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monstrations que les Russes voulurent faire pour opérer une diversion furent inutiles. Le maréchal Ney, avec un sang-froid, et cette intrépidité qui lui est particulière, était en avant de ses échelons, dirigeant lui-même les plus petits détails, et donnait l'exemple à un corps d'armée qui toujours s'est fait distinguer, même parmi les corps de la grande armée. Plusieurs colonnes d'infanterie ennemie, qui attaquaient la droite du maréchal Ney, furent chargées à la baïonnette et précipitées dans l'Alle. Plusieurs milliers d'hommes y trouvèrent la mort; quelques-uns échappèrent à la nage. La gauche du maréchal Ney arriva sur ces entrefaites au ravin qui entoure la ville de Friedland. L'ennemi, qui y avait embusqué la garde impériale russe à pied et à cheval, déboucha avec intrépidité, et fit une charge sur la gauche du maréchal Ney, qui fut un moment ébranlée; mais la division Dupont, qui formait la droite de la réserve, marcha sur la garde impériale, la culbuta et en fit un horrible carnage.

L'ennemi tira de ses réserves et de son centre d'autres corps pour défendre Friedland. Vains efforts! Friedland fut forcé et ses rues furent jonchées de morts.

Le centre, que commandait le maréchal Lannes, se trouva dans ce moment engagé. L'effort que l'ennemi avait fait sur l'extrémité de la droite de l'armée française ayant échoué, il voulut essayer un semblable effort sur le centre. Il y fut reçu comme on devait l'attendre des braves divisions Oudinot et Verdier, et du maréchal qui les commandait.

Des charges d'infanterie et de cavalerie ne purent pas retarder la marche de nos colonnes. Tous les efforts de la bra. voure des Russes furent inutiles; ils ne purent rien entamer, et vinrent trouver la mort sur nos baïonnettes.

Le maréchal Mortier, qui pendant toute la journée fit grandes preuves de sang-froid et d'intrépidité en maintenant la gauche, marcha alors en avant, et fut soutenu par les fusiliers de la garde que commandait le général Savary. Cavalerie, infanterie, artillerie, tout le monde s'est distingué.

La garde impériale à pied et à cheval, et deux divisions de la réserve du premier corps, n'ont pas été engagées. La victoire

n'a pas hésité un seul instant. Le champ de bataille est un des plus horribles qu'on puisse voir. Ce n'est pas exagérer que de porter le nombre des morts, du côté des Russes, de quinze à dix-huit mille hommes. Du côté des Français la perte ne se monte pas à cinq cents morts, ni à plus de trois mille blessés. Nous avons pris quatre-vingts pièces de canon et une grande quantité de caissons. Plusieurs drapeaux sont restés en notre pouvoir. Les Russes ont eu vingt-cinq généraux tués, pris ou blessés. Leur cavalerie a fait des pertes immenses.

Les carabiniers et les cuirassiers, commandés par le général Nansouty, et les différentes divisions de dragons, se sont fait remarquer. Le général Grouchy, qui commandait la cavalerie de l'aile gauche, a rendu des services importants.

Le général Drouet, chef de l'état-major du corps d'armée du maréchal Lannes; le général Cohorn; le colonel Regaud, du quinzième de ligne; le colonel Lajonquière, du soixantième de ligne; le colonel Lamotte, du quatrième de dragons, et le général de brigade Brun, ont été blessés. Le général de division Latour-Maubourg l'a été à la main. Le colonel d'artillerie de Forno, et le chef d'escadron Hutin, premier aide de camp du général Oudinot, ont été tués. Les aides de camp de l'Empereur Mouton et Lacoste ont été légèrement blessés.

La nuit n'a point empêché de poursuivre l'ennemi; on l'a suivi jusqu'à onze heures du soir. Le reste de la nuit, les colonnes qui avaient été coupées ont essayé de passer l'Alle, à plusieurs gués. Partout le lendemain, et à plusieurs lieues, nous avons trouvé des caissons, des canons et des voitures perdus dans la rivière.

La bataille de Friedland est digne d'être mise à côté de celles de Marengo, d'Austerlitz et d'Iéna. L'ennemi était nombreux, avait une belle et forte cavalerie, et s'est battu avec courage.

Le lendemain 15, pendant que l'ennemi essayait de se rallier, et faisait sa retraite sur la rive droite de l'Alle, l'armée française continuait, sur la rive gauche, ses manœuvres pour le couper de Koenigsberg.

Les têtes des colonnes sont arrivées ensemble à Wehlau, ville située au confluent de l'Alle et de la Prégel.

L'Empereur avait son quartier général au village de Peterswalde.

Le 16 à la pointe du jour, l'ennemi, ayant coupé tous les ponts, mit à profit cet obstacle pour continuer son mouvement rétrograde sur la Russie.

A huit heures du matin, l'Empereur fit jeter un pont sur la Prégel, et l'armée s'y mit en position.

Presque tous les magasins que l'ennemi avait sur l'Alle ont été par lui jetés à l'eau ou brûlés. Par ce qui nous reste, on peut connaître les pertes immenses qu'il a faites. Partout dans les villages les Russes avaient des magasins, et partout, en passant, ils les ont incendiés. Nous avons cependant trouvé à Wehlau plus de six mille quintaux de blé.

A la nouvelle de la victoire de Friedland, Koenigsberg a été abandonné. Le maréchal Soult est entré dans cette place, où nous avons trouvé des richesses immenses, plusieurs centaines de milliers de quintaux de blé, plus de vingt mille blessés russes et prussiens, tout ce que l'Angleterre a envoyé de munitions de guerre à la Russie, entre autres cent soixante mille fusils encore embarqués. Ainsi la Providence a puni ceux qui, au lieu de négocier de bonne foi pour arriver à l'œuvre salutaire de la paix, s'en sont fait un jeu, prenant pour faiblesse et pour impuissance la tranquillité du vainqueur.

L'armée occupe ici le plus beau pays possible. Les bords de la Prégel sont riches. Dans peu les magasins et les caves de Dantzick et Koenigsberg vont nous apporter de nouveaux moyens d'abondance et de santé.

Les noms des braves qui se sont distingués, les détails de ce que chaque corps a fait, passent les bornes d'un simple bulletin, et l'état-major s'occupe de réunir tous les faits.

Le prince de Neufchâtel a, dans la bataille de Friedland, donné des preuves particulières de son zèle et de ses talents. Plusieurs fois il s'est trouvé au fort de la mêlée, et y a fait dos dispositions utiles.

L'ennemi avait recommencé les hostilités le 5 : on peut évaluer la perte qu'il a éprouvée en dix jours, et par suite des opérations à soixante mille hommes pris, blessés, tués ou hors

de combat. Il a perdu une partie de son artillerie, presque toutes ses munitions, et tous ses magasins sur une ligne de plus de quarante lieues.

Au camp de Tilsitt, le 22 juin 1807.

Proclamation de S. M. à la grande armée.

Soldats!

Le 5 juin nous avons été attaqués dans nos cantonnements par l'armée russe. L'ennemi s'est mépris sur les causes de notre inactivité. Il s'est aperçu trop tard que notre repos était celui du lion il se repent de l'avoir oublié.

:

Dans les journées de Guttstadt, de Heilsberg, dans celle à jamais mémorable de Friedland, en dix jours de campagne enfin, nous avons pris cent vingt pièces de canon, sept drapeaux; tué, blessé ou fait prisonniers soixante mille Russes; enlevé à l'armée ennemie tous ses magasins, ses hôpitaux, ses ambulances, la place de Koenigsberg, les trois cents bâtiments qui étaient dans ce port, chargés de toute espèce de munitions, cent soixante mille fusils que l'Angleterre envoyait pour armer nos ennemis.

Des bords de la Vistule nous sommes arrivés sur ceux du Niémen avec la rapidité de l'aigle. Vous célébrâtes à Austerlitz l'anniversaire du couronnement; vous avez cette année célébré celui de la bataille de Marengo, qui mit fin à la guerre de la seconde coalition.

Français! vous avez été dignes de vous et de moi. Vous rentrerez en France couverts de tous vos lauriers, après avoir obtenu une paix glorieuse qui porte avec elle la garantie de sa durée. Il est temps que notre patrie vive en repos à l'abri de la maligne influence de l'Angleterre. Mes bienfaits vous prouveront ma reconnaissance et toute l'étendue de l'amour que je vous porte.

La Russie venait d'éprouver le sort de l'Autriche et de la Prusse ; il fallait aussi faire la paix, sauf à la rompre dès qu'on le pourrait. Un armistice fut signé aussitôt après Friedland; les deux souverains eurent une entrevue sur le Niémen. C'est dans cette entrevue célèbre que furent posées les bases du traité de Tilsitt. L'empereur Napoléon et l'empereur de Russie restèrent plusieurs jours dans cette dernière ville, passant des revues et se donnant des fêtes l'un à l'autre pour célébrer le rétablissement de la paix. Les avantages de cette paix étaient proportionnés aux succès qu'on venait d'obtenir. Elle rendait l'Empereur l'arbitre de l'Allemagne. La monarchie prussienne était réduite à ses anciennes limites de province électorale : la défaite lui faisait perdre ce que lui avait donné la mauvaise foi; toute la partie du royaume de Pologne qui lui était échue était ajoutée à la Saxe. Une autre partie reprenait son indépendance sous le titre du duché de Varsovie. La Russie s'engageait à fermer ses ports au commerce anglais. Elle reconnaissait la Confédération du Rhin. Les rois de Hollande, de Naples et de Westphalie étaient également reconnus par elle. Les deux souverains se garantissaient l'intégralité de leurs possessions. Ce traité, s'il eût été exécuté, rendait la France et la Russie maîtresses de l'Europe, et c'était le but que se proposait l'empereur Napoléon, convaincu qu'il n'y avait nul moyen d'arriver désormais à une paix sincère avec l'Autriche et la Prusse, et qu'entre la ruine ou la domination, la haine de ses ennemis ne lui permettait pas de s'arrêter.

Tilsitt, le 25 juin 1807.

Quatre-vingt-sixième bulletin de la grande armée.

Le 25 juin, à une heure après midi, l'Empereur, accompagné du grand-duc de Berg, du prince de Neufchâtel, du maréchal du palais Duroc et du grand écuyer Caulaincourt, s'est embarqué sur les bords du Niémen dans un bateau préparé à cet effet. Il s'est rendu au milieu de la rivière, où le général Lariboissière, commandant l'artillerie de la garde, avait fait placer un large radeau et élever un pavillon. A côté était un autre radeau et pavillon pour la suite de LL. MM. Au même moment, l'empereur Alexandre est parti de la rive droite, sur un bateau, avec le grand

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