânes du grand Frédéric, On aima mieux attendre. Le roi, revenu à ses idées de neutralité, put

voir tranquillement battre les Russes sans être troublé par les cris de la cour devenue plus circonspecte. Il envoya même un de ses ministres, M. d'Haugwitz, près du théâtre de la guerre. Ce fut le premier personnage que vit Napoléon après la bataille d'Austerlitz. Il venait au nom de sa cour présenter ses félicitations à l'Empereur. « C'est un compli<<<ment dont la fortune a changé l'adresse, » dit l'Empereur, qui ne s'y trompait pas.

Jaloux cependant de s'attacher la Prusse, et renouvelant ses offres, il demanda si définitivement on voulait s'allier avec lui. Il proposa encore le Hanovre. M. d'Haugwitz, esprit modéré, qui avait toujours soutenu le parti de la paix, et n'avait en vue dans ces événements que l'intérêt de la Prusse, accepta avec empressement. Il signa le traité qui fut ratifié par le roi.

Mais c'est ici que recommençaient les terreurs. Ce présent qu'on venait d'accepter, encore fallait-il le prendre, et cela ne pouvait se faire sans que l'Europe s'en aperçût. La situation en effet était assez difficile après les serments de Potsdam. On se résigna cependant. On envoya des troupes dans le Hanovre, en ayant soin de rejeter tout l'odieux du trailé sur l'Empereur. C'était un nouvel acte de tyrannie de sa part. Il avait bien fallu céder, puisqu'enfin il était le plus fort. Ce n'était pas sans de vifs regrets. Mais l'Europe pouvait être tranquille; on ne se croyait nullement tenu à la reconnaissance. On considérait au contraire cette injure comme il convenait de le faire, et, quand le moment serait venu d'en témoigner son ressentiment, on verrait si la Prusse abandonnait ses alliés, et oubliait ses promesses.

En d'autres termes, la Prusse voulait s'emparer du Hanovre sans avoir la guerre avec ses alliés de la veille ni servir son allié du lendemain. La Russie et l'Autriche, abattues et ne pouvant rieu, acceptèrent ces explications dont il fallait bien se contenter. Mais pour l'Angleterre il y avait là plus qu'un outrage. Cet allié qui se glissait entre deux, qui se faisait une arme même de sa faiblesse pour s'enrichir à ses dépens, par un procédé qu'on ne fit aucune difficulté de qualifier à Westminster et dans les journaux anglais, lui parut un ennemi qui ne méritait pas seulement le mépris, mais aussi le châtiment. Sans s'arrêter aux protestations du cabinet de Berlin, elle déclara la guerre à la Prusse. Ses vaisseaux parurent aussitôt sur l'Elbe et le Weser, ruinant le commerce prus. sien, et fournissant par là des arguments au parti de la guerre qui s'agitait de nouveau à Berlin.

Le déchaînement recommençait en effet. Il était universel. Le roi était en butte à toutes les attaques. Il semblait qu'il eût trahi la monarchie. Quel était donc le prix de cette conduite si habile, si, pour

éviter la guerre avec la France, on devait l'avoir avec l'Angleterre, et peut-être avec la Russie et l'Autriche? si, pour la possession d'une misérable province, car le Hanovre ne paraissait rien en ce moment, on devait perdre tout le commerce du royaume? Et l'armée, cette armée du grand Frédéric, retenue dans une inaction honteuse, alors qu'elle avail à venger les injures de l'Europe; obligée d'assister l'arme au bras à toutes ces humiliations! Plusieurs régiments, excités par leurs officiers, déclarèrent qu'ils ne voulaient plus servir; la révolte était jusque dans le palais. On méprisait le roi pour avoir reçu le Hanovre; on détestait Napoléon pour l'avoir donné plus qu'on ne le détesta plus tard pour avoir infligé à la Prusse une autre humiliation que celle d'un pareil présent. M. d'Haugwitz, qui croyait avoir assuré le sort de sa patrie et affermi sa puissance, poursuivi, insulté jusque dans le cabinet du roi, dut quitter le portefeuille. Ce n'est qu'en se faisant plus tard le plus ardent apôtre de la guerre, comme il avait été celui de la paix, qu'il obtint de rentrer en grâce, comme on y rentre par cette voie. Aujourd'hui il partageait avec son maître tout le poids de la haine publique. On allait, la nuit, briser les carreaux de son hôtel: on faisait de la révolution enfin pour combattre la révolution. Le prince Louis de Prusse, toute la jeune noblesse, étaient à la tête des émeutiers. Les officiers aux gardes allaient aiguiser leurs épées sous les fenêtres de l'ambassadeur de France, cette épée, hélas! qui ne devait pas soutenir la monarchie pendant six heures, trois mois plus tard! On était encore en paix avec la France cependant, et l'ambassadeur prussien s'épuisait en protestations d'amitié aux Tuileries, ce qui n'empêchait pas que le roi, ne sachant quel parti prendre, n'envoyât le duc de Brunswick luimême à Saint-Pétersbourg pour faire de nouvelles propositions d'alliance, et resserrer apparemment les liens du traité de Potsdam.

En ce moment Pitt mourait à Londres, et cédait sa place à Fox. Les idées de paix rentraient avec celui-ci dans le cabinet. De nouvelles négociations furent engagées par l'intermédiaire de lord Lauderdal, resté prisonnier à Paris, et devenu l'organe accrédité de son gouvernement. L'Angleterre ne voulait à aucun prix céder le Hanovre. C'était l'apanage de la famille régnante; elle regardait comme un déshonneur de l'abandonner. Il n'y avait pas à discuter ce point, d'où dépendit un instant la négociation. L'Empereur, d'un autre côté, mécontent avec raison de l'étrange conduite de la Prusse, ne songea que médiocrement à la défendre on ne pouvait pas pour elle suspendre ou empêcher l'œuvre de la paix générale. Sans se croire autorisé cependant à répondre à de la mauvaise foi par de la mauvaise foi, il avait déjà arrêté le plan d'une compensation. Cette compensation, c'était la Poméranie. L'ambassadeur

anglais n'avait pas fait de difficultés, et tout paraissait réglé à ce sujet, lorsqu'un agent de l'ambassade prussienne, dévoué au parti de la

guerre, et sans consulter son ambassadeur, prit sur lui d'écrire à Berlin que la paix allait être signée entre la France et l'Angleterre aux dépens de la Prusse : que l'Empereur était décidé à reprendre le Hanovre par les armes, s'il le fallait, pour le restituer à l'Angleterre ; que la Prussé ne devait point s'attendre à un dédommagement, aucun n'ayant été stipulé pour elle.

C'était le dernier coup. Aussitôt la clameur redouble à Berlin. Sans rechercher la vérité, sans recourir à l'ambassadeur qui pouvait la faire connaître, sans demander d'explications, sans en attendre, sans en vouloir surtout, on s'empare du malheureux roi. On fond sur lui de nouveau. Éperdu, il signe tous les ordres de guerre. On l'entraîne à Magdebourg, loin de tous les conseils, et, dans la crainte de nouvelles défaillances, la reine a soin de l'y accompagner suivie de son régiment, entourée de ses chevaliers. Là on lui fait signer, sous forme d'ultimatum, un ordre signifiant à l'empereur Napoléon d'avoir à retirer immédiatement ses troupes de l'Allemagne, c'est-à-dire des provinces d'Autriche où elles étaient encore pour assurer l'exécution du traité de Prague. Le reste s'accordait avec ce début '.

Cette sommation arrivait à Paris au moment même où l'Empereur, ayant fait part de son dessein à l'ambassadeur de Prusse relativement à la Pomeranie, se croyait assuré par les réponses de ce dernier du consentement du cabinet de Berlin.

Ainsi, après avoir abandonné ses alliés à l'heure du danger, après les avoir trahis, après avoir voulu la paix lors qu'on pouvait faire la guerre

Voici la teneur de ce curieux document. (Bignon, Hist. de France, tome 5, p. 443.)

1°Les troupes françaises, qu'aucun titre fondé n'appelle en Allemagne. repasseront incessamment le Rhin, toutes sans exception, en commençant « leur marche du jour même où le roi se promet une réponse de l'Empereur, << et en la poursuivant sans s'arrêter; car une retraite instante, complète, est, au point où en sont les choses, le seul gage de sûreté que le roi puisse ad<< mettre.

« 2o « Il ne sera plus mis de la part de la France aucun obstacle quelcon<< que à la formation de la ligue du Nord, qui embrassera sans aucune excep<< tion tous les États non nommés dans la Confédération du Rhin. (Loin d'y « mettre obstacle, c'était au contraire l'Empereur qui avait fourni au roi de « Prusse l'idée de cette confédération pour contre-balancer celle du Rhin.) «< 3o Il s'ouvrira sans délai une négociation pour régler enfin d'une manière « durable tous les intérêts encore en litige. Pour la Prusse, les bases préli⚫minaires en seront la séparation de Wesel de l'empire français et la réoccupation des trois abbayes par les troupes prussiennes.

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avec avantage peut-être, par une réunion tant de fois promise et éludée au mépris de tant de serments si solennels et jurés avec tant d'appareil, on allait se trouver seuls enfin devant Napoléon. C'est ce qu'on avait voulu. C'est ce qu'avaient souhaité si passionnément la reine et ses partisans. Il était impossible de triompher plus complétement.

A cet étrange défi, l'Empereur fut saisi d'une violente indignation. Ce n'était pas seulement sa politique qui était blessée; mais cette guerre absurde entreprise pour des vanités de femmes et de cadets aux gardes, le moment même choisi pour la lui faire, toute cette folie, ce délire de déraison, il y avait la dedans quelque chose qui révoltait son sens. Aussi ses bulletins sont-ils empreints d'une extrême amertume. C'est en termes cruels que s'exhalent sa colère et son mépris. On n'a pas manqué de les lui reprocher comme si l'insulte était venue de lui. On avait excité le lion, et l'on s'étonnait qu'il rugît. D'un autre côté, ces bulletins sont autant de chefs-d'œuvre : nous les donnons tous. Il n'est point de morceau d'histoire, même chez les anciens, qui leur soit supérieur, et fort peu qui leur puissent être comparés. Il n'en est point qui peigne avec plus de vivacité, de force et de grandeur, à la manière antique, les événements racontés par l'historien. On suit cette guerre pas à pas, dans son ensemble, dans ses détails. On voit la cour de Berlin; on assiste au spectacle de ces irrésolutions, de toute cette folie. On voit eufin celle monarchie dispersée, anéantie, emportée en un instant comme au souffle de l'ouragan des places fortes garnies de leur artillerie se rendant à un bataillon; des corps de cavalerie poursuivis par quelques chasseurs d'infanterie, la plus immense défaite enfin dont l'histoire ait peutêtre jamais fait mention. C'est le souvenir de cette défaite, après tant d'orgueil et de confiance, qui avait porté la rage au cœur des Prussiens ils en voulaient à l'Empereur de tout le mal qu'ils l'avaient forcé de leur faire. Cette rage, on sait avec quelle violence ils l'assouvirent, lorsque les événements les eurent fait entrer pour un vingtième environ dans la victoire de l'Europe, en 1815.

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Au palais de Saint-Cloud, 21 septembre, 1806.

A S. M. le roi de Bavière.

Monsieur mon frère,

Il y a plus d'un mois que la Prusse arme, et il est connu de tout le monde qu'elle arme contre la France et contre la Confédération du Rhin. Nous cherchons les motifs sans pouvoir les

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